La nouvelle mosquée Çamlica est visible depuis toute la ville d’Istanbul ou presque. Murad Sezer/Reuters
Un ballet de tractopelles et de grues au sommet de la colline de Çamlica qui domine la rive asiatique d’Istanbul. Dans un nuage de poussière, des dizaines d’ouvriers s’activent pour apporter les dernières finitions au chantier de la plus grande mosquée de Turquie. Après cinq années de travaux, tout doit être terminé le 10 juin pour l’inauguration en présence de Recep Tayyip Erdogan. Le président turc a d’ailleurs personnellement commandé la construction de cet édifice, réplique le responsable de la célèbre Mosquée bleue bâtie au XVIIe siècle. « Nous tenons régulièrement informé le président de l’avancée du chantier, tout sera prêt à temps », répète inlassablement aux médias turcs venus l’interroger Ergin Külünk, le président de l’association en charge des travaux. Visible depuis toute la ville ou presque, la mosquée de Çamlica pourra accueillir près de 60 000 fidèles et sera également dotée de plusieurs salles de cours et de conférences, d’un parking de 3 500 places et même d’un ascenseur permettant à l’imam d’accéder au minbar pour y délivrer ses sermons, plus de vingt mètres au-dessus du sol. Des chiffres vertigineux qui reflètent la volonté de Recep Tayyip Erdogan de marquer Istanbul de son empreinte.
Car la mosquée de Camlica fait partie d’un ensemble de grands travaux que le président turc a lui-même surnommés « mes projets fous ». En octobre prochain, un troisième aéroport doit lui aussi être inauguré à Istanbul. Présenté comme le plus grand du monde, il doit remplacer l’actuel aéroport principal de la ville dont la taille est jugée trop limitée pour accueillir le flot croissant de voyageurs transitant par la mégalopole turque. Pensé comme un symbole du développement économique de la Turquie, ce nouvel outil aura la capacité d’accueillir 200 millions de passagers par an. Si personne ne conteste le besoin d’accroître les capacités aéroportuaires d’Istanbul, la décision de construire un nouvel aéroport au milieu du dernier grand espace vert de la ville suscite, elle, des interrogations. « Le site choisi par les autorités n’est pas adapté à un tel chantier car c’est une zone boisée avec un sol meuble et beaucoup de cavités, explique Sinan Logie, architecte et coauteur d’un ouvrage sur le développement urbain d’Istanbul. Mais l’implantation d’un troisième aéroport au nord de la ville sert également pour eux à justifier la construction d’un nouveau périphérique et d’un troisième pont au-dessus du Bosphore. »
(Pour mémoire : La Turquie à l’heure ottomane)
Politique keynésienne
Peu importent les voix dissonantes, le gouvernement de l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir depuis 2003, semble bien décidé à poursuivre sur sa lancée, avec en ligne de mire le centenaire de la République de Turquie en 2023. Pour fêter cet anniversaire en beauté, Recep Tayyip Erdogan souhaiterait même réaliser le plus fou de ses mégaprojets : la construction d’un canal artificiel parallèle au détroit du Bosphore et dont le tracé a été dévoilé en début d’année.
L’objectif ? Désengorger l’un des axes maritimes les plus fréquentés du monde avec plus de 40 000 passages de navires par an. Mais cette fois encore, l’initiative est contestée pour ses conséquences environnementales mais aussi et surtout pour son coût : plus d’une dizaine de milliards d’euros, ce qui en ferait la réalisation la plus chère de l’histoire du pays. Cette propension des autorités turques à dépenser sans compter n’étonne pas Sinan Logie : « Pour atteindre son objectif de faire rentrer la Turquie dans le top dix des puissances économiques mondiales, l’AKP mise depuis des années sur une politique keynésienne de relance par l’investissement public. » Depuis la fin des années 90, Recep Tayyip Erdogan a effectivement fait d’Istanbul – ville dont il a été le maire pendant quatre ans – un immense chantier à ciel ouvert. En plus des mégaprojets d’infrastructures, il a favorisé le développement tous azimuts de programmes immobiliers, faisant du secteur du bâtiment l’un des piliers de l’économie turque. Une stratégie qui semble montrer aujourd’hui ses limites : malgré un taux de croissance comparable à celui de la Chine ou de l’Inde, la Turquie est aujourd’hui proche d’une crise économique majeure (avec ces derniers mois, une dévaluation de la livre turque et une inflation galopante) et fait face au spectre d’une bulle immobilière. Néanmoins, la capacité du gouvernement à entreprendre de grands travaux reste un argument électoral pour l’AKP, à un mois des prochaines élections présidentielle et législatives. « Cette posture de grands bâtisseurs joue sur la fibre nationaliste d’une partie de la population », explique Jean Marcou, professeur à Sciences Po Grenoble et spécialiste de la Turquie. Pas certain cependant que cette rhétorique suffise cette fois à convaincre des électeurs de plus en plus préoccupés par la baisse de leur pouvoir d’achat.
Pour mémoire
Pour Erdogan, la folie des grandeurs a désormais un pont
Ankara place des milliards de dollars d’avoirs publics dans un fonds souverain
Inauguration à Istanbul du premier tunnel routier sous le Bosphore
Confidence pour confidence.... Alors que les pays arabes sunnites envoyaient le pétrole pas cher vers l'occident durant un siècle, sans jamais recevoir en contrepartie, d'aide matérielle, morale ou "diplomatique".... (Hormis le prix plus ou moins a sa juste valeur)... Le sultan ottomanique, et ses prédécesseurs turcs, ont chichement reçu des milliards et des milliards sans jamais manier leur petit doigts. Ils ont monopolisé l'acheminement du pétrole vers l'Europe en touchant gracieusement les royalties. Ils ont encaissé les milliards des arméniens qu'ils ont massacré et spolié leurs biens, assurances, fonds bancaires, terres et autres... Ils ont touché les milliards de l'Europe et de lAmerique, en leur racontant qu'ils ne sont pas comme les autres orientaux arabes, qu'ils étaient humanistes, et écrivaient en latin.... (Quelle preuve de progrès et d'humanisme yalatif ! ..on connaît la suite aujourd'hui!) Oui, après les milliards encaissés pour réformer le pays et les infrastructures afin de rejoindre l'Europe, on connaît aussi la suite....
18 h 40, le 28 mai 2018