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Nos Lecteurs ont la Parole - Sylvain THOMAS

L’art subtil de ne rien faire

Les heures et les journées qui rythment notre troisième millénaire sont pénétrées de l'idée que le travail est indispensable, de sorte que nous vivons tous avec le souci constant d'étendre le champ de nos activités et d'augmenter notre rendement. Certes, le travail est excellent en soi, et c'est en s'y consacrant que l'humanité est parvenue à accomplir d'innombrables réalisations et de grands projets scientifiques, médicaux et spatiaux.
Mais il peut aussi tourner à l'obsession et en arriver à accaparer notre attention de façon si totale que nous perdons notre faculté naturelle de goûter à l'oisiveté. Nous devenons de véritables névrosés dont le travail est l'unique cheval de bataille, oubliant que la science du « Comment arriver à faire plus? » peut être néfaste si elle n'est pas contrebalancée par une connaissance équivalente du « Comment ne rien faire ? ».
Notre ignorance à cet égard est devenue désastreuse. Il suffit pour s'en rendre compte d'observer le comportement des hommes et des femmes qui, libérés pour un instant de leur tâche quotidienne, s'essayent à l'oisiveté avec une touchante bonne volonté. Ils jouent au basket-ball, font du footing, dansent, font de l'aérobic ou de la marche à pied. Cet acharnement à vouloir s'occuper n'est pas un élément propice à une oisiveté fructueuse. Ceux qui ratissent les feuilles mortes de leur jardin suspendu, soignent leurs fleurs ou vont flâner avec un ami ne sont pas non plus dans la bonne voie. Certes, ils se livrent à d'agréables et plaisantes occupations, mais ils ne sont pas vraiment et réellement dans l'axe des oisifs.
Alors on s'explique : la recette de la vraie oisiveté n'est pas compliquée, c'est la suspension de tout effort physique, arrêt de toute pensée utilitaire. Ce qui implique que l'on se laisse aller, que l'on devient pour quelques instants aussi inerte qu'une pierre ou une feuille, que l'on repousse ces invites incessantes et cette activité harcelante, poisons nés de la civilisation, et que l'on renonce à l'habitude harassante de toujours agir et penser en vue d'un but déterminé pour laisser l'esprit errer çà et là au hasard et sans guide. Il s'agit, en un mot, d'apprendre à ne rien faire pour une trentaine ou une soixantaine de minutes.
À l'occasion, observons une bête au repos, un tigre, un renard ou notre chat. Ses yeux calmes ne voient rien, ne fixent rien, ses muscles détendus semblent figés. L'animal a complètement oublié ses préoccupations habituelles, il est désœuvré. Pour lui, c'est aussi naturel que boire ou manger. Pour l'homme, c'est un apprentissage à faire. Après quoi, un monde de sensations nouvelles s'ouvre devant lui, un monde où règnent une paix et une subtilité de perception telles qu'il n'en a jamais connues. Dans ce royaume, l'esprit humain fatigué se délasse comme nulle part ailleurs.
Si nous portons des lunettes, enlevons-les ; elles exercent à la racine de notre nez une pression légère, mais irritante. Il en va de même pour notre ceinture et notre col, qui nous serrent ; relâchons-les. Abandonnons-nous et allongeons-nous sur un fauteuil et reposons-nous. N'essayons pas de suivre une idée, aucun fil conducteur ne doit désormais guider notre esprit, qui va vagabonder à son gré.
Bientôt de vagues pensées, des réminiscences, des perceptions vont s'agiter dans notre conscience fraîchement libérée. Parce que nous sommes délivrés de la double tyrannie de la pensée et de l'action, notre esprit a maintenant quelque chance de percevoir, par exemple, l'odeur des fleurs placées à proximité de nous dans un vase. Elle a flotté subtilement dans la pièce toute la journée. Respirons-la largement, jusqu'au fond des poumons.
Puis aussi ce rayon de soleil, nous venons de découvrir son existence, nous le sentons sur notre main comme la chaleur émise auprès d'une cheminée. Le monde commence, dirait-on, à ne pas nous paraître tellement mauvais, avec ce parfum des fleurs qui chatouille nos narines et ce soleil qui nous chauffe la peau... Laissons-nous flotter et demeurons en paix. Le bourdonnement de cette abeille fait une étrange musique ! Ce pan de ciel est d'un bleu éblouissant ! Le contact du fauteuil procure à nos muscles détendus une sorte de béatitude et le rythme lent et profond de notre respiration crée une étrange paix. Des bribes de souvenirs sans suite nous parviennent : odeur de l'océan un jour d'été, fuite éperdue d'un chat dans les herbes touffues de l'hiver, battements fugitifs des ailes d'une hirondelle lors d'un radieux matin de printemps.
Apprenons à ne pas offrir de prise à l'ennui. Pouvoir demeurer étendu des heures sans que la satiété ne nous effleure. Goûter dans le repos du corps l'essentiel des joies. Par l'immobilité, vaincre l'éphémère, les contingences, le désir toujours inefficace. Avoir le cerveau si vide ou si riche qu'il ne souffre point de l'inaction.

 

Les heures et les journées qui rythment notre troisième millénaire sont pénétrées de l'idée que le travail est indispensable, de sorte que nous vivons tous avec le souci constant d'étendre le champ de nos activités et d'augmenter notre rendement. Certes, le travail est excellent en soi, et c'est en s'y consacrant que l'humanité est parvenue à accomplir d'innombrables réalisations et...

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