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Nos Lecteurs ont la Parole - par Sylvain THOMAS

L’héritier d’une petite fortune

Vivre une conception de vie calme, sereine et heureuse, « piano, piano », ce n’est pas donné à tout le monde mais seulement aux « petits héritiers ». L’existence du commun des mortels n’a rien d’héroïque. C’est un ensemble d’occupations bien monotone : l’on mange et l’on dort, on rencontre des ami(e)s à qui l’on dit bonjour avec une conversation agréable puis c’est un au revoir avec un rendez-vous puis on se réunit, on fait des dîners, et des dîners, jusqu’au dernier repas d’adieu; l’on pleure et l’on rit ; le lendemain on arrose les fleurs de son balcon, en regardant tranquillement le voisin d’en face avec un sourire bienveillant. C’est le destin d’un nombre restreint « d’héritiers » de petites fortunes qui ont compris à leur façon qu’ils sont faits pour vivre une destinée pleine d’insouciance.
Comment jouir de l’existence ? Telle est la seule et unique question à laquelle certains héritiers accordent quelque importance. Sans prétendre à la perfection ni s’efforcer d’atteindre l’inaccessible, ils acceptent l’homme tel qu’il est, comme un simple mortel. Ils se demandent simplement comment ils doivent s’organiser pour travailler dans la paix, souffrir dans la dignité et vivre dans le bonheur. L’humanité a besoin de cette sage et joyeuse conception de la vie du « petit héritier ». D’après lui, l’homme moderne prend les choses bien trop au sérieux : de là viennent tous les malheurs qui assaillent la plupart de ses semblables.
La culture est essentiellement le fruit du loisir. Du point de vue de cette catégorie spéciale de mortels, paresser avec sagesse est la marque de l’homme cultivé. Il semble, en effet, qu’il soit impossible d’être à la fois sage et affairé, des sages qui ne veulent pas être trop affairés, et parmi ceux qui sont trop affairés ces derniers ne peuvent pas être des sages, ces sages rejettent le souci du rendement, la manie de l’exactitude et du désir d’arriver à un but coûte que coûte. C’est cela qui rend malheureux souvent et très inquiet les autres personnes. C’est cela qui les privent du droit inaliénable d’aller flâner et de passer des journées de merveilleux farniente sous le beau soleil du jour et des belles étoiles la nuit.
Il y a même une philosophie dans la façon dont les « petits héritiers » se prélassent dans des fauteuils. Ils s’assoient dans un fauteuil pour être à leur aise. Ainsi quand ils sont chez des ami(e)s ils cherchent à s’installer confortablement sur un fauteuil. Les hôtes témoignent du respect à ce genre d’invités. En faisant comme chez soi, ils sont aidés dans l’art délicat de l’hospitalité. Combien de maîtresses de maison s’inquiètent quand ces invités particuliers qui ont le titre de petits « héritiers » hésitent à les mettre à l’aise, à être tout simplement eux-mêmes ! Ils ont toujours beaucoup de facilité de la part de ceux qui les reçoivent pour les aider à mettre un pied sur la table à thé ou sur le meuble le plus proche du canapé.
Toute bonne philosophie pratique doit reconnaître l’importance de l’estomac. Comme l’esprit d’un « petit héritier » s’échauffe devant un vrai festin ! Il s’en rapporte à l’instinct, et l’instinct lui dit : « Quand l’estomac va, tout va. » Il ne met donc aucune retenue à manger avec entrain. Pour ce qui est des convenances, la psychologie lui enseigne que, s’il n’exprime pas ses joies de la gourmandise, il cesse bientôt de la ressentir. Ainsi naît la tristesse. Donc, il faut se réjouir des repas avalés avec satiété.
Tout le bonheur humain, c’est le contentement physique. La philosophie doit restituer au corps, avec ses divers sens : goût, odorat, vue, ouïe, toucher, la confiance que mérite ce magnifique appareil réceptif. Ils ne cherchent pas à se faire autres que ce qu’ils sont.
On objectera que ce principe qui leur enseigne simplement à jouir de l’existence puisse sembler laisser de côté tout sens social. Pour invoquer cet argument, il faut ignorer la gentillesse de caractère de qui chérit vraiment la vie. L’amour de ses semblables ne doit pas être une question de conviction intellectuelle. Ce doit être un sentiment spontané, jaillissant naturellement d’une âme saine en contact étroit avec la nature. Pour qui aime sincèrement les arbres, il est impossible d’être cruel envers les animaux ou envers le prochain. La nature est un extraordinaire sanatorium. Les arbres, les rochers majestueux et silencieux ont des propriétés curatives pour les appétits de la chair et pour les maladies de l’âme : égocentrisme, déformations spirituelles, sans compter le mépris, la haine, la prétention et toutes les formes de désordre moral. La bienveillance est naturelle dans un esprit parfaitement sain.
Ils considèrent l’esprit de mesure comme l’idéal le plus élevé de la culture humaine. Nul ne peut être parfait. On ne peut que tendre à devenir sympathique et raisonnable. Ils ne peuvent pas imaginer des maris et des épouses parfaits qui ne se querelleraient jamais; ils peuvent simplement concevoir des époux et des épouses raisonnables qui se querellent raisonnablement et raisonnablement se réconcilient.
Par-dessus tout, pour le « petit héritier », tant que la simplicité n’est pas sa force vive, il ne croit pas qu’on puisse considérer une civilisation comme parachevée. La sagesse de la vie consiste à éliminer tout ce qui n’est pas essentiel et à trouver sa joie dans ce qui lui est le plus proche : le foyer, la vie quotidienne et la nature. Il est sûr que derrière le remue-ménage et le tohu-bohu de certaines personnes privées de petites fortunes se cachent un profond désenchantement, un désir insurmontable de s’étendre sur l’herbe à l’ombre de grands et beaux arbres, sans rien faire. Même s’il a honte du mot flâner, c’est quand il flâne qu’il peut s’écrier de toute son âme : « La vie est belle ! »
C’est vrai : « Le travail, c’est la santé » mais, encore mieux pour le « petit héritier » : « Ne rien faire, c’est la conserver. »

Vivre une conception de vie calme, sereine et heureuse, « piano, piano », ce n’est pas donné à tout le monde mais seulement aux « petits héritiers ». L’existence du commun des mortels n’a rien d’héroïque. C’est un ensemble d’occupations bien monotone : l’on mange et l’on dort, on rencontre des ami(e)s à qui l’on dit bonjour avec une...

commentaires (1)

suis pas totalement d'accord avec le déroulement de la vie décrite du "petit héritier", mais là où je suis en total désaccord avec l'auteur de l'article; c'est l'usage des passerelles entre petit-héritier et sage. L'on a l'impression que quand on n'a pas une vie quotidienne chronométrée, le potentiel de devenir sage est plus grand. En plus, l'article élit comme une meilleure vie celle du rentier. Cela étant, le texte est super bien écrit comme à chaque fois.

Shou fi

18 h 09, le 30 octobre 2018

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Commentaires (1)

  • suis pas totalement d'accord avec le déroulement de la vie décrite du "petit héritier", mais là où je suis en total désaccord avec l'auteur de l'article; c'est l'usage des passerelles entre petit-héritier et sage. L'on a l'impression que quand on n'a pas une vie quotidienne chronométrée, le potentiel de devenir sage est plus grand. En plus, l'article élit comme une meilleure vie celle du rentier. Cela étant, le texte est super bien écrit comme à chaque fois.

    Shou fi

    18 h 09, le 30 octobre 2018

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