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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Pourquoi les extrêmes européens adorent Poutine

La valse de la ministre autrichienne des Affaires étrangères avec le président russe est le dernier rebondissement qui illustre une fascination aussi bien de l’extrême gauche que de l’extrême droite pour l’homme fort du Kremlin.

Vladimir Poutine dansant avec la ministre autrichienne des Affaires étrangères Karin Kneissl lors de son mariage à Gamlitz dans le sud-est de l’Autriche. Photo AFP

La photo souvenir restera accrochée longtemps aux murs des petites auberges authentiques du Sud-Est autrichien. Le mariage, le samedi 18 août, de la ministre des Affaires étrangères Karin Kneissl, nommée par le parti d’extrême droite de la Liberté d’Autriche (FPÖ) qui célébrait le terroir national : un décor bucolique et des femmes revêtues de dirndls, la robe alpine traditionnelle composée d’une jupe bouffante, d’un tablier et surmontée d’un corsage serré. La troupe de chanteurs cosaques emboîtant le pas de Vladimir Poutine, venu présenter ses vœux de bonheur, a apporté sa touche d’exotisme à un folklore pur sang. La ministre Kneissl prenait pour époux un entrepreneur, Wolfgang Meilinger. Alors que les festivités battent leur plein, ce dernier prête la main de sa femme au président russe, qui se laisse entraîner dans une valse et offre ainsi au public européen son coup politique le plus scénique de l’année : le maître du Kremlin, dont la presse d’État europhobe fustige régulièrement les « eurogays », faisant tourbillonner d’une main ferme la ministre d’un pays qui assure actuellement la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne (UE).

L’Autriche est l’un des pays européens les mieux disposés à l’égard de Moscou. Le pays est dirigé par le chancelier conservateur Sebastian Kurz, allié à l’extrême droite autrichienne qui détient des ministères-clés, dont la Défense, l’Intérieur et les Affaires étrangères. Elle a notamment refusé d’expulser des diplomates russes après l’empoisonnement de l’ex-agent double Sergueï Skripal et sa fille en mars 2018. Mais la droite conservatrice et l’extrême droite autrichienne sont loin d’être les seuls à cultiver des amitiés prorusses. Plus à l’Ouest, en France, la russophilie est devenue un sentiment transpartisan. Marine Le Pen « ne cache pas » au journal russe Kommersant en 2011, « que dans une certaine mesure, (elle) admire Vladimir Poutine », tandis qu’à l’opposé du spectre politique, Jean-Luc Mélenchon dit à ses « amis russes » que « ce n’est pas la France qui vous traite de cette façon, c’est l’amicale des anciens de la French American Foundation ». Le Rassemblement national (ex-FN) est le parti le plus explicitement prorusse en France, la sortie de l’OTAN et la création d’une alliance bilatérale avec Moscou figurant dans son programme.


(Lire aussi : Quand l'ombre de Poutine plane sur les services secrets autrichiens)


Parce que les Russes sont fiers de leur passé

Mais l’histoire russe vend du rêve aussi bien à la droite conservatrice autour de la monarchie religieuse, qu’à l’extrême gauche, avec la révolution prolétarienne. Pour ces tendances politiques opposées, projeter leurs fantasmes sur la Russie est aisé, car Vladimir Poutine recourt alternativement à la mémoire de ces deux périodes. En juillet dernier, le maître du Kremlin célébrait en grande pompe aux côtés du patriarche Théodore II l’anniversaire de la christianisation de la Russie en 1030, affirmant que « notre devoir sacré, c’est de maintenir cet héritage » orthodoxe. Quatre ans plus tôt, en mars 2014, il expliquait que l’annexion de la Crimée visait à sauver les minorités russophones du pouvoir de Kiev « nationaliste, néonazi, russophobe et antisémite ». La référence au nazisme renvoie en creux à la Grande guerre patriotique (1941-1945) de l’Armée rouge contre le IIIe Reich. Cette campagne militaire fait l’objet d’un véritable culte en Russie, et le Kremlin, bruyamment antifasciste, omet soigneusement de mentionner la signature du pacte secret Molotov-Ribbentropp (1939-1941), qui prévoyait le partage de la Pologne entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique. À part quand c’est pour revisiter l’épisode sous un angle victimaire. « Lorsque l’URSS a réalisé qu’on l’avait laissé toute seule face à l’Allemagne de Hitler, elle a pris des mesures visant à éviter un affrontement direct et le pacte Molotov-Ribbentrop a été signé », justifiait-il en mai 2015.

Cette liberté avec laquelle les autorités russes racontent leur roman historique interpelle les extrêmes droites européennes, pour qui le passé national est injustement traîné dans la boue par une poignée d’historiens trop scrupuleux. Marine Le Pen a par exemple rejeté la responsabilité française dans la rafle du Vel’ d’hiv, pourtant avérée et reconnue par la classe politique depuis une vingtaine d’années. Une tendance observable également à travers la réhabilitation de certains dirigeants collaborationnistes, comme le régent Milos Horthy, pour lequel le Premier ministre hongrois Viktor Orban ne cache pas son admiration.


Parce que Poutine est un dirigeant intègre et fort

« Notre salut passe par Poutine », écrivait Yves de Kerdel, directeur de la rédaction du magazine d’extrême droite Valeurs Actuelles dans un éditorial du 15 septembre 2015. « Il y a une certaine admiration pour le style autoritaire de l’homme et les valeurs sur lesquelles son régime est bâti : l’illibéralisme politique, la place de la famille, le projet géopolitique et la gestion verticale du pouvoir », explique Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite, directeur de l’observatoire des radicalités politiques. Une appréciation rebattue sur Poutine est qu’il faut un homme « de cette trempe » pour « redresser » un pays. La leçon que les admirateurs du président russe tirent de son exercice du pouvoir est un discours prémâché par les spin doctors du Kremlin. Ces derniers ont mis au point un storytelling décrivant la présidence de Vladimir Poutine comme une rupture franche avec celle des années Eltsine, un dirigeant porté sur la boisson et entouré d’une clique de mafieux, dite la « Famille ». Vladimir Poutine aurait mis au pas les oligarques, qui avaient profité de leur position pour s’enrichir après la chute de l’URSS et jouer les éminences grises au Kremlin. Et c’est par une main de fer dans un gant de velours, en « despote éclairé », que Poutine serait parvenu à ses fins. En réalité, Vladimir Poutine a été choisi parce qu’il s’engageait loyalement à protéger la « Famille » de poursuites pénales après la démission de Boris Eltsine. Un de ses premiers gestes après avoir été nommé président intérimaire est la signature d’un décret protégeant la « Famille » de toute poursuite pénale.

Quelque 110 Russes possèdent aujourd’hui plus de 30 % des richesses du pays et la fortune personnelle de Poutine est estimée à plus de 40 milliards de dollars (estimation basse). En novembre 2015, Moscou a instauré une nouvelle taxe sur les transporteurs routiers, collectée par l’entreprise privée RT-Invest. 25 % du montant de la taxe revient à cette dernière, pour ses offices d’intermédiaire entre l’imposable et l’État. Hasard ou pas, RT-Invest est possédée à moitié par Igor Rotenberg, le fils d’Arkady Rotenberg, partenaire de judo et oligarque loyaliste de Vladimir Poutine. Loin d’avoir enterré le système oligarchique, le président russe a plutôt manœuvré pour arriver à sa tête. Et c’est moins son souci du bien commun que la fascination pour la virilité qui se dégage de sa pratique personnelle du pouvoir qui justifie l’admiration qu’on lui porte en Europe.


(Pour mémoire : En Autriche, Poutine insiste sur la levée de sanctions européennes)


Parce que la Russie est un meilleur allié que les États-Unis

« Il y a surtout un bon vieux reste d’anti-américanisme anti-libéral chez les pro-Moscou, qui ne ratent pas une occasion de prendre le contrepied de l’OTAN », remarque Jean-Yves Camus. L’extrême gauche possède une longue tradition de se jeter dans les bras du premier régime venu, aussi cruel soit-il, au nom de la lutte « anti-impérialiste », un concept assez vague où chacun est libre d’y retrouver ses propres lubies : capitalisme, libéralisme, sionisme, multiculturalisme décadent incarné par la société américaine. Le Cambodge khmer, la Chine maoïste, sans oublier l’Union soviétique ont bénéficié du soutien d’une certaine frange de la gauche parce que la lutte contre l’« empire » américain le justifiait. Le concept fonctionne également à droite : les États-Unis sont le pays du « mondialisme », un terme cher au FN, sans culture et animé d’un matérialisme simplet, tandis que la Russie représente l’élévation morale, le rempart conservateur. Sans compter que l’on parlait français à la cour des tsars. L’opposition entre la vieille Europe, avide de nourriture spirituelle, et les États-Unis, puissance neuve, sans histoire, qui ne connaissent que la valeur de l’argent est ancienne. « Les États-Unis sont la seule nation au monde à être passée de la barbarie à la décadence sans jamais avoir connu la civilisation », disait Georges Clemenceau. Le préjugé s’est perpétué malgré le fait qu’un tiers des prix Nobel soient américains et que les États-Unis ont donné au cinéma mondial plusieurs de ses plus belles œuvres. Un contributeur du site d’extrême droite Boulevard Voltaire célèbre ainsi la réélection de Vladimir Poutine à la présidence russe en mars 2018 en ces termes : « Jean Monnet, l’homme qui parlait à l’oreille du président américain, voulait détruire De Gaulle (…) pour instaurer le système que nous connaissons malheureusement aujourd’hui où un microcosme mondialiste entend mettre les États-nations entre parenthèses. Emmanuel Macron est le triomphe posthume de Monnet, comme Vladimir Poutine est, à l’évidence, le De Gaulle russe. »



Pour mémoire

Vladimir Poutine veut une UE "unie et prospère"

La photo souvenir restera accrochée longtemps aux murs des petites auberges authentiques du Sud-Est autrichien. Le mariage, le samedi 18 août, de la ministre des Affaires étrangères Karin Kneissl, nommée par le parti d’extrême droite de la Liberté d’Autriche (FPÖ) qui célébrait le terroir national : un décor bucolique et des femmes revêtues de dirndls, la robe alpine...

commentaires (4)

IL EST SYMPA QUAND MEME !

LA LIBRE EXPRESSION

21 h 12, le 28 août 2018

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Commentaires (4)

  • IL EST SYMPA QUAND MEME !

    LA LIBRE EXPRESSION

    21 h 12, le 28 août 2018

  • Pas besoin d'être d'un extrême quelconque pour apprécier Poutine. Un sondage en Europe et suffirait pour démonter la popularité qu'il jouit le personnage. Malgré la propagande anti-Poutine des médias ... Il n'agresse jamais quiconque sur Tweeter, il donne de lui une image sympatique, moderne, sportive et cultivée... Le contraire de Trump. Cela dit en Russie personne n'a le droit de s'opposer à sa politique. (Le revers de la medaille)

    Sarkis Serge Tateossian

    10 h 55, le 28 août 2018

  • Je ne pense pas que "les européens" (c'est nous donc) que nous avons plus de fascination ou mépris pour Poutine que 'les arabes' ou les chinois ou américains. Il faut tenir compte du fait que "les européens" c'est très varié comme groupe; parmi les européens de l'extrême droite beaucoup de politiciens qui justement s'opposent aux autres 'européens'.

    Stes David

    10 h 11, le 28 août 2018

  • POUTINE ET LA RUSSIE GAGNENT EN AVANCE... TRUMP ET L,AMERIQUE PERDENT DANS LA BALANCE ...

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 11, le 28 août 2018

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