La France et la Turquie ont fait un premier pas pour réchauffer un peu plus leurs relations bilatérales. Le président turc Recep Tayyip Erdogan s'est rendu à Paris hier pour y rencontrer son homologue Emmanuel Macron. S'agissant du plus important déplacement du dirigeant turc depuis le putsch manqué de juillet 2016 sur le Vieux Continent, cette visite était sous le signe de la coopération entre les deux pays sur le plan commercial, la lutte contre le terrorisme et la défense. « Je pense que la coopération entre le France et la Turquie est d'une importance vitale pour la paix régionale et mondiale », a déclaré M. Erdogan à l'occasion d'une conférence de presse peu avant de décoller pour Paris. « Sur les questions régionales, dans le domaine bilatéral, les pas que nous avons déjà faits avec M. Macron vont tout à fait dans le bon sens », a souligné le président turc lors d'une interview diffusée jeudi sur la chaîne française TF1.
Cette rencontre n'a cependant pas fait l'unanimité du côté français, alors que de nombreuses personnalités politiques ont désapprouvé ce rendez-vous diplomatique, dénonçant les multiples atteintes aux droits de l'homme par Ankara ou encore les attaques contre la liberté de la presse. Le président français s'est empressé d'insister plus tôt cette semaine sur la nécessité de « maintenir le dialogue » sans pour autant « cacher les divergences » avec son homologue turc. L'objectif de M. Macron est également d'« éviter la rupture » entre la Turquie et l'Union européenne alors qu'Ankara représente un « partenaire essentiel ». La déclaration du président français est lourde de sens alors que les relations franco-turques ont loin d'avoir toujours été au beau fixe.
(Pour mémoire : La libération du journaliste Loup Bureau, « un grand soulagement »)
« Liens particuliers »
Les liens entre le France et la Turquie remontent au XVIe siècle, lorsque le roi François Ier contracta une alliance avec Soliman le Magnifique, dixième sultan ottoman, pour contrer les Habsbourg de Charles Quint.
Suite à la chute de l'Empire ottoman, après la Première Guerre mondiale, la France, puissance mandataire en Syrie et au Liban, est un acteur-clé pour la redéfinition des frontières au Moyen-Orient et notamment celles de la Turquie.
Les relations se consolident dans les années soixante, marquées par la visite du général de Gaulle à Istanbul et Ankara en octobre 1968. En 1992, c'est au tour de François Mitterrand de se rendre à Istanbul pour inaugurer l'université francophone de Galatasaray. Il rappelle à cette occasion les « liens particuliers » entre Paris et Ankara « depuis un demi-millénaire » et souligne le « lien naturel qui existe entre la Turquie et l'Europe ».
Si les relations économiques et les échanges commerciaux se poursuivent entre les deux pays, les liens diplomatiques se dégradent ensuite. Et pour cause, la loi française du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 jette un froid sur Ankara. Mais le Conseil constitutionnel l'invalide au motif qu'elle portait « une atteinte inconstitutionnelle à l'exercice de la liberté d'expression ».
« Opportunisme politique »
Un autre dossier brûlant est la demande turque d'adhésion au sein de l'Union européenne. Une prise de distance de la France à l'égard de la Turquie est entamée à ce sujet sous le mandat de Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2012. L'ancien président français a lutté ardemment contre la requête d'Ankara et bloqué le processus d'adhésion. Il ne se rend par ailleurs qu'une seule fois à Ankara à l'occasion d'une visite de travail en février 2011 mais en qualité de président du G20. Les échanges sont froids et il ne reste sur place que cinq heures, ce qui lui vaudra d'être vivement critiqué par le président turc de l'époque, Abdullah Gül. Le dossier du génocide arménien est également remis sur la table par M. Sarkozy qui appelle la Turquie à reconnaître « les pages sombres de son histoire ». Le chef de la diplomatie turque dénonce quant à lui l'« opportunisme politique » de M. Sarkozy. En dépit de ces différends, un accord sécuritaire est signé en 2011 pour « une coopération opérationnelle de lutte contre le terrorisme » du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) sur le sol turc.
Il aura fallu attendre vingt-deux ans après la visite de François Mitterrand pour qu'un dirigeant français effectue un déplacement officiel à Ankara. François Hollande s'y rend deux jours en janvier 2014 suite à l'invitation de M. Gül. Cette visite historique est scellée par la signature d'un accord de coopération stratégique entre les deux pays. M. Erdogan, devenu président de la Turquie cette même année, se rend ensuite à Paris en octobre. Les relations diplomatiques entre Paris et Ankara commencent à se réchauffer dès 2012, suite à une collaboration plus étroite sur différents dossiers, notamment sur les crises secouant le Proche et le Moyen-Orient.
En recevant M. Erdogan pour la première fois hier, M. Macron se place donc dans une position de médiateur. Il veut notamment rétablir les relations particulièrement mauvaises de l'Union européenne avec la Turquie isolée, tout en usant d'un ton bien plus ferme – quoique pragmatique – que celui de son prédécesseur sur la question des droits humains.
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commentaires (4)
Il y a deux lois distinctes. L'une concerne la reconnaissance du génocide des arméniens par la France qui date 2001. Et la deuxième, celle qui a été invalidée par le conseil constitutionnel sous la présidence de Jean Louis Debré, est la loi pénalisant la contestation du génocide. Et qui date 2012. Dans l'article il y a confusion entre les deux. Merci par avance pour la rectification.
Sarkis Serge Tateossian
15 h 38, le 07 janvier 2018