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Liban - Éclairage

La société civile libanaise : une conversion au politique qui attend de se confirmer

Les activistes ont contribué à affiner le discours réformateur et à l’imposer à l’establishment politique.

La coalition Koullouna Watani annonçant ses listes formées de 66 candidats.

Peut-on parler d’échec des composantes de la société civile aux législatives ? À part la maigre percée effectuée par Paula Yacoubian à Beyrouth I, aucun des quatre-vingt-dix-neuf candidats qui se sont présentés, que ce soit dans le cadre de la coalition de Koullouna Watani ou sur des listes indépendantes éparses, n’a réussi à percer.

En dépit des espoirs fondés sur un renouvellement des élites politiques souhaité par un certain nombre de Libanais se disant « frustrés », les candidats indépendants ou se revendiquant des milieux de la société civile – qu’il conviendrait d’appeler les « outsiders » – n’ont pas réussi à capter les voix des 51 % d’abstentionnistes.

Quels que soient les pronostics faits en termes de victoire ou de perte avant le scrutin, il reste que la déception des électeurs qui ont voté pour cette nouvelle catégorie de candidats est aujourd’hui grande, et l’espoir de voir des changements substantiels apportés à la gestion politique presque nul.

Les raisons derrière cette défaite que certains qualifient de « relative » sont nombreuses : les entraves dues à la loi électorale elle-même, notamment le handicap du vote préférentiel qui a empêché la cohésion au sein de ces groupes ; le mode de sélection des candidats et les alliances formées ; la définition de l’identité et de la stratégie des listes en présence ; les objectifs à court et moyen terme ; et enfin les faibles moyens financiers et logistiques dont disposaient ces nouveaux venus sur la scène électorale.

Tous les observateurs en conviennent : ces candidats ont non seulement surgi dans la compétition avec un retard notoire, soit moins d’un mois de la date butoir, mais ils manquaient énormément de moyens financiers pour faire une bonne campagne, notamment pour se faire connaître auprès des électeurs, du fait des prix faramineux pratiqués, surtout par les médias audiovisuels qui, rappelons-le, ont plutôt favorisé les gros payeurs. « Sans argent, on ne peut parler de démocratie », relevait un expert électoral.


(Pour mémoire : La société civile veut porter plainte pour soupçons de « fraudes » électorales)


Un tremplin pour accéder à l’hémicycle
Mais ce n’est pas là où le bât blesse, commentent des observateurs, qui citent l’exemple d’une pléthore de candidats nantis ayant versé de grosses sommes pour huiler leur machine électorale sans pour autant percer.

Le problème est plutôt à rechercher dans la stratégie suivie par ces outsiders et la manière dont ils ont concocté leurs listes, ayant favorisé « les intérêts électoraux plutôt que les causes à défendre et la vision d’avenir », comme le relève Sélim Mouawad, un activiste de longue date. Il est rejoint par un autre spécialiste des milieux de la société civile et de la communication, Jean-Pierre Katrib, qui estime qu’il était primordial de « tabler sur les causes en jeu, sur une vision du changement, plutôt que sur le choix des personnes ».

MM. Katrib et Mouawad faisaient notamment allusion à la manière dont certains – qui n’étaient pas issus des milieux activistes, encore moins représentatifs de ce qu’on appelle communément la société civile – ont été intégrés à ces listes, dont celles parrainées par la coalition nationale Koullouna Watani. Ils dénoncent notamment l’accès à cette plateforme, entre autres, de figures issues de partis politiques qu’ils avaient désertés ou d’anciens responsables politiques.

Pour M. Katrib, les élections ont constitué pour certains de ces outsiders « un tremplin » pour accéder à l’hémicycle, alors que le seul objectif pour les milieux des outsiders était de saisir l’opportunité de ce scrutin pour mettre en avant une véritable alternative au pouvoir en place. « Le travail politique est un long processus et ne se résume pas à une opportunité électorale », souligne M. Katrib.


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Un mélange des genres
Également problématique, le panachage fait entre les milieux des militants de la société civile et un parti politique comme Sabaa qui est récemment apparu sur la scène et auquel on impute d’avoir exploité les milieux des activistes pour s’y insérer alors que de nombreux doutes planaient au sujet de leurs sources de financement et de leur vision politique. « Cet amalgame a handicapé l’ensemble des candidats », affirme le sociologue Melhem Chaoul qui rappelle que les partis politiques ont un mode de fonctionnement différent des candidats issus des mouvements de contestation. « Le hiatus entre le programme politique et les gens cooptés a fini par les désunir », note M. Chaoul.
Avant l’annonce des listes, des négociations corsées avaient eu lieu en vue de trier dans le tas, plusieurs candidatures ayant été écartées sur la base de critères non définis, indiquent de nombreuses sources qui avaient pris part à ce processus.

Si les divergences lors des débats en amont se sont parfois cristallisées autour de sujets aussi sensibles que les armes du Hezbollah, le mariage civil, la défense des homosexuels, ou encore la dose de libéralisme à introduire au projet socio-économique qu’ils devaient prôner, divisant un peu plus ce beau monde, il n’en reste pas moins que les questions d’ego, d’opportunisme mais aussi de priorités fondées sur des considérations traditionnelles (telles que des appartenances régionales ou de lignage) ont parfois primé, comme en témoignent plusieurs sources. « Certains auraient dû accepter l’idée de la nécessité de faire des concessions en se retirant de la course », relève M. Chaoul.

Le sociologue tient toutefois à accorder des circonstances atténuantes à ceux qui ont conduit ces négociations « difficiles », n’ayant pas l’expérience requise. « Il fallait de toute manière passer par là et perdre sa virginité sur le terrain à condition d’en tirer les enseignements », dit-il.


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Messages multiples
On a, en outre, reproché à ces candidats indépendants d’avoir concocté, à l’instar des partis traditionnels, des « alliances contre nature » dans le seul objectif de parvenir au pouvoir. « Comment comprendre l’alliance d’un Charbel Nahas qui prône une vision socio-économique progressiste, avec des candidats de Sabaa, un parti de droite qui prône un libéralisme économique » ? s’interroge Tanios Deaibes, ancien journaliste et directeur de L’Atelier, une ONG de sensibilisation contre la violence. « Plutôt que de se définir par opposition aux forces conventionnelles, la priorité aurait dû être accordée à la définition d’une vision unifiée autour des questions de réformes socio-économiques qui interpellent les citoyens », dit-il.

Pour Jean-Pierre Katrib, la confusion dans les amalgames et la confusion dans les messages politiques ont été préjudiciables. « Il fallait surtout faire prévaloir la règle sacro-sainte d’un seul message et plusieurs messagers », relève M. Katrib qui rappelle que l’une des raisons majeures de l’échec du mouvement de contestation issu de la crise des déchets était, précisément, la multiplicité des messages et des revendications.

Mais en dépit de ce revers qu’ils considèrent « circonstanciel », les analystes préfèrent apporter un regard global sur l’ensemble de l’action des mouvements de contestation et de réforme, sous l’angle d’un cumul positif. Ils retiennent notamment l’apport majeur de la campagne menée par Beyrouth Madinati aux municipales, même si la liste parrainée par ce regroupement n’a pas réussi à percer lors de ce scrutin. En somme, disent-ils, la longue marche des membres de la société civile n’a pas généré que des déceptions puisqu’au final, cette dernière aura réussi à relever le niveau du discours et à induire une vision moderne et une rhétorique de réforme socio-économique qui se sont imposées comme modèle aux partis traditionnels. Ces derniers se sont récemment vus contraints d’évoquer, lors de leurs campagnes électorales respectives, des sujets comme la lutte contre la corruption ou la nécessité de tabler sur le développement, dans une tentative de s’élever au niveau du discours réformateur tracé par la société civile.

Il reste à déterminer si ces milieux pourront poursuivre sur leur lancée et effectuer une autocritique assez pertinente pour les habiliter à rectifier le tir à l’avenir.
Pour Sélim Mouawad, il est temps de faire le tri et de décider qui veut véritablement se lancer dans l’action politique et qui ne le souhaite pas car, dit-il, « on ne peut aspirer à réformer en faisant de la contestation à temps partiel ou en saisissant occasionnellement l’opportunité des élections ». « Celui qui veut faire de la politique doit le faire de manière professionnelle en s’inscrivant dans une vision à long terme et en se dotant de la logistique nécessaire, et non dans les bistrots », conclut-il.



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