La participation des Libanais de la diaspora aux élections législatives au Liban était une très ancienne revendication soulevée par plusieurs partis et milieux locaux pendant des décennies. La concrétisation de cette vieille doléance a été certes une avancée louable. Sauf que… la nécessaire implication des Libanais de l’étranger dans la vie publique de leur mère patrie devient, d’entrée de jeu, viciée à la base lorsqu’un abus de pouvoir s’en mêle pour favoriser les candidats du parti ou de la faction en charge de l’exécutif.
Le candidat du courant aouniste au siège grec-catholique de Beyrouth I, Nicolas Sehnaoui, s’est malencontreusement livré il y a quelques jours à des pratiques contraires à toutes les normes démocratiques qui devraient être suivies par un pouvoir qui se respecte. Après sa gesticulation populiste de peintre en bâtiment – diffusée récemment sur les réseaux sociaux pour donner de lui une image « cool » et proche du peuple (sic !) –, voilà que le candidat Sehnaoui change de registre et s’emploie à adresser de sa propre voix des messages vocaux, personnalisés, via WhatsApp, aux électeurs de la circonscription de Beyrouth I résidant en France pour les inviter à dîner, demain jeudi, à un restaurant parisien, sis boulevard du Temple…
Sur le plan du principe, cela fait partie, certes, de la règle du jeu qu’un candidat cherche à rencontrer ses électeurs, et il est totalement normal que la liste des votants soit rendue publique. Mais là où le bât blesse, c’est lorsqu’un candidat peut avoir accès aux données personnelles des électeurs (en l’occurrence les numéros de téléphone privés) grâce à la complicité de hauts responsables officiels, membres de son propre parti, qui détiennent des positions-clés au sein de l’exécutif. Le hasard a voulu en effet que le candidat Sehnaoui adresse un message vocal personnalisé à une électrice en appelant un numéro de portable appartenant non pas à celle-ci mais à un jeune Libanais qui avait inscrit le nom de la dame en question sur le registre électoral en fournissant son propre numéro au lieu de celui de l’électrice ! Comment M. Sehnaoui aurait-il pu connaître ce numéro « d’emprunt » si ce n’est pas le biais de l’ambassade du Liban ou des services du ministère des Affaires étrangères, sachant qu’aussi bien le ministre que l’ambassadeur et le candidat sont du même camp politique ? L’abus de pouvoir et l’exploitation d’une position dominante, de surcroît officielle, à des fins clientélistes et électorales sont dans ce cas manifestes.
Le candidat Sehnaoui pourrait fournir sans doute moult justifications et explications simplistes. Il reste que, bien au-delà du cas précis de ce faux pas, ce couac est d’autant plus grave qu’il risque de discréditer dès le départ cette première que constitue la participation des Libanais de l’étranger à un scrutin législatif. Il marque d’emblée d’un point noir le processus électoral actuel. Dans certaines circonscriptions – notamment dans celle de Beyrouth I –, le résultat se jouera peut-être à quelques dizaines de voix près, compte tenu du mode de scrutin proportionnel. Le vote des Libanais de l’étranger pourrait donc être dans certains cas vital. Comment contrôler, de ce fait, l’intégrité de la consultation électorale lorsque le ministère qui contrôle les opérations – le ministère des Affaires étrangères – et certains de ses instruments diplomatiques sont partie prenante dans la bataille électorale en cours ? Affaire à suivre…
Et on trouvera encore des électeurs qui iront voter pour ce clown.
17 h 46, le 04 avril 2018