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Moyen Orient et Monde - Éclairage

En Birmanie, le pape François marche sur des œufs

Le souverain pontife a rencontré hier le chef de l'armée birmane, accusé par des ONG d'être le principal responsable de la campagne de répression contre les Rohingyas.

Le pape François accueilli à l’aéroport de Rangoun. Osservatore Romano/Handout via Reuters

C'est une visite des plus délicates pour le pape. Très préoccupé par la question du respect des minorités, c'est en Asie et plus précisément à Rangoun, la capitale birmane, que le souverain pontife est arrivé hier. « Je vous demande de m'accompagner par la prière, afin que ma présence soit pour ces populations un signe de proximité et d'espérance », avait lancé le pape dimanche aux 30 000 fidèles réunis place Saint-Pierre pour la prière de l'Angélus.

Depuis le début de la crise des Rohingyas, persécutés par les autorités birmanes, démarrée en octobre 2016 et qui s'est accentuée durant les derniers mois, le pape a, à plusieurs reprises, affiché sa solidarité et demandé le respect des droits de cette minorité musulmane. Inscrite à l'agenda du Vatican depuis près de deux ans, cette visite s'annonce complexe alors que pèse sur ce pays, très majoritairement bouddhiste, des accusations, notamment de la part de l'ONU, d'« épurations ethniques ». « Il ne s'y rend pas pour évoquer la question des Rohingyas, puisque la visite était prévue avant et a pour but de rencontrer les chrétiens de Birmanie et du Bangladesh, mais les deux sont en train de s'enchevêtrer », explique à L'Orient-Le Jour Jean-Baptiste Noé, historien et auteur de Géopolitique du Vatican (éditions PUF).

 

(Lire aussi : Les Rohingyas plus que jamais menacés)

 

Fin août, des dizaines de postes de police avaient été attaqués par les rebelles de l'Armée de libération du Rohingya, mouvement insurrectionnel qui dit vouloir défendre les droits bafoués des Rohingyas. Plus de 620 000 Rohingyas avaient ainsi été contraints de fuir leurs villages de l'État Rakhine pour échapper à une campagne de répression de l'armée. C'est justement le chef de l'armée, le général Min Aung Hlaing, qui a eu le privilège de rencontrer le pape hier matin, lors d'une visite surprise éclair à la cathédrale Sainte-Marie de Rangoun. Accusé par les organisations de défense des droits de l'homme d'être le principal responsable de la campagne de répression, il est l'un des hommes les plus puissants du pays. D'après le porte-parole du Vatican, Greg Burke, les deux hommes ont discuté « de la grande responsabilité qu'assument les autorités du pays dans cette période de transition ». Le chef de l'armée birmane a déclaré avoir assuré au pape François que son pays n'exerçait « aucune discrimination religieuse », dans un message sur Facebook diffusé par ses services.

Le chef militaire a tenté hier de se positionner en interlocuteur de premier plan, en devançant la rencontre prévue mardi avec le gouvernement de la Prix Nobel de la oaix Aung San Suu Kyi. Cette dernière a perdu de son prestige international à cause de son silence assourdissant puis pour sa gestion du drame des Rohingyas, vivement critiqués par la communauté internationale. Cette dernière avait dénoncé en septembre un « iceberg de désinformation » dans la crise, accusant la communauté internationale et les médias étrangers d'avoir un « parti pris pro-rohingya ». Des dirigeants musulmans avaient notamment évoqué le terme de « génocide » et appelé la dirigeante birmane à prendre des mesures adéquates.

 

(Pour mémoire : Le pape déplore le sort des 200.000 enfants rohingyas affamés)

 

Retour des réfugiés
Alors que le pape François avait demandé aux fidèles en août place Saint-Pierre de prier pour leurs « frères et sœurs rohingyas », le fait de les évoquer par leur nom lors de cette visite pose problème. Les membres de cette minorité religieuse sont considérés par le gouvernement comme des immigrés illégaux, et le mot même de « Rohingya » est tabou en Birmanie, où on parle de « Bangladais ». Ainsi, des évêques birmans auraient conseillé au pape d'utiliser la dénomination de « musulmans de l'État Rakhine ».

Les bouddhistes du pays sont fortement échaudés par les critiques internationales qui les pointent du doigt et le chef de l'Église catholique, premier pape à se rendre au Myanmar, n'a aucun intérêt à provoquer des tensions, notamment parce qu'elles pourraient se répercuter sur les chrétiens birmans. Il y aurait près de 700 000 catholiques en Birmanie – un peu plus de 1 % des 51 millions d'habitants du pays –, et cette petite communauté a, elle aussi, longtemps été discriminée par la junte birmane. « Les catholiques du pays pourraient avoir des problèmes si le pape évoque la question », rappelle Jean-Baptiste Noé. « Il s'agit de ne pas mettre les chrétiens en porte-à-faux et ne pas embarrasser le gouvernement », poursuit l'historien.

Alors qu'il effectue son 21e voyage, le pape François doit également se rendre jeudi au Bangladesh voisin qui a accueilli des centaines de milliers de Rohingyas depuis cet été. La semaine dernière, la Birmanie et le Bangladesh ont annoncé un accord sur un retour des réfugiés rohingyas, mais le chef de l'armée s'est déjà dit opposé à leur retour en masse. La venue du pape François au Bangladesh à compter de jeudi s'adresse aux fidèles de toutes les religions de ce pays pauvre à majorité musulmane, et pas uniquement aux catholiques, a estimé hier l'archevêque de Dacca. « Le pape ne vient pas que pour les catholiques mais pour la nation tout entière. Pour tout le monde dans ce pays quelles que soient leur foi, leur croyance et culture », a déclaré le cardinal Patrick D'Rozario lors d'une conférence de presse dans la capitale.

 

 

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