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Moyen Orient et Monde - Portrait

Les nombreuses vies de Haïfa al-Amine

À Nassiriya, capitale de la province de Dhi Qar, une communiste irakienne vient de remporter les dernières législatives. Cette ancienne résistante, aujourd’hui engagée pour les droits des femmes et une politique irakienne nationaliste et civile, inspire à la fois respect et crainte à ses détracteurs.

Haïfa al-Amine, candidate du Parti communiste irakien pour la province de Dhi Qar, a remporté les élections législatives du 12 mai 2018. Sebastian Castelier

Une portière s’ouvre. Une femme en sort, lunettes mouche sur le nez, écharpe sur les épaules. Un policier en treillis militaire bleu s’avance vers elle et l’aborde avec respect : « Madame, il faut faire quelque chose pour nos logements, beaucoup n’ont pas accès à l’eau courante. » Haïfa al-Amine écoute puis promet à l’homme de nombreux changements. Devant l’office du Parti communiste, le soleil chaud de Nassiriya vire à l’orange. Les portraits des camarades martyrs tombés sous la répression de Saddam Hussein s’assombrissent sous l’égide d’un immense cadre de Che Guevara. « Ici, on m’appelle “la femme qui serre la main des hommes” », prévient d’emblée la nouvelle élue.

À 59 ans, la députée communiste touche l’apogée de sa carrière politique après des années de fuites, de luttes et de combats. Membre du parti dès 1977, la nouvelle élue peut se targuer d’avoir vécu plusieurs vies. À la fin des années 70, à l’aube de prendre la succession d’Ahmad Hassan al-Bakr, Saddam Hussein prépare son futur statut de numéro un. Vice-président, il neutralise toute opposition politique. À 18 ans, elle est arrêtée par le parti Baas, un an seulement après avoir rejoint la faucille et le marteau. Elle est relâchée car jeune femme. D’autres n’ont pas sa chance. « Mes deux meilleures amies ont été exécutées plus tard avec leurs maris. Les communistes étaient arrêtés, placés en prison et exécutés. Donc les sympathisants ont commencé à stopper leurs activités et réunions. » La jeune femme prend la fuite en République démocratique populaire du Yémen (Sud). Le gouvernement marxiste lui offre un passeport yéménite, un logement et la possibilité de continuer ses études. À Aden, Haïfa retrouve « plusieurs centaines » de camarades exilés et s’entraîne au maniement des armes à feu dans un camp militaire. « Je ne me sentais pas femme. J’étais libre de faire et d’agir. Le parti veillait à cette égalité hommes/femmes. »

Au début des années 80, la rébellion communiste irakienne annonce une lutte armée contre le régime de Saddam. Femmes comme hommes sont expédiés dans les maquis kurdes. « Les décisions ne se prenaient pas sans les femmes », se rappelle-t-elle. Depuis la Syrie, Haïfa rejoint le Kurdistan turc, puis irakien. « Ces dix jours de marche ont été les plus durs de ma vie. » Embuscades de gardes-frontières turcs, froid, crevasses, la traversée fait des victimes. Armées de kalachnikovs, les combattantes femmes affichent une détermination exacerbée. « Nous ne voulions pas paraître faibles. Alors, quand un homme tombait de fatigue, on le doublait », rit-elle. Durant une année, la communiste irakienne participe à plusieurs offensives contre le régime baasiste. « On avait plusieurs règles : ne kidnapper personne, ne pas tuer des innocents, ne pas attaquer des lieux civils comme écoles ou hôpitaux. » Haïfa participe également à des missions humanitaires et éducatives lors de ses furtifs passages dans la ruralité pauvre de Dohuk. Mais les combats s’intensifient de 1980 à 1983 contre plusieurs factions de la résistance kurde, alliées, puis ennemies. Enceinte, Haïfa doit se résoudre à une deuxième fuite. Après un passage par Moscou, elle obtient un statut de réfugiée en Suède.


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« On me considère comme une guerrière »
 « Quand je suis revenue en 2003, après l’invasion américaine, ma ville avait changé. » L’islamisme du parti chiite « al-Daawa » a investi la vie sociale. Les enfants apprennent à l’école à faire leurs ablutions suivant leur appartenance au chiisme ou au sunnisme. « Même chez moi… Mes sœurs étaient dans une pièce loin de mes frères. Quand des hommes arrivaient dans une salle, les femmes étaient priées de partir. » De longs voiles noirs « venus de la tradition iranienne » apparaissent dans les rues.

Décimé, le Parti communiste irakien rouvre ses antennes dans le pays. Haïfa al-Amine fait renaître l’historique siège de son oncle, le tout premier du pays, ouvert en 1934. Après de longues années de disette politique, accusé d’athéisme par une société toujours plus islamisée, pris dans l’étau d’une guerre civile à laquelle il est étranger, le PCI revient sur le devant de la scène. Son alliance avec la coalition « La Marche pour les réformes » chapeautée par l’un des plus influents dignitaires religieux d’Irak, Moqtada al-Sadr, lui a permis d’attirer aux urnes toutes les strates de la société. Battue avec 8 000 voix en 2014, Haïfa al-Amine a, cette année, récolté 50 % de plus de voix (12 395) contre son principal opposant, qu’elle présente comme « corrompu », sans vouloir le nommer. Même si elle a refusé de faire campagne voilée comme lui conseillait son entourage proche, Haïfa a séduit un large panel d’électeurs. « On me considère comme une guerrière et je tire mon respect de mon passé », dit-elle. Elle vient, pendant sa campagne, discuter avec les hommes partout où les femmes sont interdites. Dans son bureau, des chefs de grandes familles ou tribus se bousculent pour lui proposer leurs promesses de vote en échange de quelques centaines de dollars. Mais l’élue communiste reste ferme et refuse toute corruption. « Mon programme vise à améliorer l’éducation, la santé et l’emploi. » Dans la province de Dhi Qar, certaines écoles n’ont pas accès à l’eau courante, n’offrent pas toujours des toilettes et il y a plus de 70 élèves pour un instituteur dans les classes. « Les enfants ne vont que trois heures par jour à l’école car on a mis en place un système de rotation, vu le manque de place dans les écoles », affirme-t-elle, désolée. Quant à l’hôpital public, « il est tellement corrompu qu’un service privé, payant et plus rapide est proposé aux patients. Et ce supplément d’argent va dans les poches de ces fonctionnaires corrompus ». Haïfa al-Amine souhaite créer des commissions pour contrôler les investissements à destination des institutions publiques pour les futurs travaux publics de sa province.

« Les services de renseignements m’ont informée que j’étais sur une liste de personnalités à abattre. On m’a fourni deux gardes du corps, mais je n’ai pas peur », lance Haïfa al-Amine, avant de remonter dans sa 4 x 4. L’élue prendra sa fonction durant le courant du mois de juillet.



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