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Culture - Rencontre

« L’État libanais a oublié tout ce que j’ai fait pour ce pays parce que je suis un étranger »

Thomas (Tom) Hornig, musicien américain et libanais de cœur, raconte son parcours, mais surtout sa frustration dans un pays auquel il a dédié son art.

Tom Hornig et sa fille Lynn, « made in Lebanon ».

La musique ne connaît pas de frontières, et comme le vent qui souffle où il veut sans faire de différence entre les langues et les peuples, un musicien américain révolutionnaire égaré en plein pacifisme, et pourtant armé de son saxophone, a jeté, depuis près d’un quart de siècle, son ancre au Liban. Thomas Hornig, telle une flamme, continue à brûler de son empreinte de prodige la musique libanaise, avec ses mélodies berçant à la fois des mots de reconnaissance et de déception.

« Je suis là parce que je sens que je peux contribuer au changement », dit-il avec un ton – espérait-il – de parfaite détermination, essayant de camoufler son accent élégiaque : noir, c’est noir, y a-t-il encore une lueur d’espoir ? Pour lui, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Sa biographie en est la preuve. L’histoire de Thomas Hornig (surnommé Tom) remonte aux années 80 lorsqu’il quitte son Minnesota natal, après 4 ans d’études jazz à l’Université de Minnesota, pour entamer son parcours académique à la prestigieuse École normale de musique de Paris, sous la supervision du professeur Alain Bouhey. Au désordre de la cohue armée aggravée par la guerre civile à Beyrouth, s’oppose l’harmonie de la Maison du Liban à Paris, où le jeune saxophoniste trouve un accueil fervent après avoir été rejeté ailleurs. Ce qu’il ignorait, c’est que l’amour l’attendait, impatient, au coin de cet appartement, là où Cupidon finit par décocher sa flèche rendant son cœur et celui de Roueida Ghali, enseignante aux beaux-arts et comédienne libanaise (étudiante à Paris à cette époque) en désarroi. En 1994, il prend alors la décision la plus marquante de sa vie : venir vivre au Liban et se marier avec cette femme.


« Le jour où la kafala sera abolie... »

C’est ainsi que Tom Hornig devient, après ces années de guerre et de plomb, le premier Américain à enseigner au Conservatoire national libanais, où il a cofondé la section saxophone ; le premier saxophoniste soliste ayant joué avec l’Orchestre philharmonique du Liban durant 33 concerts (un record égalé par seulement quelques saxophonistes du monde entier) ; un des premiers professeurs de l’orchestre LeBam fondé par le député Ghassan Moukheiber ; le cofondateur et codirigeant de la faculté Big Band du conservatoire, et le musicien occidental ayant joué et/ou enregistré avec le plus grand nombre d’artistes du Liban et du monde arabe dont Ziad Rahbani, Julia Boutros, Majida el-Roumi et Oussama Rahbani, mais également avec des artistes américains, français et asiatiques, dont Amadis Dunkel, Michel Bontemps, Yochko Seffer, Thierry Paul, Hyuna Park et EuroDisney Band. Et ce n’est pas tout ! Hornig est le seul américain à avoir célébré le retrait israélien de 2000 en se produisant avec Julia Boutros à la frontière sud devant 70 000 spectateurs et à avoir aidé à collecter des fonds, par le biais d’un concert auprès de Charbel Rouhana au Koweït, pour venir en aide aux victimes de la guerre de juillet 2006. Cependant, sa réputation ne s’arrête pas là ; ses concerts se multiplient à une vitesse effrénée et sa notoriété mondiale prend enfin forme : participation auprès de 9 musiciens de grand renom au premier festival jazz en Arabie saoudite, une tournée mondiale passant par le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord, l’Europe et la mer des Caraïbes, et des concerts donnés à Monaco devant le prince Albert, et en Jordanie en l’honneur de la famille royale. Le roman de sa vie suit la courbe régulière du destin du héros qui s’élève peu à peu jusqu’au « zénith de la vertu, le solstice de l’honneur et l’apogée de la gloire » (Guez de Balzac), et s’effondre vers la déchéance finale, celle infligée par le système de la kafala, qui « fait de tout travailleur non libanais un esclave démuni de tous ses droits et à la merci de son employeur », selon Tom Hornig. Triste et en colère face à cette injustice flagrante de la part d’un pays pour lequel il a dédié sa vie, il a fini par ne plus supporter toutes ces réclamations jamais entendues et ces lettres jamais lues, et en a payé le prix cher, avec une crise cardiaque : « J’étais sur le point de mourir et c’est à ce moment-là que l’État libanais a oublié tout ce que j’ai fait pour ce pays parce que je ne suis pas libanais. »

« Le jour où la kafala sera abolie, le Liban renaîtra de nouveau », martèle-t-il, laissant entendre que les grands cerveaux refusent d’investir au Liban à cause de cette confiscation des droits élémentaires. Lynn, sa fille de 17 ans, née au Liban d’une mère libanaise et privée de la nationalité à cause de la loi de 1925, se trouve devant un dilemme : quitter son pays qu’elle a tant aimé sans l’être en retour, ou bien rester et lutter. « Sa seule faute est que son père n’est pas un joueur de basket-ball pour lui offrir la nationalité », mais juste un artiste. « On ne peut pas nous priver de ce qui nous appartient », conclut Tom Horning, triste comme seul un artiste peut l’être.

La musique ne connaît pas de frontières, et comme le vent qui souffle où il veut sans faire de différence entre les langues et les peuples, un musicien américain révolutionnaire égaré en plein pacifisme, et pourtant armé de son saxophone, a jeté, depuis près d’un quart de siècle, son ancre au Liban. Thomas Hornig, telle une flamme, continue à brûler de son empreinte de prodige la...

commentaires (6)

Pourquoi n’a-t-il pas demandé la nationalité lbanaise ? De nombreux libanais possèdent l s deux ?

Samira Fakhoury

18 h 00, le 12 septembre 2018

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Commentaires (6)

  • Pourquoi n’a-t-il pas demandé la nationalité lbanaise ? De nombreux libanais possèdent l s deux ?

    Samira Fakhoury

    18 h 00, le 12 septembre 2018

  • Triste sort pour quelqu'un qui a tant donné pour le Liban ! Il est temps de dépoussiérer notre législation archaïque !

    OMAIS Ziyad

    12 h 17, le 12 septembre 2018

  • Trop triste et révoltant pour toute personne en état de droit. Pauvre Liban où aucune loi respecte les droits de l’homme ??

    Khoury-Haddad Viviane

    09 h 47, le 12 septembre 2018

  • Bonjour J'ai lu cet article par" curiosité "..je n'ai pas bien saisi le pourquoi de la "frustration " de ce monsieur . Si ,privé de ses droits parce que non libanais après 28 ans de présence ( l'article n'est pas assez explicite concernant ces dits-droits )cela est pathétique . Lui a t on refusé sa nationalité ? A quand un Liban respectant la bi-nationalité avec une loi "obsolète"? Oublie t on que la majorité des citoyens libanais vivent à l'étranger et participent que l'on veuillent ou non à l'économie nationale ? Osons "franchir " le 21 ème siècle dignement .. "L'Etranger"

    salamé riad

    07 h 49, le 12 septembre 2018

  • A QUAND LES FEMMES LIBANAISES PEUVENT-ELLES DONNER LEUR NATIONALITE A LEURS MARIS ET LEURS ENFANTS ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 04, le 10 septembre 2018

  • C'EST INCROYABLE CETTE HISTOIRE.....DES IRRESPONSABLES QUI DÉTIENNENT LE POUVOIR.

    Gebran Eid

    12 h 52, le 10 septembre 2018

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