J’aurais aimé prêter allégeance à un zaïm, un homme au-dessus des erreurs, même si ses mains ont trempé dans le sang jusqu’aux coudes. J’aurais cru en lui et j’aurais gardé espoir. J’aurais pensé que même s’il prend des positions opposées à mes convictions et aux siennes, qu’il s’y connaît mieux que moi et je l’aurais soutenu aveuglément. J’aurais été heureuse qu’il soit nommé Premier ministre ou élu président de la Chambre ou de la République. Qui sait, j’aurais même offert des baklavas en lançant des youyous dans la rue.
J’aurais voulu appartenir à un parti politique, j’aurais gardé un peu d’espoir dans mon parti, dans mon pays. J’aurais cru dur comme fer que les choses pourraient changer grâce aux efforts entrepris par mon parti et que j’aurais un vrai pays. J’aurais été heureuse si mon parti avait remporté les élections, et triste s’il avait perdu. Mais au Liban, personne ne perd les élections. Tous, malgré les chiffres et les pourcentages, clament haut et fort qu’ils ont gagné. Tout gagné.
Mais là, je n’ai pas voté, je ne me sens plus concernée par ce qui se passe. Beaucoup se demandent pourquoi les Libanais n’ont pas voté. Moi-même j’ai été surprise de ma propre attitude je-m’en-fichiste car depuis que je le pouvais, j’ai voté à chaque élection, comme un devoir citoyen. J’ai toujours voté pour un parti politique, pour un mouvement auquel j’ai cru. J’ai toujours voté pour défendre et préserver l’idée que je me fais du Liban.
Mais les gens pour lesquels je votais avaient dévié de mon idée du Liban, et ceux dont je pensais qu’ils avaient la possibilité de les remplacer n’étaient pas vraiment, à mon humble avis, à la hauteur du défi.
En refusant de voter, j’ai enterré tout espoir dans mon pays et surtout mon idée du Liban. Et je regarde désormais d’un air indifférent, voire maladivement amusé, tout ce qui se passe. De l’élection du président de la Chambre à la nomination du Premier ministre, en passant par la femme qui insulte les forces de l’ordre et qui fait le buzz sur les médias sociaux.
Parce que j’ai perdu espoir, j’accepte mieux mon affreux quotidien entre embouteillages, coupures de courant, pollution, crise économique... Un affreux quotidien qui me contraint de voir que le Liban et ses habitants régressent de jour en jour alors que les zaïms restent en place.
Voter ou ne pas voter, tout se vaut dans ce pays. Nous sommes tous égaux, à part les zaïms et le premier cercle de leur cour, devant les embouteillages, les coupures de courant, la pollution, la crise économique et... le désespoir. Nous sommes tous, après tout, de pauvres diables qui tentent de survivre tant bien que mal dans un pays qui recule inéluctablement.
N’empêche, j’aurais aimé avoir un zaïm, ne serait-ce que pour le goût sucré des baklavas et le bonheur – même feint – de la victoire.
commentaires (2)
Ceci n'est pas un commentaire mais une simple question de langue francaise. Mme Khoder dit: Nous sommes tous, après tout, de pauvres diables qui tentent de survivre. Moi j'aurais plutot dit "qui tentons" Non ?? Merci
Danielle Boulad
20 h 44, le 25 mai 2018