Le ton a clairement baissé ce week-end entre les différentes forces politiques autour de la formation du gouvernement. Il semble que le Premier ministre désigné Saad Hariri et le président de la République Michel Aoun aient manifesté une même volonté d’éviter les polémiques jugées « stériles ». Mais les profondes divergences ne se sont pas estompées pour autant. Cette accalmie relative, qui n’a pas annulé le débat, survient à la veille d’une semaine qui constituera un temps mort dans le dossier de la formation du gouvernement, puisque le Premier ministre désigné Saad Hariri se rend dès aujourd’hui à La Haye pour y suivre le déroulement du Tribunal spécial pour le Liban, que le président de la République Michel Aoun voyage également aujourd’hui, en compagnie du ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, à Strasbourg pour y prononcer un discours devant le Parlement européen, et que les deux derniers doivent se retrouver une nouvelle fois à New York pour participer à l’Assemblée générale de l’ONU.
Rien n’est réglé, donc, et la formation du gouvernement est une nouvelle fois retardée. Les accusations contre le rôle joué par le Courant patriotique libre et son président, le ministre Gebran Bassil, dans ce retard, se multiplient, notamment avec le discours prononcé hier par le chef des Forces libanaises Samir Geagea. Celui-ci a évoqué « les intérêts étroits » de ceux qui devraient être le plus soucieux d’apporter un appui au mandat du président Michel Aoun, pointant du doigt M. Bassil sans le nommer et appelant le président de la République à « sauver lui-même son mandat en mettant un terme aux ambitions de certains ». Des voix haririennes se sont également fait entendre ce week-end, comme celle du ministre Jamal Jarrah, qui a évoqué la nécessité d’accélérer le processus de formation.
« Qui a donné ces prérogatives au CPL ? »
Et cette tendance s’est précisée avec une déclaration surprenante faite par une personnalité politique généralement très discrète. Anouar el-Khalil, député druze au sein du bloc du président du Parlement et chef du mouvement Amal, Nabih Berry, est sorti de sa réserve pour dénoncer l’attitude du CPL qui refuse de concéder aux FL une part jugée en accord avec leur représentativité sur le terrain. « Qui a donné (au CPL) le droit de mettre des limites aux revendications des autres ? s’est-il demandé. Voulons-nous bâtir un pays sur des dissensions ? » Le député, de par son appartenance à la communauté druze et au bloc de l’un des deux partis du tandem chiite, présente-t-il par là un indice clair de l’élargissement de cette sorte de « front » qui ne dit pas son nom contre le CPL, dont les prémices étaient déjà visibles auparavant ?
Car du côté de l’autre composante du tandem chiite, une seule réaction somme toute assez sobre et générale a été notée ce week-end, celle du ministre sortant Hussein Hajj Hassan. Celui-ci a estimé que « la formation du gouvernement connaît des difficultés principalement causées par le fait que l’on s’éloigne des critères stables se fondant sur les résultats des élections législatives et sur la taille des blocs ». Il a considéré que « ne pas tenir compte de ces critères suscitera des oppositions diverses, aboutissant, par conséquent, à un nouveau retard dans la formation ».
Pour sa part, défendant sa politique, M. Bassil a déclaré samedi que « ceux qui veulent une part plus importante que celle qui leur revient de droit sont en train d’en priver d’autres par le fait même ». « Cela nuit à l’équilibre et à la justice, a-t-il ajouté. Nous n’avons pas d’objection à sacrifier tel ou tel portefeuille, mais nous ne pouvons accepter que la mouture soit entièrement fondée sur une injustice, parce que cela influerait sur la prestation future du gouvernement. »
Vers le Parlement ?
Un facteur nouveau et significatif a également fait son apparition dans la saga de la formation du gouvernement. Une proposition venant du Premier ministre désigné lui-même, qui a dit souhaiter présenter au Parlement la mouture qu’il a lui-même soumise à M. Aoun il y a quelques jours, sans obtenir son accord. Une mesure envisagée comme un moyen de sortir de la crise. « Certains pensent que le prochain gouvernement doit respecter les résultats des élections, a déclaré M. Hariri vendredi soir. C’est normal, et c’est probablement le seul critère valable. Voilà pourquoi il convient de présenter dans les plus brefs délais au Parlement, né de ces élections, la mouture en question, pour un vote de confiance, comme le stipule la Constitution. Si cette proposition ne respecte pas les résultats des élections, elle sera rejetée par le Parlement. Et si c’est le contraire, cela signifie qu’elle est en harmonie avec les résultats du scrutin. »
Interrogé par L’OLJ sur cette proposition de M. Hariri, l’ancien député Moustapha Allouche estime que le Premier ministre désigné a été acculé à cette proposition du fait du prolongement de la crise et des refus systématiques de signer les décrets de formation du gouvernement par le président de la République. « Le Premier ministre a proposé de revenir au Parlement afin de contrer ceux qui l’accusent de ne pas prendre en compte les résultats des élections dans les moutures qu’il présente », dit-il. Cela signifie-t-il aussi que M. Hariri est sûr d’obtenir la majorité des votes, comme le pensent certains analystes ? « Pas du tout, souligne M. Allouche, il veut surtout mettre chacun face à ses responsabilités. Et si le président de la République continue à ne pas signer les décrets, cela signifie que le problème se situe à son niveau, pas à celui de M. Hariri. »
Cette demande sert-elle donc à mettre le président au pied du mur ?
« Pour être franc, le problème vient surtout du CPL, le président s’étant toujours montré positif lors de ses entretiens avec le Premier ministre, sauf dans le cas de la dernière mouture, quand il a demandé un délai pour ensuite refuser la formule proposée », a-t-il dit.
« Un gouvernement n’est pas formé avec une calculatrice »
Sur ce plan, Ahmad Hariri, secrétaire général du courant du Futur, a estimé que « la mouture présentée par le Premier ministre au président est une solution au problème, alors que les idées exprimées par d’autres n’en sont pas », fustigeant ceux « qui veulent former un gouvernement à l’aide de calculatrices ».
Autre son de cloche du côté du CPL. Le député Hikmat Dib a indiqué, à l’agence al-Markaziya, que « le respect des résultats des élections doit précéder le recours au Parlement, le vote de confiance étant la seconde étape de la formation du gouvernement, alors que la première est la signature du décret par le président de la République, comme le dit la Constitution ». « Il n’est pas possible de présenter cette mouture au Parlement avant de prendre l’accord du président », a-t-il poursuivi.
Autre point commun entre les déclarations du week-end : les mises en garde répétées contre un retour à l’avant-Taëf, dans une claire référence aux prérogatives du président et du Premier ministre. Se disant inquiets des velléités de modification de l’accord de Taëf, Ahmad Hariri, Jamal Jarrah ou encore Anouar el-Khalil ont dénoncé une perspective qui représenterait « un risque » pour le pays.
commentaires (7)
Je suis un maronite kesrouanais, je n'accepte pas que le président de la République, Michel Aoun et son gendre Gébran Bassil, ministre des Affaires étrangères, tous les deux maronites, représentent seuls le Liban à Strasbourg, sans être accompagnés par des hommes politiques des autres communautés libanaises.
Un Libanais
15 h 36, le 10 septembre 2018