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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Au Mali, des élections sans que rien ne change

La réélection quasi assurée d’Ibrahim Boubacar Keita est appréhendée avec scepticisme et résignation par la communauté internationale.

À Bamako, entre les deux tours de l’élection présidentielle, un Malien tenant une pancarte où il est écrit : « Non à la dictature de la fraude ». Michele Cattani/AFP

« Pour la première fois dans l’histoire de la démocratie malienne, un président en exercice est contraint à un 2e tour », déclarait Soumaïla Cissé, qualifié lui aussi au premier tour de l’élection présidentielle. Mais l’opposition ne se fait guère d’illusions : disposant d’un score de 41 % des voix dès le premier tour et de la mainmise sur l’appareil électoral, Ibrahim Boubacar Keïta (dit IBK) sera normalement réélu président du Mali pour cinq ans après le second tour qui se jouera ce dimanche.
Après plusieurs jours de flou dans un climat tendu, la Cour constitutionnelle malienne a tranché : ni les multiples cas de fraudes reportés ni les 871 bureaux de vote qui n’ont pas ouvert ne constituent des motifs suffisants pour invalider les résultats du premier tour. Du côté de l’Union européenne, on veut à tout prix éviter de plonger le pays dans une crise électorale majeure : « À l’approche du second tour, il serait souhaitable que les autorités prennent toutes les mesures nécessaires de manière à garantir le droit de vote à tous les électeurs », s’est contenté de déclarer la chef de la mission de l’UE, Cécile Kyenge.
Au Mali, IBK est pourtant loin de faire l’unanimité. L’absence d’infrastructures publiques (écoles, hôpitaux, routes) agace la population, et le chômage des jeunes inquiète, à l’aube d’un choc démographique majeur (50 % de la population a moins de 14 ans). Les inégalités territoriales sont aussi au cœur des revendications : 5 ans après l’opération Serval, le nord du pays est toujours contrôlé par les multiples groupes armés locaux (jihadistes de l’État islamique, sécessionnistes de l’Azawad, ex-mercenaires de Kadhafi…). Pire encore, ces conflits s’étendent progressivement vers le centre du Mali, autour de la ville de Mopti, sans que les forces de sécurité ne parviennent à y mettre fin. Mal équipée et réputée pour ses bavures (dont la dernière à Boulkessy a conduit à l’exécution de 12 civils), l’armée malienne est incapable d’assurer la sécurité de la population. Dernier exemple en date, elle n’a pas su prévenir les multiples incidents qui ont émaillé le premier tour sur l’ensemble du territoire, où des bandes armées ont pris d’assaut de nombreux bureaux de vote.


(Lire aussi : En patrouille sur la "route de la mort" dans le nord du Mali)


Cavalier seul
Le président Keïta a pourtant bénéficié au cours de ces 5 dernières années d’un financement massif de la communauté internationale pour développer son pays (estimé à un milliard de dollars chaque année). Sur le plan militaire, la force G5 Sahel, qui réunit le Mali, le Niger, la Mauritanie, le Burkina Faso et le Tchad, a ainsi pu voir le jour grâce aux financements de l’Arabie saoudite et de l’UE. Sa mise en place a toutefois été laborieuse, la faute à un montage financier difficile à boucler et aux dissensions entre bailleurs de fonds et pays membres. La communauté internationale est exaspérée par l’inefficacité et les détournements de l’aide qu’elle octroie au Mali (43 % selon les estimations du FMI) et a exigé un droit de regard sur les dépenses du dispositif, ce qui n’a pas manqué de créer des tensions avec les pays membres. De son côté, malgré son soutien de façade, la France préfère jouer cavalier seul. Elle donne la priorité à son opération Barkhane et ne manque pas de tisser au Nord-Mali des alliances avec des groupes armés, sans attendre l’aval de Bamako. Ces multiples marques de défiance témoignent de la dégradation des relations entre l’administration du président Keïta et les puissances occidentales.
N’en déplaise toutefois à la communauté internationale, la sortie de la crise malienne ne pourra pas faire l’économie d’une coopération étroite avec la nouvelle administration d’IBK. Depuis 2013, la réponse militaire a ignoré la nécessité de se concerter avec le gouvernement et les acteurs locaux pour lancer la reconstruction du Mali, ce qui explique ses résultats décevants. « Pour la communauté internationale, la volonté de rééquilibrer le couple développement/sécurité en faveur du développement est réelle, mais elle souffre de la priorité donnée à la lutte antiterroriste au cours des dernières années », note ainsi Yvan Guichaoua, enseignant-chercheur à la Brussels Schools of International Studies, interrogé par L’Orient-Le Jour. Ce tropisme, qui consiste à penser qu’il faut d’abord assurer la stabilisation par des moyens militaires afin de permettre aux « développeurs » de finir le travail, a fait son temps. Un paysage politique totalement refaçonné par la lutte antiterroriste, qui exclut certains acteurs et en érige d’autres en décideurs locaux, n’est pas propice aux initiatives de développement. Au centre et au nord du Mali, la faible participation au scrutin témoigne de ce climat politique dégradé. Si la communauté internationale veut apaiser les tensions sur l’ensemble du territoire malien, toutes les communautés locales doivent être conviées à la table des négociations. Et malgré le peu de crédit dont jouit Ibrahim Boubacar Keïta dans son pays ou à l’étranger, il ne faudra pas omettre de lui adresser son carton d’invitation cette fois-ci.


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