Le visage douloureux, Kawthar livre son témoignage.
Comment faire passer le monde musulman, et sa partie arabophone en particulier, au XXIe siècle de l’unité dans la diversité, de la cohésion sociale, de la citoyenneté, sans qu’il y perde son âme ? Tel est le formidable défi lancé au Centre Roi Abdallah pour le dialogue interreligieux et interculturel, qui voudrait être le grand démineur d’une transition douce de ce monde vers la globalisation.
Quoi qu’on pense de l’islam militant de la révolution iranienne, il faut relever qu’elle marque un réveil d’identité complexe qui ne peut être balayée d’un revers de main. L’effondrement de l’Empire ottoman, à la fin de la Première Guerre mondiale, et la disparition concomitante du califat ont en effet provoqué une onde de choc dans le monde musulman, et lancé un défi que, chacun à sa manière, les Frères musulmans fondés en 1928 par Hassan el-Banna, et la dynastie saoudite appuyée sur la doctrine wahhabite, ont cherché à relever au début du XXe siècle, aussi bien sur le plan spirituel qu’institutionnel.
La révolution avortée en Égypte, le déboulonnement du régime de Mohammad Morsi (2013) et les ténèbres qui se sont abattues sur la plaine de Ninive, en ce début sanglant du XXIe siècle, ont montré les limites des alternatives auxquelles on avait songé. On est aujourd’hui à la troisième tentative de réveiller l’islam sunnite, sans pour autant replonger les musulmans dans les ténèbres ou la tyrannie. Et l’opération, si elle semble simple aux yeux de certains, est en réalité plus complexe qu’il n’y paraît.
La réponse que le Centre Roi Abdallah de Vienne, qui concluait ses travaux hier, veut apporter à cette crise, et c’est bien de cela qu’il s’agit, est en effet ambiguë. Certes, ce qui est possible à Vienne ne l’est pas en Arabie saoudite, et c’était, de la part du roi Abdallah d’Arabie saoudite, faire preuve de réalisme et de cohérence, de lancer sa réforme à partir d’un terrain neutre comme l’Autriche, et de l’habiller comme il l’a fait d’une dimension internationale et interreligieuse.
Mais il n’est pas dit que la réponse qui s’élabore en Europe, au fil des ans, avec ses succès et ses résistances, soit tout à fait ce qu’il faut. Cette réponse, en effet, est un peu trop marquée par la culture des chiffres et des statistiques, du développement durable et de la santé reproductive ; une culture laïque, sinon laïciste, pour laquelle Dieu et la transcendance ne doivent pas se mêler de ce qui ne les regarde pas.
Or, que cela plaise ou non, la crise actuelle de l’islam est, aussi, spirituelle. Pour Khaled Abdel Chafi (PNUD), qui intervenait au colloque, « 90 % des jeunes Arabes se considèrent comme religieux, ou en partie religieux ». Merete Bilde, l’assistante de Federica Mogherini, la responsable à la politique étrangère de l’Union européenne, l’a admis candidement quelques minutes plus tard : « L’Union européenne ne fait pas dans la religion, mais elle ne peut s’empêcher d’en constater l’impact et doit regarder les choses avec réalisme. »
(Lire aussi : L’expertise libanaise du vivre-ensemble très attendue au congrès de Vienne)
Pour combattre la radicalisation, pour combattre ce qui fascine toujours une partie des jeunes musulmans, ou ce qui en appelle à quelque chose de profond en eux, et ce qui parfois les radicalise, il faut autre chose que des ingénieries sociales et des programmes d’intervention sur les réseaux sociaux. Il y faut ce que l’Occident a évacué une fois pour toutes de sa vie publique, la référence à une transcendance. On en conclut que la réponse à la crise du monde islamique qui s’élabore à Vienne, tout en étant essentielle, est insuffisante à elle seule, et qu’elle doit être complétée par un travail de réflexion historique légitime et reconnu, qui permette à l’islam de se dégager de l’impasse où l’a enfermé au XIIe siècle la codification de l’interprétation du Coran.
Ce travail, qui doit aller de pair avec la modernisation des structures de gouvernement des États arabes, seuls des musulmans peuvent l’accomplir, conviennent les observateurs. Sur ce plan, et le numéro 2 d’al-Azhar, cheikh Abbas Shuman, l’a détaillé hier, c’est l’institution égyptienne d’al-Azhar qui semble avoir fait le travail le plus avancé, notamment en promouvant le concept de citoyenneté, et en reconnaissant la légitimité de la diversité religieuse, ainsi que la liberté de croyance et de culte, avec tout de même des réserves sur la mission chrétienne et la conversion au christianisme de musulmans (voir la déclaration d’al-Azhar du 6 mars 2017 sur la diversité et la complémentarité).
À côté de ces avancées, le congrès a souligné l’importance capitale de l’éducation à la diversité et à la citoyenneté, une politique du long terme qui commence à prendre forme dans certains pays, grâce à ces associations privées comme la Fondation Adyan, ou grâce à des efforts officiels. C’est ainsi que l’influent ministre saoudien délégué aux Affaires islamiques Tawfiq ben Abdelaziz al-Sadiri, a parlé hier de l’effort pour instiller dans les esprit des jeunes Saoudiens la notion d’État, pour remplacer celle d’oumma (communauté des croyants).
Une bonne partie de la journée d’hier a par ailleurs été consacrée à l’art d’utiliser les réseaux sociaux, et de faire naître, grâce à ces outils psychologiques et sociaux, des courants de solidarité insoupçonnés. L’assistance eut droit, sur ce plan, au fascinant témoignage de l’héroïne saoudienne des réseaux sociaux, Kawther al-Arbash, dont le visage garde toujours le deuil de son fils mort en empêchant un loup solitaire de Daech de se faire exploser dans une mosquée de Dammam, en mai 2015. Avec 29 autres femmes, Kawthar el-Arbash a été nommée en 2016 membre de la Choura, aujourd’hui réformée par décret royal.
Le congrès s’est conclu hier par le lancement d’une plateforme d’action pour le monde arabe inspirée de ses objectifs et de ses programmes, non sans des corrections de dernière minute, des personnalités religieuses ayant contesté un détail du texte prévoyant que les initiatives qui pourraient être prises, dans le cadre de la plateforme, le soient « sous les auspices » du centre, et non « en collaboration » avec ce dernier.
Lire aussi
La fondation Adyan à la conférence « S’attaquer à la violence commise au nom de la religion »
tout les centres saudis du monde, sont des machines à propagandes !! pour propager le wahhabisme dans le monde, ils envoient des millions, pour imposer leur religion
22 h 24, le 28 février 2018