Guy Bareff et ses sculptures qui défient l’obscurité. Photo DR
Ne pas se fier aux santiags bruyantes, à la chevelure de paille et aux paumes creusées par le poids du labeur, qui font de Guy Bareff le frère d’adoption d’un Easy Rider en colère, dont la sentimentalité aurait cramé sous une chaleur désertique. Du Nevada, d’où son drôle de personnage semble s’être échappé, l’homme n’aurait conservé que la poésie ambiguë. Ce qu’il concède d’emblée, alors qu’un sourire s’applique à adoucir ses joues ravinées par le passage des années et le soleil de Provence : « J’ai l’impression d’être pris entre des goûts opposés, chose qui se reflète sur mes sculptures lumineuses, à la fois brutes et dépouillées, arrondies et presque sensuelles. » Cette œuvre, qu’on dirait née d’un croisement entre art et architecture, l’artiste l’avait mise en sourdine pendant plus de trois décennies, au cours desquelles il a exploré d’autres champs, le yoga, le théâtre, la peinture. Aujourd’hui, il se dit « heureux d’avoir rallumé (ses) fours » même s’il avoue ne pas aimer généralement les retours en arrière, et « ému » d’exposer en ce moment seize pièces à la galerie XXe siècle de Souheil et Hala Hanna, dont six sculptures lumineuses ont été spécialement conçues pour l’événement.
Apprivoiser la terre
Fils d’un céramiste fondateur de la communauté de potiers à Accolay, une certaine facilité laisserait penser que l’environnement familial aurait inculqué au futur sculpteur le goût du métier. Bien qu’à l’enfance, son terrain de jeu s’improvisait sur les tours et dans les fours de cuisson où son père officiait, Guy Bareff avoue qu’au départ, « lorsqu’on m’a retiré de l’école, je travaillais la terre malgré moi, aux côtés de mon père qui est un homme du passé, profondément inspiré par les peintres de la Renaissance ». À la faveur de moments passés à crapahuter dans la bibliothèque familiale, l’adolescent découvre « l’art moderne et ses principaux acteurs tels Constantin Brancusi, Hans Arp et surtout Alberto Giacometti, dont l’œuvre m’a permis de comprendre qu’on peut, à travers la sculpture, s’inventer une autre réalité », en même temps qu’il explore les possibilités des matériaux que ses mains parcourent. Porté par le vent libérateur de mai 68, Guy Bareff expose pour la première fois à Marseille, où il déploie ses œuvres précoces, sous-tendues par un langage artistique déjà discernable, dont il dit avec du recul : « Contrairement à des artistes comme Robert Deblander qui ont été formés pour la sculpture, je n’avais aucune connaissance du métier si ce ne sont que mes lectures de revues d’architecture ou des réflexes empruntés à mon père. » Et de poursuivre : « C’est grâce à cette liberté, je pense, et en m’inspirant de l’architecture, que mes sculptures se sont spontanément dirigées vers un croisement entre l’art et l’architecture. »
Fasciné par la nuit
Si Guy Bareff se plaît à faire de la sculpture au toucher et à l’instinct, avec une sensualité tout autre que celle des artistes enserrés dans leur formation classique, il n’en demeure pas moins que son œuvre s’imprègne manifestement de ses penchants pour l’architecture organique, les Maisons Bulles d’Anti Lovag ou « la topologie de ma région, pleine de grottes, autour du Val d’Enfer et de la Citadelle des Beaux-de-Provence. La notion d’habitacle, que ce soit les coquillages à petite échelle, ou les grottes à plus grande échelle, m’a toujours fasciné ». Toutefois, au lieu de chercher à s’approprier des ancêtres artistiques, le sculpteur préfère offrir à ses pièces un code génétique unique où « l’harmonie s’est imposée de par elle-même, au cœur des influences opposées, des formes rondes et des matériaux bruts, entre l’architecture et le design ». À défaut d’avoir fait carrière dans l’architecture, Bareff exauce ses rêves architecturaux au creux de ses doigts desquels naissent ses sculptures en terre chamottée qu’il dispense d’émaillage et de couleur, leur octroyant, à travers leurs formes sensuelles, une parenté avec les immeubles de Gaudi. Une fois illuminées par une ampoule indécelable, ces structures, qui font florès dans les années 70 et où l’œil aime à se perdre, mutent en un dédale onirique que la nuit aurait fait disparaître. « Je suis fasciné par la nuit, la façon d’être des immeubles dans la nuit, quand ils se fondent dans une sorte de mystère et se vident presque de leur structure externe », confirme cet artiste qui hésite pourtant encore entre lumière et obscurité, et dont l’œuvre est un rêve éveillé.
Galerie XXe siècle
Guy Bareff, sculptures lumineuses
et totems, Hamra, jusqu’au 12 mai.