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Culture - Bande Dessinée

Autant que la mer et ses poissons, je t’aime...

Chercheurs en sciences spatiales, urbanistes, architectes du monde entier, romanciers et cinéastes se sont essayés à imaginer le monde dans 100 ans. Zeina Fayad, elle, livre une vision de Beyrouth en 2030. « Add el-ba7r b7ebbak ».

Zeina Fayad est née quatre ans après cet après-midi d'avril 1975, qui n'avait de printanier que sa date, quand un bus a basculé, s'est embrasé, et avec lui tout un pays et le destin de quelques millions de personnes. La guerre civile retranche sa famille dans le village de Aramoun. Elle est scolarisée au Lycée français qui déplaçait ses murs au rythme des cessez-le-feu et au gré d'une guerre qui n'en finissait pas de finir. Sept années ont passé quand, fatigué de vivre dans des valises rangées à la hâte, son père décide que c'est dans la soute aux bagages qu'ils iront trouver leur place à bord d'un avion en direction d'une Europe accueillante et d'un peuple bienveillant.

Ainsi, à Bruxelles, où elle passera quelques années, jusqu'au brevet, elle s'imprègne de culture en général et de bande dessinée en particulier. Quand elle rentre à Beyrouth, son cerveau, qui n'avait jusqu'alors enregistré que les partitions matinales des cigales de son village et les images d'un peuple civilisé, trouve bien du mal à s'adapter au rythme d'une ville chaotique en mal d'identité. Zeina Fayad accuse le choc culturel et visuel, et s'inscrit à l'Université Saint-Joseph pour une licence en lettres et obtient son master. Pour sa thèse de doctorat, elle choisit l'option création, « un long travail qui draine toute votre énergie, vous vide et vous laisse interrogatif avec une question entêtante : et maintenant quoi ? » se souvient-elle. Quand elle se mettra à chercher du travail, c'est la Notre Dame University, installée dans le village de Deir el-Qamar, qui répond à son attente. Elle avoue : « J'étais ravie, je retrouvais l'odeur des pins, les aubes fraîches et des étudiants déterminés avec lesquels je partageais ma passion. » Elle se lance dans l'enseignement et retrouve sa plume le soir. Son premier opus, Boukra 3al-Mechmouch, en collaboration avec l'illustratrice Hoda Adra, voit le jour en 2015, et Add el-ba7r b7ebbak, illustré par Sarah Merhej, en 2017.

 

(Pour mémoire : Être dessinateur de BD au Liban, un « challenge »)

 

Mecanopolis
Qui aurait pu imaginer, en 1918, que plus de la moitié des êtres humains posséderaient 100 ans plus tard un smartphone ? Et pourtant, dans quelques années, on pourra, à la demande, acheter et télécharger des designs de meubles, les customiser pour qu'ils rentrent parfaitement dans notre maison et se rendre dans un centre d'impression 3D du quartier pour se faire fabriquer son modèle unique. On a même imaginé des maisons imprimées en 3D par un essaim de drones. Le gâchis n'existera plus et des systèmes de recyclage permettront d'éviter la majorité des déchets, les hommes auront moins de travail grâce aux hologrammes et, du côté de la vie quotidienne, les choses auront bien changé. C'est ce monde-là que Zeina Fayad décrit à travers les yeux d'une jeune Beyrouthine constamment inadaptée, dont les traits ne sont pas sans rappeler ceux de l'auteure. Employée dans le plus grand centre de la ville, Mecanopolis, une énorme bibliothèque de cinéma interactif, elle entame ses journées par un plongeon dans une piscine au 120e étage d'une tour, comme pour se ressourcer dans les profondeurs du seul élément qui résiste à la mutation du monde, l'élément que rien ne pourra altérer ou modifier : l'eau. Et le lecteur plonge avec elle. Entre gratte-ciel géants, voitures automatisées qui circulent sans pilotes et motocyclettes volantes, la ville bouge et avance sur des chemins empestés de composantes chimiques inconnues, mais conserve cependant un secret, celui d'un monde du bas, avec l'apparition des « gratte-terre », des petites mains gantées de bleues qui sortent des caniveaux et balaient les détritus.

 

(Lire aussi : Samandal, le temple de la BD libanaise, voit l'utopie en technicolor)

 

Pizzoucheh
C'est l'histoire de deux mondes, celui du haut et celui du bas, qui vont se connecter dans Add el-ba7r b7ebbak, pour tenter de sauver ce que les humains ont volontairement saccagé, mais c'est aussi l'histoire de deux jeunes filles : l'auteure et son sosie Anastasia, qu'elle rencontre dans ce café Pizzouch, que Zeina Fayad va narrer. Mais l'auteure reste nostalgique du passé, et les mains bleues, de temps en temps, ramassent un Bonjus jeté sur les pavés, et le café du coin livre des « pizzoucheh », version modifiée de la galette de thym traditionnelle, la man'oucheh. Dans un style emprunt de réalisme, d'humour, de poésie et d'imagination surprenante, la rencontre des deux jeunes filles va rythmer le cours de l'histoire et Lucien, technicien qui s'occupe de l'entretien de la piscine où les deux jeunes filles se croisent, servira de médiateur pour une aventure rocambolesque dans les tréfonds de la terre. Dans une aventure où l'auteure qui a vu sa ville se faire et se défaire, le monde se robotiser et se déshumaniser, elle garde l'espoir que quelque part il reste la nature, la mer, ses vagues et son écume, et le nom oublié des plantes et des fleurs, que l'on retrouvera un jour.

 

 

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Zeina Fayad est née quatre ans après cet après-midi d'avril 1975, qui n'avait de printanier que sa date, quand un bus a basculé, s'est embrasé, et avec lui tout un pays et le destin de quelques millions de personnes. La guerre civile retranche sa famille dans le village de Aramoun. Elle est scolarisée au Lycée français qui déplaçait ses murs au rythme des cessez-le-feu et au gré d'une...

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