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Moyen Orient et Monde - Éclairage

La minorité druze syrienne en proie au terrorisme et à l’instrumentalisation

Certains pans de l’opposition syrienne et des responsables communautaires accusent le régime syrien de s’accommoder des attaques terroristes contre la minorité druze.

La télévision d’État a diffusé hier en direct les funérailles de victimes à Soueida. Une dizaine de cercueils recouverts du drapeau syrien ont été posés au centre d’une grande salle bondée. Des hommes ont arboré des portraits des victimes, d’autres, armes à bout de bras, ont dansé, sous les applaudissements, en hommage aux victimes. AFP photo/SANA

Durant sept ans, la communauté druze de Soueida avait relativement bien réussi son pari difficile de rester un non-sujet de la guerre syrienne. Soueida est le chef-lieu de la province du même nom administrée par le régime syrien, dont les quelque 375 000 habitants sont à 90 % druzes. Une poignée a rejoint les rangs de la rébellion, tandis qu’une majorité campe sur une loyauté défensive minimale au régime de Bachar el-Assad. Mercredi, le coupe-gorge du Sud-Ouest syrien, où les forces pro-Assad combattent les dernières poches insurrectionnelles tenues par le Jaïch Khalid Ibn Walid, affidée locale de l’État islamique, s’est brutalement refermé sur la communauté. Quatre kamikazes de l’EI se sont d’abord fait exploser dans la ville de Soueida aux premières heures de la journée. Simultanément, plusieurs petits commandos jihadistes ont effectué des descentes dans les villages du nord de la province. Des habitants y ont été assassinés dans leur maison. Le bilan est grimpé à 252 morts hier, des chiffres fournis par l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Il s’agit là de l’un des plus lourds tributs infligés par l’EI en Syrie depuis le début du conflit. Les funérailles de plusieurs des victimes ont été retransmises hier en direct sur la télévision publique syrienne.

Les précédentes offensives finales contre les bastions de l’EI en Irak et en Syrie ont montré que les pires déchaînements de violence coïncident avec la déperdition territoriale des jihadistes. Concentrant tout l’effort de guerre du régime, qui en a fini avec les autres groupes rebelles dans la région, l’EI sort sa dernière carte consistant à suroccuper les esprits à défaut de pouvoir définitivement maîtriser le sol. L’offensive de la coalition des forces pro-Assad est néanmoins laborieuse dans cette zone mi-désertique, mi-montagneuse. Le flanc est de Soueida, où l’EI défend ses dernières lignes, est naturellement fortifié par le relief, idéal pour monter des embuscades sur un adversaire obligé d’avancer à découvert.

Le régime et l’opposition syrienne ont chacun apporté leur réponse à la question « à qui profite le crime ? » Une partie des rangs de l’EI opérant sur le Golan syrien est constituée des « résidus » du camp palestinien de Yarmouk, qui borde la capitale Damas au Sud. Lorsque le camp était sur le point d’être repris par le régime fin mai, les derniers jihadistes avaient été transportés par bus avec leurs proches vers des zones désertiques, dont la Badiya, à l’est de Soueida. C’est de là que sont partis les auteurs du bain de sang mercredi matin. « Le régime a déplacé environ un millier de combattants de Yarmouk vers Badiya, à l’est de Soueida », affirme Leila Kiki, directrice exécutive de The Syria Campaign, une ONG qui a notamment popularisé l’action des Casques blancs. « Cette attaque ne serait pas arrivée sans la facilitation du régime. C’est un chantage aux habitants, une façon de dire : lorsque vous ne soutenez pas totalement le régime, vous en payez le prix. » Walid Joumblatt a également soufflé l’idée d’une collusion entre Damas et l’EI. « Comment ces groupes de Daech sont-ils arrivés si vite à Soueida et ses alentours, et ont commis leurs crimes (…) ? Le régime héroïque n’a-t-il pas prétendu, après la bataille de la Ghouta, qu’il n’y avait plus de danger Daech ? » s’est interrogé le chef druze libanais dans une série de tweets. « L’unique crime des cheikhs de la dignité est d’avoir refusé de s’enrôler dans l’armée » du régime, a-t-il ajouté. Les cheikhs de la dignité est le seul vrai mouvement politique druze à avoir émergé durant la guerre syrienne, dans une communauté adverse au bouleversement du fait de sa minorité politique. Son leader, le cheikh Wahid al-Bal’ous, appelait à un changement de régime si Bachar el-Assad ne « s’engageait pas à préserver la Syrie ». Mais le mouvement n’a jamais catégoriquement prôné l’option révolutionnaire, lui préférant une « troisième voie » consistant à réformer localement le régime en place. La nuance avait été mal comprise. Cheikh al-Bal’ous et plusieurs de ses associés ont été mortellement fauchés par une bombe qui a explosé sur leur passage à Soueida le 4 septembre 2015.


(Lire aussi : Le Hezbollah dénonce le carnage de Soueida, pointe du doigt les Etats-Unis)


Massacre à double tranchant
Tobias Lang, spécialiste autrichien de la minorité druze et animateur du blog MENA minorities, prône cependant la prudence à propos des « théories conspirationnistes ». « Des rumeurs (d’une connivence Damas-EI) ont déjà circulé avant les attentats contre les druzes à Soueida et sur le mont Hermon. On a vu des protestations majeures et de nouveaux leaders émerger dans de pareilles situations d’insécurité en 2014/2015, quand le régime était accusé de “laisser les druzes se battre seuls”. Les hommes du mouvement de la Dignité ont, dans ce contexte, pallié puis défié le monopole de la force par le régime à Soueida », explique l’analyste.

Les mouvements contestataires qui ont émergé à partir de 2014 à Soueida ont marginalement remis en cause le régime Baas. Les revendications portaient davantage sur la pauvreté de l’administration et la dérogation au service militaire. Damas a traité ces complications avec une aptitude inhabituelle au compromis, allant jusqu’à limoger en 2014 le chef de la branche locale des renseignements militaires Wafiq Nasser « sur demande » des manifestants, après que l’un des meneurs religieux eut été arrêté. La délicatesse du régime dans ce cas précis est originale. Se présenter comme le bouclier des minorités syriennes face à une opposition sunnite radicalisée est un élément de langage privilégié de Bachar el-Assad. Le massacre de mercredi pourrait être à double tranchant pour la publicité du régime, soit en corroborant le discours du « moindre mal » face à l’islamisme, soit au contraire en soulignant l’incapacité de Damas à servir son rôle de rempart. « Les deux peuvent se produire. Un soutien accru au régime et en même temps des forces plus critiques comme le mouvement de la Dignité, suppose M. Lang. Le régime peut saisir l’opportunité de resserrer son contrôle sur la province qui évolue vers l’anarchie. »



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