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Lifestyle - Un peu plus

Mon Beyrouth

Une dédicace spéciale de Samir Kassir. Photo DR

Il suffit d’un rien pour voir les choses différemment, les entendre autrement. Il suffit d’un tout petit rien. Une conversation hivernale avec quelqu’un que j’aime particulièrement et dont je respecte les idées ainsi que le point de vue m’a ouvert les yeux, l’esprit et surtout le cœur.

Beyrouth pleure. Elle pleure sur elle-même, sur sa condition. Elle déplore ce désamour qui est venu s’imposer pernicieusement entre elle et les Beyrouthins… et elle n’y peut rien. Ils ont arrêté de l’aimer. Involontairement, ils ont laissé l’indifférence et la lassitude s’installer en eux. Il aura fallu cette phrase : « Beyrouth ne peut pas donner d’amour si on ne lui en donne pas… ou plus. » Il aura fallu cette phrase pour que le soir-même je sorte sur mon balcon achrafiyote, éclairé par la lune et un réverbère parkinsonien, pour que je regarde ma ville différemment.

J’ai toujours été parisienne d’adoption. Élevée sur des trottoirs lisses et propres, abreuvée de cette eau de source qui coulait dans le robinet et que l’on versait dans de vieilles bouteilles de Johnny Walker dont l’étiquette avait été déchirée. Mes nuits étaient aussi belles que les jours et les ponts de la Seine qui se succédaient me donnaient des envies de promenades. Puis, il y a une quinzaine d’années, je suis devenue beyrouthine. J’ai apprivoisé cette ville contrastée et essayé de me faire accepter dans un de ses quartiers. Un quartier d’habitués. Ces habitués qui se rappellent avec une nostalgie surprenante les maléji2, les anciennes boutiques, les Iznogoud, K.-O. la Bédéthèque et autres Maestro. Moi, je n’en connais que les noms qu’on prononce encore parfois pour indiquer une adresse.

Et puis Beyrouth est devenue ma ville. Ses rues, je les ai domptées. Ses habitants aussi. Un tiers d’une vie dans ses rues, ça finit par forcément créer des liens. Avec le dekanjé du coin, mes premiers, mes seconds et mes troisièmes voisins. Avec les commerçants, le coiffeur, la pharmacienne, le propriétaire du supermarché où tout le monde vient. J’étais devenue une Beyrouthine. Une Beyrouthine que l’amertume a fini par gagner. À force de coupures d’électricité, de douches d’eau glacée, de déchets et de défections canines jonchant les trottoirs, d’eau qui ruisselle partout, je me suis mise à détester ma ville. À détester ses habitants sans civisme, ses passants grossiers, ses tantét vulgaires à qui je trouvais tous les noms d’oiseaux. Noms d’oiseaux que je donnais sans cesse aux chauffards qui m’empêchaient d’accéder à mon immeuble, à l’instar de ceux qui me bloquaient dans les embouteillages.

Ce soir-là, sur mon balcon achrafiyote, j’ai regardé ma ville autrement. J’ai entendu les rires étouffés de ces amoureux qui descendaient la rue. J’ai bavardé comme Juliette avec un ami qui habite juste à côté, fumant, du haut de mon deuxième étage, une énième cigarette. Il faisait assez doux pour rester dehors. J’ai traîné un peu avant de rentrer, l’électricité nous ayant étonnamment fait faux bond à cette heure tardive. J’ai allumé des bougies. Et les ombres se sont mises à danser sur les murs. Je les aime ces bougies qu’on n’allume plus ou peu, seulement lorsqu’on veut embaumer son salon après avoir fait revenir de l’ail dans une poêle chauffée au gaz. D’ailleurs, je les aime, ces odeurs de cuisine qui parfument les escaliers et qui donnent envie de s’attabler chez la voisine qui ne rechignera pas à ouvrir sa porte. Je l’aime, cette voisine qui accueille votre gamin quand vous n’êtes pas à la maison. Quand il a préféré se promener dans les petites impasses aux vieilles maisons, et slalomer entre les voitures juchées sur les trottoirs cabossés. Je les aime, ces trottoirs où s’asseyent encore des Beyrouthins pour jouer à la tawlé. Où bavardent les commerçantes qui vous sourient quand vous passez à côté d’elles. Je les aime, ces trottoirs qui supportent des immeubles portant les blessures de la guerre. Portant l’histoire de cette ville aux mille histoires. Cette ville mille fois morte, mille fois revécue. Je l’aime cette ville. Beyrouth, vieille peau de 7 000 ans. Je t’aime, Bérytos. J’aime ton architecture étonnante et ta douce anarchie. J’aime ton bordel organisé, le chaos dont tu t’es toujours sortie avec violence et douceur. J’aime tes paradoxes et tes inspirations, ton mystère et ta transparence. J’aime ton côté suranné et ta fausse modernité. J’aime ton caractère faussement cosmopolite, ton ouverture et les remparts virtuels qui te protègent. J’aime tes couchers de soleil et tes plages, tes vieux hôtels de passe et tes bars branchés. Je t’aime aussi parce qu’un homme que j’aimais particulièrement et dont j’admirais les idées a raconté ton histoire avant de s’y éteindre dans le sang. Beyrouth, je t’aime malgré tout et malgré tous…

Il suffit d’un rien pour voir les choses différemment, les entendre autrement. Il suffit d’un tout petit rien. Une conversation hivernale avec quelqu’un que j’aime particulièrement et dont je respecte les idées ainsi que le point de vue m’a ouvert les yeux, l’esprit et surtout le cœur.Beyrouth pleure. Elle pleure sur elle-même, sur sa condition. Elle déplore ce désamour qui est...

commentaires (5)

Tu as raison Medea, nous ne cesserons jamais d'aimer NOTRE Beyrouth..et elle restera Set El Dunia "Malgre tout et malgre tous"...

Carine Massoud

14 h 22, le 29 janvier 2018

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Commentaires (5)

  • Tu as raison Medea, nous ne cesserons jamais d'aimer NOTRE Beyrouth..et elle restera Set El Dunia "Malgre tout et malgre tous"...

    Carine Massoud

    14 h 22, le 29 janvier 2018

  • Je m'adresse aux journalistes de ce journal que j'apprécie. Je m'adresse aux intellectuels de notre pays car je n'ai malheureusement plus confiance dans la classe politique. Personne ne s'alerte de cette catastrophe Écologique qui ravage nos plages ? C'est à vous journalistes et intellectuels de faire bouger les choses. La mer a vomi la poubelle et les détritus qu'on a essayé de lui faire avaler ! Avec quoi on va attirer les touristes ? Avec nos forêts coupés et bétonnés? Avec nos plages squattés? Quel slogan aux touristes ? venez nager dans la poubelle et les égouts? Ou avec nos rivières devenue égouts à ciel ouvert ?que laissons nous à nos enfants? Les images que j'ai vu me révolte et me donne envie de pleurer. Il fut un moment où on pouvait boire l'eau de nos rivières sans même la traiter.il fut un moment où le Liban était la destination des gens aisés en convalescence pour l'air pure qu'il avait. Que reste de tout ça ? Personne donc ne s'alerte?! Notre conscience serait morte ? Notre centre d'intérêt serait plus se qui se passe autour de nous plutôt que chez nous ? Ziad Rahbani avait raison. Va dormir et rêve que notre pays est devenu un pays !

    Alexandre Hage

    00 h 31, le 28 janvier 2018

  • Eh bien moi, je trouve magnifique cet article de Médéa Azouri que j'ai vue grandir sur "les trottoirs lisses" de Paris!!! Je suis une fille de Beyrouth et j'ai été très émue par cette sincère ferveur. Je t'aime Médéa.

    KHOUZAMI Joumana

    12 h 55, le 27 janvier 2018

  • Bravo et merci pour cette prose si poétique et cette déclaration d'amour pour cette ville qui est la capitale du vivre ensemble et du bien vivre. Merci pour cette flanerie qui vous fait oublier tout ce qui empoisonne la vie quotidienne des citoyens. Puissent les politiques en prendre conscience et apporter un minimum de confort technique et urbanistique pour entretenir et consolider ce délicieux sentiment de détente, de proximité et de chaleur humaine...

    Salim Dahdah

    11 h 45, le 27 janvier 2018

  • ET QU,AVEZ-VOUS VU DE VOTRE BALCON ACHRAFIOTE QUI NE DONNE CERTES PAS SUR TOUT BEYROUTH CHERE MADAME ? QUAND A PARISIENNE ELEVEE SUR DES TROTTOIRS LISSES ET PROPRES ? VEUILLEZ M,EXCUSER DE VOUS RAPPELER QU,ILS SONT JONCHÉS CES TROTTOIRS... COMME TOUT PARIS... D,EXCREMENTS ET DE PIPIS DE CHIENS CHERE MADAME ! CAR CHAQUE CHIEN A UN FRANCAIS POUR LE DESCENDRE SALIR LES RUES ET LES TROTTOIRS DE PARIS ! POUR LE RESTE DE L,ARTICLE C,EST POETIQUE JE L,ADMETS BIEN QUE LES ROMEOS ET LES JULIETTES SE FONT RARES DE NOS JOURS... !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 17, le 27 janvier 2018

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