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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Le gouvernement israélien veut faire rentrer les religieux dans le rang

La Knesset doit voter la première version d’une loi visant à enrôler les ultraorthodoxes dans l’armée et la nation.

Une femme protestant contre un ultraorthodoxe participant au blocage de la circulation, lors d’une manifestation contre la conscription militaire (17 janvier 2017). Menahem Kahana/AFP

20 octobre 1952. Le Premier ministre israélien David Ben Gourion pénètre dans Bnei Brak, une banlieue ultrareligieuse greffée au nord-ouest de Tel-Aviv. Il s’arrête devant la maison d’Avraham Karelitz, dit « Hazon Ish », pour ce que l’homme le plus important d’Israël pense être une réunion au sommet. Hazon Ish est un simple rabbin, mais sa connaissance des textes sacrés et des sciences profanes en fait un expert de référence pour imaginer des solutions pratiques aux contradictions entre la loi juive et les us de la modernité. Une controverse traverse alors le jeune État d’Israël. Des parlementaires veulent établir un service national alternatif pour les jeunes femmes observantes exemptées de service militaire, en vertu du « statu quo » convenu entre Ben Gourion et les rabbins cinq ans plus tôt. Lorsque le père fondateur de l’État et le sage septuagénaire se rencontrent, la coalition gouvernementale est au bord de l’éclatement. Hazon Ish aurait conté une scène de l’exégèse au Premier ministre athée : deux charrettes se croisent sur un chemin, l’une est chargée et l’autre vide. La plus légère cède le passage à celle qui porte le fardeau. Les juifs religieux sont comme cette dernière, explique Hazon Ish. Ils respectent une centaine de commandements fondés sur la parole divine non négociable. Il appartient donc aux laïcs de faire les concessions indispensables au vivre-ensemble.

Près de 70 ans plus tard, les règles du jeu explicitées par Hazon Ish dictent toujours le tempo : les ultraorthodoxes et leurs mandants à la Knesset campent sur une position d’indifférence hostile à l’État. Le service militaire, obligatoire pour les hommes de 18 ans, est au cœur de la discorde entre la branche non sioniste de l’ultraorthodoxie juive et l’État israélien. Une partie des juifs très observants refusent mordicus de servir sous les drapeaux. La semaine prochaine, les parlementaires israéliens tenteront une nouvelle fois d’inscrire dans la loi un compromis acceptable à la fois pour les partis ultraorthodoxes et la Cour suprême, qui considère que l’exemption de toute une partie d’une classe d’âge sur la base de l’observance religieuse discrimine les conscrits. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a annoncé dimanche 24 juin que son gouvernement programme le vote préliminaire du nouveau texte pour la semaine prochaine (à partir du dimanche 1er juillet en Israël).

Le texte en discussion ne force pas les individus à s’enrôler, mais fait payer le prix aux yeshivot (collèges talmudiques) qui ne remplissent pas un quota de conscrits fixé pour chaque établissement. C’est sa principale innovation : il ne criminalise pas les personnes. Trois personnalités de premier plan ont mis leur accord dans la balance : le rabbin Haïm Kanievsky (un neveu de Hazon Ish) d’après le journal Kikar Hashabbat, le chef d’état-major Gadi Eisenkot et Yaïr Lapid, désormais figure de proue de l’opposition.
Le problème pour le gouvernement n’est pas le manque à gagner en termes de chair à canon. L’état-major voit plutôt d’un bon œil l’exemption des ultraorthodoxes, dont la pratique religieuse millimétrée est incompatible avec la vie de caserne. L’armée a été conçue comme un « chaudron » agrémentant ensemble des immigrants juifs du monde entier pour qu’ils en ressortent comme des Israéliens. Se soustraire à l’armée, c’est comme faire bande à part de la nation. Cette exemption est de plus perçue par les conscrits et leurs familles comme un privilège exorbitant. Le nouveau projet de loi est basé sur des recommandations d’un comité spécial formé à l’initiative du ministre de la Défense Avigdor Lieberman. Auteur d’une escalade provocatrice à l’encontre des religieux ces derniers mois, M. Lieberman n’était a priori pas l’homme de la situation. Pourtant, le nouveau texte estampillé de sa personne représente une innovation par rapport aux approches tantôt punitives, tantôt complaisantes à l’égard des récalcitrants. Pour certains, c’est une énième reddition de l’État face à la synagogue. Pour les auteurs de la loi, c’est le seul dénouement possible d’une discorde vieille de soixante-dix ans.


(Lire aussi : En Israël, la crise gouvernementale maintient le statu quo favorable aux ultraorthodoxes)
 


Service politique minimum
La défiance des haredim (littéralement « craignant Dieu ») à l’égard de l’armée est un aspect parmi d’autres de leur refus de sacraliser l’État d’Israël. Le sionisme est pour eux un affront à la volonté divine, car il a recréé l’État juif avant la venue du Messie sur terre. C’est le « statu quo » accordé par David Ben Gourion dans une lettre de juin 1947 au parti religieux Agoudat Israël qui a permis d’embarquer les ultra-orthodoxes à la remorque du « train national ». Entre autres dispositions, la lettre dispense les élèves des collèges talmudiques de service militaire. David Ben Gourion pare alors au plus pressé. Mais le rapport des haredim à l’État s’est figé dans cet arrangement de 1947. Leur activité politique se borne à la défense des principes religieux. Pour le reste, diplomatie, défense ou économie, ils donnent généralement leur blanc-seing aux gouvernements. L’indifférence n’empêche pas un certain opportunisme : chacune des deux grandes formations politiques, Parti travailliste et Likoud, ne peut former de coalition gouvernementale sans l’appui des ultra-orthodoxes. Le monde ultra-orthodoxe a saisi cette aubaine pour arracher les facilités financières indispensables à une communauté où la plupart des hommes consacrent leur vie à l’étude de la Torah. La conscription universelle est généralement revendiquée sous le mot d’ordre « partage égale du fardeau » par les formations laïques. L’expression est assez équivoque pour contenir plusieurs « poids » : service militaire, services publics et aides sociales.

La fronde de Lapid
Le partage inégal du fardeau est devenu criant avec l’explosion démographique des ultraorthodoxes. À l’époque où le statu quo a été élaboré, l’exemption concernait quelques centaines d’étudiants. Ils sont des dizaines de milliers aujourd’hui. Saisie par de nombreuses pétitions, la Cour suprême israélienne a décidé à la fin des années 1990 que le ministre de la Défense n’a pas autorité pour accorder l’exemption aux étudiants des yeshivot. La loi Tal de 2002 sera une première tentative de réguler les dispenses et encourager les ultraorthodoxes à s’engager dans l’armée dans des unités spécialement aménagées pour combiner entraînement et prière. Mais une décennie plus tard, la cour abroge cette loi historique, sous prétexte qu’elle ne satisfait pas les standards minimaux d’équité. Depuis, les gouvernements successifs ont échoué à élaborer une solution qui ne soit pas boycottée par les ultraorthodoxes ou retoquée par la Cour suprême.
Un exemple éloquent est celui de Yaïr Lapid, une ancienne star de la télévision qui fait campagne en 2013 sous la bannière « partage du fardeau ». Son parti Yesh Atid a raflé 19 sièges à la Knesset. La promotion de M. Lapid a conduit au vote de la loi de 2014, assortie de sanctions criminelles et économiques contre les récalcitrants. Un « raz-de-marée noir » a alors déferlé dans les quartiers ultraorthodoxes du pays, où les résidents sont descendus en masse pour barrer la route à la police venue arrêter les déserteurs. Des mannequins enveloppés de l’uniforme militaire israélien sont retrouvés pendus dans les rues de Mea Shearim, un quartier ultraorthodoxe retranché de Jérusalem. La loi a été finalement révoquée en 2015, après que les partis religieux ont conditionné leur participation à la coalition de droite à son annulation. C’est la Cour suprême qui a rappelé à l’ordre le cinquième gouvernement Netanyahu. Un nouveau texte a échoué l’examen constitutionnel de passage en septembre 2017, et le Parlement a été sommé de trouver un arrangement dans l’année suivante. La situation a dérapé pour la dernière fois en mai dernier. Les haredim ont menacé de se retirer de la coalition si ce énième texte mis sur la table n’est pas amendé. Tel-Aviv temporise. Le vote d’un prochain texte est reporté à l’été. Reste à savoir si la loi qui sera discutée la semaine prochaine fera office de sursis supplémentaire ou si elle tranchera la question sur le fond...


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Mais ces phanatiques qui étudient le Talmud ils n'ont pas compris que le Messi est déjà arrivé puisque il n'y a plus de prophètes

Eleni Caridopoulou

13 h 04, le 30 juin 2018

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Commentaires (1)

  • Mais ces phanatiques qui étudient le Talmud ils n'ont pas compris que le Messi est déjà arrivé puisque il n'y a plus de prophètes

    Eleni Caridopoulou

    13 h 04, le 30 juin 2018

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