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Culture - Entretien

David Kurani : J’aime que mes élèves connaissent mes secrets d’artiste !

L’Université américaine de Beyrouth consacre, à l’occasion de ses 50 ans de carrière, une rétrospective à cet infatigable artiste et inoubliable professeur, qui ne cesse de jongler entre peinture et théâtre*. Interview.

David Kurani : « L’aquarelle, c’est le mystère. »

Quel est votre premier souvenir lié à l’art ?
Je me souviens qu’à l’enfance, le département de beaux-arts de l’Université américaine organisait tous les samedis des cours pour les plus jeunes auxquels je participais. Un jour, notre enseignante, Maryette Charlton, avait demandé de dessiner un animal de notre choix et j’avais opté pour une girafe. J’avais 9 ans, si mes souvenirs sont bons. Je ne cessais de réclamer du papier à mesure que je rallongeais le cou de cette girafe qui débordait. À la fin, mon dessin s’était étalé sur un tas de feuilles. Cette image ne n’a jamais quitté, ainsi qu’un commentaire du grand professeur d’art John Carswell – qui était venu donner un cours – sur l’une de mes illustrations. Il avait dit : I think this is wonderful (Je pense que c’est fabuleux). Ces quelques mots m’ont donné des ailes.

Quelles ont été vos premières révélations ?
J’ai également appris l’art au côté de mon oncle, qui m’avait initié à la perspective, chose qui n’était pas commune chez les autres enfants qui s’essayaient au dessin. Cela avait conféré à mes premiers croquis, dont celui d’un bateau, un aspect dramatique et sophistiqué. Plus tard, j’ai plongé dans la lecture du livre Masterpieces of Art dont j’admirais les œuvres y figurant et en particulier le traitement de la lumière de Rembrandt. Mais mon peintre préféré a toujours été ma femme Gisèle !


(Lire aussi : Joe Kesrouani, exilé dans sa tête)


Vous avez décroché un diplôme en art de l’Université américaine de Beyrouth, suivi d’un autre en théâtre (en tant qu’acteur et réalisateur) à la Bristol Old Vic Theatre School. Le choix de cette voie artistique a-t-il été évident pour vos parents à une époque où l’art était souvent regardé avec scepticisme ?
J’ai eu la chance de grandir avec des parents qui avaient décelé mon talent et m’ont toujours encouragé à suivre cette voie. Tous les deux étaient portés sur l’art : ma mère avait lancé le festival de Folk Dance de l’AUB et mon père, qui avait été président du département d’éducation de cette même université, était un homme extrêmement compréhensif et pédagogue. Avant de partir, l’un de ses derniers conseils était : « Use tout le potentiel de tes talents, tu es doué ! »

Comment jonglez-vous entre théâtre et peinture ?
Je n’y vois aucun grand écart. Entre ces deux disciplines, j’ai fait tomber les frontières et je savoure ce que chacune m’apporte. Le théâtre représente un travail d’équipe. Et la peinture me permet de me retrouver, en solitaire. Je pense aussi que ces deux mondes s’irriguent. Il y a du théâtre dans mes tableaux et de l’art dans mon travail lié au théâtre…

On a l’impression que la peinture à l’aquarelle occupe une place particulière dans votre œuvre…
C’est bien le cas. Cette technique de peinture me tient à cœur pour l’effet lumineux qu’elle engendre, fait de suggestions qui indiquent les contours d’un sujet sans le dépouiller de son mystère. L’aquarelle, c’est le mystère, justement. Et le mystère, à mon avis, est étroitement lié à une certaine forme de grandeur qui résonne avec l’éternel. Je n’en parle pas souvent mais cette manière de peindre me permet de célébrer Dieu qui a une place fondamentale dans ma vie.



Le passage à l’huile, et en l’occurrence aux portraits qui demandent une extrême précision, s’est-il fait aisément ?
Il y entrait une grande pression, rien qu’à l’idée d’imaginer ces tableaux accrochés sur le campus de l’AUB, imprimés sur des couvertures de livres ou regardés par tant de monde. C’était un exercice périlleux pour lequel je me suis basé sur des photos de ces personnages ainsi que des lectures exhaustives de leurs biographies. Pour l’anecdote, lorsque je préparais le portrait de Daniel Bliss, j’imaginais sans cesse son œil perçant, son regard d’aigle. Le dernier détail que j’ai donc rajouté à la toile était un point blanc dans sa pupille (pour un effet de réflexion de lumière) que j’ai presque déposé avec une aiguille !

Comment décrivez-vous votre lien avec l’AUB, qui vous consacre cette rétrospective et où vous avez fait vos armes, puis enseigné durant 50 ans ?
Difficile de limiter cela à quelques mots. L’AUB, c’est toute ma vie. J’y ai grandi puis vécu et je serai toujours très loyal envers cet établissement.

En tant que professeur d’art et de théâtre depuis 1968, la transmission est essentielle pour vous…
Je ne suis pas une personne secrète, je suis transparent, d’où mon élan pour l’enseignement. Je me réjouis à l’idée de transmettre ce que je suis et ce que je sais, et j’aime que mes élèves connaissent mes secrets. D’ailleurs, je ne leur ai jamais caché mes techniques de peinture à l’aquarelle.




Un souvenir marquant de votre vie sur ce campus ?
Le Folk Dance Festival que ma mère avait cofondé en 1950 et où je dansais toutes les années. J’en garde des souvenirs forts, colorés, lumineux. Un poster de cet événement et une peinture à l’huile (inspirée par ce festival) que j’ai réalisés font d’ailleurs partie de la rétrospective qui m’est consacrée à l’AUB en ce moment.

Quel sentiment provoque en vous la rétrospective « David Kurani : Reality, Composed » ?
J’ai de la chance d’avoir évolué dans un milieu qui m’a permis de réaliser mes rêves. Aujourd’hui, je ne ressens aucune frustration, parce que je me suis autorisé à aller jusqu’au bout de mes ambitions. Je suis heureux parce que cette rétrospective ne dépeint par un artiste parfait. On la traverse comme si on parcourait les pages de mon histoire, en lisant mon âme et ses failles. Et, en plus de mes toiles, des décors scéniques et des costumes que j’ai réalisés, cette exposition révèle mes travaux liés à la musique, chose qui était jusqu’alors gardée dans l’ombre. J’en suis ravi !

*«David Kurani : Reality, Composed», à la Mayfair Dorms Art Gallery, Université américaine de Beyrouth, jusqu’au 18 avril.



Quel est votre premier souvenir lié à l’art ?Je me souviens qu’à l’enfance, le département de beaux-arts de l’Université américaine organisait tous les samedis des cours pour les plus jeunes auxquels je participais. Un jour, notre enseignante, Maryette Charlton, avait demandé de dessiner un animal de notre choix et j’avais opté pour une girafe. J’avais 9 ans, si mes souvenirs...

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