Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - par Ghada JABAK

La roue

Il ne vit rien, il perdit connaissance sur-le-champ. Il allait dîner. Il rentrerait chez lui, le lendemain. Du noir. La voiture était froissée comme du papier. L’accident eut lieu à la vitesse de l’éclair, il pleuvait. Un choc venu du côté gauche le fracassa littéralement. Il était gaucher, lui. Il ne se souvint de rien. Corps cassé. Il ne mourut pas.
On lui fit un scanner. La colonne vertébrale était rompue, fracture spinale, la cuisse aussi, les côtes aussi. Il avait une petite blessure sur le front. On lui administra quelques points de suture, histoire de le distraire. Savait-il qu’il mourrait ? Il avait mal, partout. Il arracha le masque d’oxygène. Il souleva le haut du buste, les mains tendues vers l’avant. On le lui défendit. On le calma.
On lui pinça les jambes dont l’une s’agitait involontairement et frénétiquement. On la lui pinça. Il ne réagit pas. Paralysie des membres inférieurs.
Il est tombé par terre, ce grand. Il ne se relèvera jamais. On assista à une fuite du liquide cérébro-spinal. Il se plaignait du masque. Il avait mal. Il criait. Ses yeux de loup traqué par la mort jetaient des regards d’incompréhension. À quoi pensa-t-il avant que son cœur ne s’arrête de battre? Que dit-il ? Avait-il pensé à sa femme ? Aux trois anges qui l’attendaient à Bruxelles ? À sa mère ?
Il criait qu’il avait à pisser. Sa vessie allait exploser. On ne pouvait pas le faire bouger. On lui déchira le pantalon, son Boss. Ce pantalon déchiré que sa femme avait dans ses bras, qu’elle berçait, était le dernier témoin de ses dernières minutes.
Une détresse respiratoire, arrêt cardiaque. Réanimation. Puis du noir.
Il avait pissé avant de partir.
Avant d’être arraché ainsi à la vie, il conduisait sagement la voiture. Il faisait cette route deux ou trois fois par jour, quand il rentrait au pays. Aucune inquiétude de sa part. Il conduisait paisiblement lorsqu’une voiture qui descendait la pente dévia perpendiculairement et le percuta. La femme qui conduisait disparut. Elle ne fut pas arrêtée, elle avait du piston. Elle n’était pas venue aux funérailles, elle disparut.
Sa mère saigna quand elle sut la nouvelle, son utérus saigna. Sa culotte fut tachée de sang. Elle perdit la vie qu’elle avait portée et son corps s’en aperçut.
Mon frère avait un nom, il s’appelait Fadi, il avait 49 ans. Une victime de plus qui s’ajoute au bilan du Centre de gestion du trafic (TMC) des FSI et un tweet lui a été consacré : « Un accident a eu lieu du côté de Msayleh, au sud du Liban, et il en a résulté une victime. »
Comme d’autres victimes des accidents de la route, un bilan leur est dédié, bilan de morts. À peu près 115 morts depuis le début de l’année, dont mon frère, et 729 blessés. Nous sommes encore en août. Attendons le bilan final fin décembre.
Et la vie continue ainsi dans mon pays chéri, le Liban.

Ghada JABAK
#Pensées_matinales

Il ne vit rien, il perdit connaissance sur-le-champ. Il allait dîner. Il rentrerait chez lui, le lendemain. Du noir. La voiture était froissée comme du papier. L’accident eut lieu à la vitesse de l’éclair, il pleuvait. Un choc venu du côté gauche le fracassa littéralement. Il était gaucher, lui. Il ne se souvint de rien. Corps cassé. Il ne mourut pas. On lui fit un scanner. La...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut