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Économie - Interview

« Google et Facebook ont les reins assez solides pour partager la valeur des contenus en ligne »

Élu PDG de l’Agence France-Presse en avril et de passage au Liban cette semaine, Fabrice Fries revient pour « L’Orient-Le Jour » sur le vote du Parlement européen mercredi en faveur de la réforme des droits d’auteur.


Le nouveau PDG de l’AFP, Fabrice Fries, a pris ses fonctions en avril. Photo : P. H. B.

Les eurodéputés ont voté mercredi en faveur du projet de directive très sensible portant sur la réforme du droit d’auteur. Dans son article 11, le texte consacre un droit « voisin » du droit d’auteur qui permettrait aux éditeurs de presse d’obtenir une rémunération de la part des agrégateurs de contenus comme Google et Facebook en cas de republication. De quoi s’agit-il et pourquoi ce débat n’a-t-il lieu que maintenant ?

La notion de droit voisin est rattachée à celle de droit d’auteur. Loin d’être une bizarrerie juridique, elle existe déjà et produit ses effets dans de nombreux métiers de la création – industrie du disque, de la vidéo, sociétés de communication audiovisuelle, etc. Il s’agit de quelque chose d’extrêmement courant qui ne profitait pas aux éditeurs de presse, sans aucune raison valable.

Si le droit voisin a mis du temps à être mis en place, c’est en partie parce que journalistes et éditeurs ne faisaient pas front commun. Il y a bien eu des tentatives par le passé de faire aboutir ces textes, mais finalement les plateformes – Google en particulier – avaient réussi un temps à acheter la paix juridique en lançant des initiatives pour financer des projets de numérisation de la presse en Europe.

Le dossier a été remis sur la table par la Commission européenne dans le cadre de la réforme de la directive sur les droits d’auteur, qui datait de 2002, une époque où les smartphones n’avaient pas envahi le quotidien, où Google Actualités n’existait pas et Facebook n’était pas ce qu’il est devenu. Il était donc temps de moderniser l’approche, ce qui a commencé avec le vote de mercredi.


Ce vote peut être considéré comme une victoire pour les éditeurs de presse, les agences et les médias…

Même si le processus est loin d’être achevé, on peut presque parler de journée historique puisque l’Europe a fait le choix de défendre le droit d’auteur. Selon moi, il ne s’agit pas d’une victoire conquise par une corporation, les éditeurs de presse, sur la défensive. La grande majorité des éditeurs et des journaux investissent depuis longtemps dans le numérique avec des résultats souvent encourageants malgré une économie quasi sinistrée du fait de la chute brutale des tirages papier.

Le vrai problème de l’économie de la presse numérique est que ces investissements se font sans être payés en retour par une progression des recettes publicitaires, ces dernières étant en quasi-totalité captées par un petit nombre d’acteurs qui sont les plateformes, et plus particulièrement Google et Facebook, en situation de duopole. Une situation inédite dans l’histoire de la publicité.


(Pour mémoire : Accès payant : accord en vue entre des éditeurs de presse et Google)


Pourquoi l’AFP s’est-elle fortement engagée dans la bataille pour les droits voisins ?

Presque partout dans le monde, la presse souffre, or l’AFP réalise 32 % de son chiffre d’affaires avec des clients presse. L’agence a donc intérêt à ce que l’écosystème de la presse se redresse. La tendance est effrayante : selon une étude américaine citée dans le livre L’information à tout prix (NDLR : de Julia Cagé Nicolas Hervé et Marie-Luce Viaud), le nombre de journalistes de presse quotidienne aux États-Unis est passé de 55 000 il y a moins de dix ans à 35 000 aujourd’hui, et pourrait s’effondrer pour atteindre 7 000 dans une décennie environ.

La seconde raison, c’est que l’AFP consent des investissements très importants pour conserver des journalistes sur le terrain : nous avons 200 bureaux partout dans le monde et sommes présents dans 150 pays. Cela a un coût qui doit être compensé par des revenus. Or, ces revenus diminuent en raison des facteurs que j’ai évoqués plus haut. L’AFP doit assurer une couverture partout avec du journalisme de qualité. La fameuse tribune du directeur du bureau de l’AFP à Bagdad, Sammy Ketz, publiée fin août, a très bien montré les conséquences de l’appauvrissement de la présence de journalistes de terrain en zone de crise.

Je considère, en outre, qu’il est dans l’intérêt de Google et Facebook que du journalisme de qualité continue à être produit car les « news » sont un facteur de consultation très important sur ces plateformes. Google et Facebook ont, par ailleurs, les reins assez solides pour partager un peu de la valeur qui a contribué à faire leur succès. Les différents partenariats lancés ces dernières années entre ces géants et l’AFP, notamment dans le domaine du fact-checking, avec des rémunérations intéressantes pour nous montrent qu’ils savent rétribuer les partenariats qui leur sont utiles.


Des bras de fer ont déjà eu lieu par le passé avec Google en France, en Espagne et en Allemagne. Qu’est-ce qui change avec le vote de mercredi ?

La grande différence aujourd’hui, c’est qu’il y a un cadre communautaire qui va s’appliquer à un marché de plusieurs centaines de millions de personnes. Il y a aussi un signal politique puissant, et je crois que les plateformes ne peuvent pas y être indifférentes alors qu’elles ont d’autres intérêts à défendre.

Ce vote n’est toutefois qu’une étape car s’engage désormais un trilogue entre la Commission européenne, le Conseil de l’Europe et le Parlement européen qui doivent s’entendre sur un texte qui devra ensuite être approuvé par les eurodéputés. Une fois définitivement adoptée par le Parlement, la directive devra être transposée dans les droits des différents pays de l’Union en précisant à chaque fois le dispositif, ce qui prendra aussi du temps.


(Pour mémoire : Feu vert du Parlement européen pour réformer le droit d’auteur)


La consécration des droits voisins a fait l’objet de certaines critiques, comme le fait qu’elle puisse défavoriser les médias de petite taille par rapport aux grands groupes, ou encore qu’elle risque de mettre les titres de presse un peu plus encore à la merci des géants du net…

Sur le premier grief, je rappelle que les droits voisins existent depuis longtemps dans d’autres filières, où grands et petits acteurs cohabitent, et qu’il existe justement des sociétés de gestion collective des droits dont le métier est de gérer ça. Par ailleurs, l’adoption de la directive ne veut pas dire que la majorité des revenus vont venir de Google et Facebook. Le texte va surtout donner une bouffée d’oxygène aux éditeurs et leur permettre de diversifier un peu leurs revenus, alors que certains titres sont sous perfusion d’argent public.


Un mot sur vous. Quel premier constat dressez-vous depuis votre prise de fonctions et quelles sont les raisons de votre visite au Liban ?

Ma visite au Liban s’inscrit dans le cadre d’une tournée des bureaux de l’AFP. Le bureau de Beyrouth est très réputé pour sa qualité et très actif sur l’actualité en Syrie. Mes premiers mois à la tête de l’AFP ont quant à eux été principalement consacrés à une réflexion sur nos pistes de croissance dont les conclusions ont été rendues à l’été. Il s’agit de mettre la priorité au développement de l’image. Plus précisément, l’objectif est de mettre les pleins feux sur la vidéo pour que photo et vidéo représentent 50 % du chiffre d’affaires de l’AFP d’ici à cinq ans, contre 39 % aujourd’hui, ce qui représente une hausse de 30 millions d’euros sur la période, alors que nous réalisons un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros.

Les eurodéputés ont voté mercredi en faveur du projet de directive très sensible portant sur la réforme du droit d’auteur. Dans son article 11, le texte consacre un droit « voisin » du droit d’auteur qui permettrait aux éditeurs de presse d’obtenir une rémunération de la part des agrégateurs de contenus comme Google et Facebook en cas de republication. De quoi...

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