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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Le nouveau régime turc est-il vraiment présidentiel ?

L’élargissement de la palette des prérogatives du chef de l’État aux dépens des autres pouvoirs semble attester encore plus du caractère autoritaire du pouvoir à Ankara.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan annonçant la composition de son nouveau gouvernement après avoir prêté serment, à Ankara, le 9 juillet 2018. Adem Altan/AFP

Investi lundi dernier, le président turc Recep Tayyip Erdogan a été reconduit à la tête de son pays pour cinq années supplémentaires. Le chef de l’État entame ce second mandat avec une palette de pouvoirs renforcés, faisant de lui le dirigeant le plus puissant que la Turquie contemporaine ait connu depuis sa fondation par Mustapha Kemal Atatürk.

Après l’entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle adoptée par la victoire du « oui » au référendum d’avril 2017, à plus de 51 % des voix, la Turquie a changé de système politique en passant d’un régime parlementaire à un régime présidentiel. Ainsi, le chef de l’État concentre désormais l’ensemble, ou presque, du pouvoir exécutif. Mais quels sont ces pouvoirs ? D’abord, il est devenu à la fois le chef de l’État et le chef du gouvernement. Cela vaut au poste de Premier ministre, naguère occupé par Binali Yildirim, d’être rayé de la hiérarchie politique du pays. Le président peut, entre autres, nommer les recteurs d’académie, les chefs d’état-major ainsi que le gouverneur de la Banque centrale. Dans le domaine judiciaire, le chef de l’État peut nommer douze des quinze membres du Conseil constitutionnel, ainsi que six membres du Conseil des juges et des procureurs (HSK), chargé de nommer ou de destituer les membres du personnel judiciaire. Le Parlement, lui, choisit les sept autres.En ce qui concerne le pouvoir législatif, M. Erdogan peut prendre des décrets présidentiels dans les différents domaines relevant de son interminable éventail de compétences. S’il ne peut promulguer de décrets présidentiels sur des sujets déjà encadrés par la loi, il dispose néanmoins tout de même d’un droit de veto sur les actes du Parlement. Il a également la possibilité de proclamer l’état d’urgence en cas de « soulèvement contre la patrie, ou d’actions violentes qui mettent la nation (…) en danger de se diviser ». Il devra toutefois en référer au Parlement qui pourra alors décider de raccourcir sa durée, de la prolonger ou d’y mettre fin. Ainsi, même si le président est omniprésent sur toutes les couches du pouvoir, le Parlement aura toujours la capacité d’élaborer, d’abroger et d’amender des projets de loi. Donc, théoriquement, le Parlement, avec l’instauration de cette réforme, n’a pas perdu tout pouvoir. Il conserve son domaine d’action, mais sera sous la surveillance du président.
Cette omniprésence sur les trois pouvoirs fait-elle du « reïs » turc le chef d’un régime véritablement « présidentiel » ou doit-on y voir une dérive « présidentialiste » ?


(Lire aussi : Erdogan sacré, l’opposition déjà sur les dents)


Régime de façade ?
Avant l’adoption de la réforme constitutionnelle, la Turquie était un régime semi-parlementaire. Le président nommait le Premier ministre, lui-même chargé de former le gouvernement. Et dans un tel système, c’est le chef du gouvernement, et non le président, qui est responsable devant le Parlement. Mais puisque le régime présidentiel adopté en Turquie a supprimé le poste de Premier ministre, et que le président est devenu à la fois le chef de l’État et du gouvernement, est-il dorénavant responsable devant la Chambre ? « Même si le président concentre l’essentiel du pouvoir, il reste quand même responsable devant ses députés. Mais ces derniers ont été nommés par lui et ont grandi au sein de son parti (AKP), donc il n’y a aucune possibilité pour que le rapport de force, qui se situe à la limite du filial, change », explique à L’Orient-Le Jour Guillaume Perrier, ancien correspondant du journal Le Monde en Turquie et auteur de Dans la tête de Recep Tayyip Erdogan (Solin/Actes Sud). « Il est absolument improbable que la majorité qu’il a aujourd’hui puisse se retourner contre lui. Certes, il y a une possibilité dans les textes que ce genre de responsabilité devant le Parlement puisse exister, mais dans la pratique c’est autre chose », ajoute-t-il.
Des doutes persistent toutefois sur la nature exacte du nouveau régime turc. En effet, un régime politique est qualifié de « présidentiel » lorsque le président est le chef d’un pouvoir exécutif monocéphale (« à une seule tête »), c’est-à-dire qu’il est à la fois le chef de l’État mais aussi du gouvernement. Un régime présidentiel exige également une séparation stricte des pouvoirs. C’est par exemple le cas aux États-Unis.

Mais on parle de régime « présidentialiste » lorsque l’équilibre entre les trois pouvoirs est fragile ou brisé, et que le président concentre une grande partie des pouvoirs entre ses mains. Et c’est ce cas qui semble s’appliquer en Turquie. « Dans un régime présidentiel, il y a un équilibre et une séparation des pouvoirs, ce qui n’est pas le cas ici. C’est un régime pleinement autocratique. Et le terme de ”présidentiel“ dans les textes est juste employé pour préserver les apparences d’une démocratie », explique Guillaume Perrier. « En Turquie, parler de régime ”présidentiel“, à l’image des États-Unis, est une manière de faire passer les réformes comme étant le résultat d’une réflexion démocratique dans un pays où les institutions sont stables, ce qui n’est clairement pas le cas. C’est pour atténuer cette transition de régime qu’on a tendance à utiliser des euphémismes comme ceux-là », conclut-il.


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commentaires (2)

Surtout plus que jamais un régime fasciste

Sarkis Serge Tateossian

23 h 44, le 13 juillet 2018

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Commentaires (2)

  • Surtout plus que jamais un régime fasciste

    Sarkis Serge Tateossian

    23 h 44, le 13 juillet 2018

  • C,EST UN REGIME PLUS QUE TYRANIQUE CAR IL SE VEUT SULTANIQUE ET OTTOMAN DONC CRIMINEL !

    JE SUIS PARTOUT CENSURE POUR AVOIR BLAMER GEAGEA

    08 h 02, le 13 juillet 2018

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