Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Reportage

En Turquie, le (très) long combat des LGBT pour leurs droits

Bien organisée et militante, la communauté LGBT de Turquie est régulièrement stigmatisée par le gouvernement. Malgré l’interdiction de nombreuses manifestations, elle continue de se mobiliser pour défendre ses droits au sein d’une société majoritairement conservatrice.

Des membres de la communauté LGBT lors de la Gay Pride à Istanbul, le 1er juillet 2018. Osman Orsal/Reuters

Au milieu des tablées de buveurs de raki, l’alcool national turc, seule une petite affiche colorée, ornée d’une tête de licorne, annonce la tenue de l’événement : soirée préolympique 2018. Cinq étages plus haut, sur le rooftop de ce bar du quartier de Beyoglu à Istanbul, non loin de la célèbre avenue Istiklal, Elif assure l’accueil des premiers fêtards. « Avec cette soirée, nous espérons collecter des fonds pour la deuxième édition des Queer Olympix qui aura lieu dans quelques jours », explique cette membre de l’association Atletik Dildoa. Toute l’année, ce collectif stambouliote organise des rencontres sportives destinées aux LGBT. Et cet été, durant trois jours, ces olympiades queer vont réunir une nouvelle fois des gays, des lesbiennes et des transsexuels venus de toute la Turquie. Au programme : tournois de foot et de beach-volley, athlétisme, natation, mais aussi des ateliers pour apprendre à encourager son équipe sans insulter l’adversaire. « L’idée, c’est d’abord de s’amuser tout en faisant passer le message que les personnes LGBT peuvent très bien faire du sport, au même titre que les hétérosexuels », enchaîne Elif. L’initiative est soutenue par la municipalité du quartier de Kadiköy, dirigée par le principal parti d’opposition, le CHP (centre-gauche, laïc). « La principale difficulté, c’était d’obtenir l’autorisation de louer un terrain, précise Elif. Nous avons donc insisté sur le fait que les Queer Olympix étaient d’abord une manifestation sportive avant d’être une manifestation LGBT. »


(Pour mémoire : En Turquie, les femmes refusent de se soumettre)

Visibilité
Il faut dire que, depuis 2013 et les vagues de protestation contre la politique du gouvernement, les associations LGBT sont dans le viseur d’un régime turc de plus en plus autocratique. Au pouvoir depuis 2003, l’AKP, le parti islamo-conservateur du président Recep Tayyip Erdogan, se crispe désormais face à toute forme d’activisme. Symbole de cette répression ? L’annulation répétée depuis quatre ans de la Gay Pride d’Istanbul – officiellement pour des raisons de sécurité –, comme cela a de nouveau été le cas, il y a quelques semaines, pour l’édition 2018. « Et encore, il y a eu du mieux cette année : le gouverneur d’Istanbul nous a au moins autorisés à nous réunir quelques minutes, pas loin de la place Taksim, pour lire un communiqué de presse », soupire Yasemin Öz, une militante LGBT d’une quarantaine d’années. En marge de ce rassemblement très encadré par les forces de l’ordre, onze personnes ont été interpellées pour avoir tenté de braver l’interdiction de manifester. Parmi elles, un couple de lesbiennes, « coupables » de s’être embrassées fougueusement devant des policiers. « C’est important pour nous d’être visibles, de ne pas nous cacher, reprend Yasemin Öz. Voilà pourquoi nous refusons d’organiser notre défilé dans un quartier périphérique d’Istanbul, comme le souhaiteraient les autorités. Elles autorisent bien des rassemblements festifs en plein centre-ville après certains matchs de foot, alors pourquoi pas la Gay Pride ? »
Cette avocate au franc-parler fait partie des pionnières de la lutte pour les droits des personnes LGBT en Turquie. « Quand j’étais adolescente dans une petite ville de l’ouest du pays, je me posais beaucoup de questions sur moi-même, sur mon identité sexuelle, mais je n’avais personne avec qui discuter de cela. C’était impossible pour moi de dire à l’un de mes proches : je suis lesbienne. À l’époque, il n’y avait que quelques artistes qui osaient faire publiquement leur coming-out », se remémore-t-elle. Devenue étudiante à Ankara, la capitale turque, au milieu des années 90, Yasemin Öz entend parler d’une association, Kaos GL, qui publie un magazine à destination des personnes LGBT. « Je voulais enfin me sentir vraiment moi-même, alors je me suis rendue à l’une de leurs réunions hebdomadaires. Nous n’étions pas nombreux, une vingtaine d’adhérents tout au plus. Comme j’étudiais le droit, je me suis dit que cela pourrait servir le mouvement, et c’est comme ça que je suis devenue militante LGBT ! »


(Pour mémoire : Un homosexuel syrien décapité à Istanbul)


Contre les valeurs de la nation
Avec Kaos GL, Yasemin Öz tente de faire évoluer les mentalités d’une partie de la société turque très à cheval sur les questions de mœurs. « Aujourd’hui encore, cela reste délicat d’afficher ouvertement son homosexualité dans la rue », commente cette militante qui aborde pourtant fièrement un tee-shirt avec un drapeau arc-en-ciel, le symbole de la communauté LGBT. « Moi-même en tant qu’activiste, j’ai dû attendre d’avoir 40 ans pour trouver le courage de parler ouvertement aux médias grand public. » La représentation médiatique des personnes LGBT, c’est justement le sujet qui préoccupe l’un de ses camarades au sein de l’association, Yildiz Tar. Ce journaliste de 28 ans est rédacteur en chef du site internet de Kaos GL depuis 2013 : « En Turquie, les médias généralistes abordent rarement les questions liées aux LGBT, il y a beaucoup de censure. Ou alors, quand ils le font, c’est souvent de manière négative et stéréotypée ; soit pour se moquer, soit pour véhiculer des messages de haine. » Des discours rétrogrades, parfois promus directement par des membres du gouvernement. Ainsi en 2010, la ministre de la Famille et des Femmes avait qualifié l’homosexualité de « maladie devant être soignée », provoquant un tollé parmi les associations de défense des droits de l’homme. L’an dernier, c’est Recep Tayyip Erdogan, lui-même, qui déclarait que « soutenir les mouvements LGBT était contre les valeurs de la nation ».
Décomplexés par ces prises de position des autorités, certains individus se croient ensuite autorisés à adopter des comportements brutaux envers les personnes LGBT. Yildiz Tar en a fait les frais lorsqu’il était encore étudiant dans une université d’Istanbul. « Je regardais un match de foot dans un bar quand un groupe d’une dizaine de garçons a commencé à me traiter de pédé. À l’époque, je m’habillais de façon assez extravagante, je ne cherchais pas du tout à cacher mon orientation sexuelle », confie-t-il entre deux bouffées de cigarettes. « Je leur ai demandé d’arrêter de m’insulter, alors ils ont attendu la fin du match et m’ont roué de coups à la sortie du bar. C’est une expérience très traumatisante, mais j’ai la chance d’être encore en vie, contrairement à d’autres personnes homosexuelles qui ont été tuées dans la rue ! » En 2016, une prostituée transgenre, Hande Kader, était retrouvée morte à Istanbul, le corps mutilé et brûlé vif. Cette militante était devenue une icône de la communauté LGBT après s’être opposée pacifiquement à des policiers lors de la Gay Pride. Quelques années plus tôt, Ahmet Yildiz était lui aussi assassiné. Le meurtrier soupçonné ? Son père, à qui le jeune homme venait d’annoncer qu’il était gay.
L’obscurantisme frappe aussi les parents d’enfants LGBT, faute souvent d’informations sur le sujet. C’est pour cela que l’association Listag a été créée en 2008, afin d’apporter un soutien aux familles dans leur ensemble. « La plus grande peur des parents qui apprennent qu’ils ont un fils ou une fille LGBT, c’est le qu’en-dira-t-on », explique Metehan Özkan, l’un des fondateurs de Listag. « Ils craignent la réaction de leurs voisins, de leurs amis... Cela entraîne souvent des comportements de rejet, voire parfois même de la violence... » Nimer, une membre de l’association, se souvient très bien de ce qu’elle a ressenti quand sa fille lui a révélé son homosexualité : « Je croyais qu’elle allait m’annoncer qu’elle partait vivre à l’étranger, alors quand ma fille m’a dit qu’elle était lesbienne, je suis restée sans voix... J’ai pleuré pendant des mois, je n’arrêtais pas de me demander ce que j’avais pu faire de mal. » Finalement, Nimer rejoint Listag et finit par trouver des réponses à ses questions. « On m’a dit que je n’étais pas responsable de la situation, que c’était la nature et qu’on ne pouvait rien y faire. Soudain, toute la colère que je pouvais ressentir contre mon enfant a disparu. Finalement, je suis fière que ma fille ait eu le courage de faire son coming-out », confie-t-elle en souriant.

Première élue ouvertement homosexuelle
Pour lutter contre les préjugés, Sedef Çakmak, une militante LGBT, a décidé elle de s’engager en politique. Membre du CHP (le principal parti d’opposition), elle est ainsi devenue la première élue ouvertement homosexuelle de Turquie, lors des élections municipales de 2014. « J’ai été surprise, je pensais que je rencontrerais plus de critiques durant la campagne. Après, je sais aussi que je me suis présentée dans un arrondissement, Besiktas, qui a la réputation d’être l’un des plus progressistes d’Istanbul. Cela n’aurait sans doute pas été possible dans d’autres quartiers, plus conservateurs. »
Lors de sa prise de fonctions il y a quatre ans, Sedef Çakmak constate malgré tout que beaucoup de ses nouveaux collègues connaissent mal les problématiques liées aux personnes LGBT. « J’ai donc décidé d’organiser des sessions d’informations : qu’est-ce qu’une lesbienne, qu’est-ce qu’une personne transgenre, quels genres de difficultés peuvent-ils rencontrer dans leur vie quotidienne ? » détaille-t-elle. Au fil des mois, tous les employés de la mairie de Besiktas, des conseillers municipaux à la personne responsable de l’accueil, sont ainsi sensibilisés à la question LGBT. « Souvent, les personnes transsexuelles ont peur de se rendre dans les institutions publiques, car elles y sont victimes de discriminations. Parfois, on ne les laisse même pas entrer à l’intérieur du bâtiment. Mais ici, à la municipalité de Besiktas, les choses se passent bien désormais. Ce n’est qu’un tout petit pas mais c’est quand même un pas important ! » Avec la réélection, le mois dernier, de Recep Tayyip Erdogan pour un nouveau mandat présidentiel de cinq ans, la Turquie s’apprête à poursuivre le virage autoritaire et conservateur entamé depuis 2013. Mais les défenseurs des droits des LGBT ne baissent pas les bras. « Le gouvernement peut ordonner la fermeture de toutes nos associations, mais il ne pourra jamais nous empêcher de nous rassembler d’une manière ou d’une autre », affirme, confiante, Yasemin Öz. « Grâce à notre militantisme depuis des années, une partie de la société est devenue très ouverte sur les questions LGBT. Personne, pas même l’État, ne pourra nous faire revenir en arrière. »


Pour mémoire
Turquie : Un gay candidat au poste de maire, une première

« Enfant, on me disait que les homosexuels brûleraient en enfer »

Au milieu des tablées de buveurs de raki, l’alcool national turc, seule une petite affiche colorée, ornée d’une tête de licorne, annonce la tenue de l’événement : soirée préolympique 2018. Cinq étages plus haut, sur le rooftop de ce bar du quartier de Beyoglu à Istanbul, non loin de la célèbre avenue Istiklal, Elif assure l’accueil des premiers fêtards. « Avec...
commentaires (1)

REGIME IS KILAMIQUE AVEC DROITS DES LGBT CA NE COLLE PAS !

LA LIBRE EXPRESSION SE DECONNECTE

20 h 06, le 28 juillet 2018

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • REGIME IS KILAMIQUE AVEC DROITS DES LGBT CA NE COLLE PAS !

    LA LIBRE EXPRESSION SE DECONNECTE

    20 h 06, le 28 juillet 2018

Retour en haut