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Culture - En librairie

« La Danse du chagrin » de Bernie Bonvoisin, ou la révolte à fleur de plume

Un livre coup de poing qui bouscule son lecteur, en lui proposant une immersion décapante et sans filtre au cœur des camps de réfugiés syriens du Liban.


« Je suis venu au Liban voir ce qu’il en était de ces hordes de crevards qui prenaient d’assaut nos frontières, pour nous voler nos emplois et cramer nos allocs. J’ai décollé mon cul de mon divan, éteint ma télé après 59 mois passés à regarder le peuple syrien se faire écraser dans un silence vertigineux. J’ai vu la lumière au milieu de cette misère. »

Répondant à « une urgence intérieure », le chanteur et acteur français Bernie Bonvoisin propose à l’agence Premières Lignes de réaliser un documentaire sur les enfants syriens dans les camps de réfugiés du Liban... En février 2016, il se rend au Liban avec le cameraman Pedro Brito Da Fonseca pour donner la parole aux enfants qui ont fui la guerre de Syrie, avec la collaboration de Jeanine Jalkh. Journaliste spécialiste de politique intérieure à L’Orient-Le Jour, elle se charge d’établir des contacts sur place dans les différents camps, avec les ONG et les bénévoles. Le reportage, intitulé La misère entre deux jardins, est diffusé sur France 2 et sur LCP ; il a un fort retentissement sur le public français. Quelques mois plus tard, le fondateur du groupe hard rock Trust prolonge son approche et décide de mettre par écrit ce que la caméra n’a pas pu montrer, dans La Danse du chagrin (éditions Dom Quichotte).

L’auteur exprime une révolte à fleur de plume, qui relève parfois du pamphlet, en premier lieu vis-à-vis de l’Occident, dont il vomit la complaisance économique, et « notre assurance crasse de donneurs de leçons ». La société française n’est pas épargnée, « figée pour la plupart dans l’immobilisme du voyeur, ce cancer sociétal ». C’est ensuite « l’ophtalmo de Damas » qui est mis en cause. « On a eu le temps de voir le père en action, maintenant y a le fils. À la différence de son dab, il a une tête de poule, mais question mentalité, ce sont les mêmes. » Au fil de son texte, Bernie Bonvoisin s’insurge contre le double langage de certaines ONG et contre tous ceux qui profitent de la misère : « Ceux qui exploitent les enfants, les Émiratis qui viennent acheter des petites filles de huit ans, qu’ils consomment puis abandonnent... » L’écriture navigue entre une oralité crue, parfois brutale, et une émotion dense et pudique, face à l’enfance saccagée et la résilience lumineuse de ceux qui luttent pour restaurer leur dignité, ou celle des autres.

« La dignité règne dans cette crasse abyssale »

Le texte se vit comme une suite de rencontres avec des enfants, souvent en état de choc, qui ont soif de parler et de partager leurs rêves. Le décor des camps est universel, « un alignement de tentes, recouvertes pour la plupart de bâches publicitaires refourguées à 1 000 livres libanaises le mètre carré et maintenues par des parpaings ou des pneus hors d’usage ». L’ONG Beyond, fondée par Maria Assi Khayat, est un acteur considérable et récurrent au fil des visites. Son équipe de bénévoles, éducateurs et soignants pour la plupart, réalise un travail remarquable, proposant par exemple dans un camp près de Zahlé un club de presse. Du haut de ses onze ans, Chayma présente son texte adressé à l’ONU, qui s’intitule Les chiffres, et qui propose une approche nouvelle des réfugiés. La petite Zhour partage à son tour ce qu’elle a écrit : « Venez sentir l’odeur du jasmin de Damas, enivrez-vous et peut-être que cela réveillera la paix dans vos cœurs. »

À Saïda, le réalisateur rencontre des réfugiés installés dans une tannerie, au cœur d’odeurs nauséabondes. « La dignité règne dans cette crasse abyssale. Dalal déborde de mots, elle veut que l’on sache... Que les rats viennent la nuit mordre l’oreille de son aîné – elle le tire à elle et nous montre le lobe entamé. Elle est radieuse, cette femme, face à nous, assise en tailleur. Nous sommes abasourdis parce que nous voyons, entendons, respirons. Abasourdis par son absence de haine, de rancœur. Une seule doléance : que ses enfants aillent à l’école et qu’ils cessent de travailler comme esclaves dans ce lieu putride. » Les rencontres se poursuivent et se font écho, on retient la maturité terrifiante de certains enfants et l’engagement inconditionnel des bénévoles, dont la majorité est issue de la société civile libanaise.

L’ouvrage se termine par un petit déjeuner avec Marouane, « le petit esclave, le conteur ramasseur de pommes de terre pour 2 euros par jour », dans la lumière crue de la Békaa. « Son regard se fige parfois, comme perdu, il mâche son pain et s’évade... Où files-tu Marouane? De l’autre côté de la montagne ? Cours-tu à perdre haleine dans les rues d’Idleb ? Tu m’as dit que tu serais heureux de retrouver la Syrie, et puis tu as ajouté : On doit lui manquer un peu aussi. » Alors que Marouane s’éloigne, ses outils à la main, Bernie Bonvoisin vacille. « Je sens le soleil, avec sa luminosité et sa chaleur soudaine, inonder le lieu où nous sommes (...) et une énorme sensation de vide, au sein de laquelle coulent mes larmes. »

« Je suis venu au Liban voir ce qu’il en était de ces hordes de crevards qui prenaient d’assaut nos frontières, pour nous voler nos emplois et cramer nos allocs. J’ai décollé mon cul de mon divan, éteint ma télé après 59 mois passés à regarder le peuple syrien se faire écraser dans un silence vertigineux. J’ai vu la lumière au milieu de cette misère. » Répondant...

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