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Liban - Commentaire

Retour sur un passé douloureux...

Au-delà de la tentative de récupération par les partis politiques à dominante chrétienne du verdict de la Cour de justice sur l'assassinat du président élu Bachir Gemayel, les réactions qu'il a provoquées montrent que les plaies de la guerre civile sont loin d'être cicatrisées. Elles n'ont d'ailleurs jamais été vraiment traitées, car les différents protagonistes de la guerre sont devenus aujourd'hui des partenaires au sein de l'État sans avoir procédé à de véritables réconciliations populaires, ou même à un débat franc et global sur le rôle de chacun et sur l'évaluation des pertes et profits de cette guerre.

Brusquement, parce que les parties étrangères, internationales et régionales, qui trouvaient un intérêt particulier à alimenter la guerre interne, ont décidé qu'il était temps d'y mettre un terme, d'autant que l'objectif, selon eux, avait été atteint, puisque les chrétiens avaient perdu la guerre et étaient désormais prêts à accepter de faire des concessions au niveau de leur présence au pouvoir, les conflits se sont arrêtés et l'accord de Taëf est devenu la nouvelle Constitution.

Les Libanais sont aussitôt entrés dans une phase d'oubli... sans avoir vraiment tourné la page du passé. Paralysés par le carcan confessionnel instauré par les anciennes milices devenues partie intégrante du pouvoir – qui entraîne d'ailleurs un repli identitaire et national –, les Libanais ont omis de demander des comptes aux seigneurs de la guerre qui ont imposé leurs pratiques miliciennes aux institutions de l'État et qui continuent à camper sur les sacs de sable, devenus des ministères et d'autres morceaux de pouvoir, pour continuer leur guéguerre.

Contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres pays, les canons se sont tus et les chefs de milice sont devenus les héros de la paix, se partageant entre eux les influences, tout en continuant à mobiliser leurs partisans parce qu'ils sont l'instrument de leur pouvoir. Épuisés par la guerre, les Libanais n'ont pas cherché à demander des comptes et leurs retrouvailles sont restées superficielles et fragiles... Il y a bien eu des tentatives de redistribution des cartes internes à travers la création de mouvements transconfessionnels, notamment le 14 et le 8 Mars, mais lorsque les enjeux politiques régionaux et internationaux ont changé, ces mouvements se sont retrouvés minés par l'allégeance confessionnelle qui a rapidement repris le dessus.

 

(Lire aussi : Dabké avec Bachir, l'édito de Ziyad Makhoul)

 

C'est dans ce contexte exacerbé et radicalisé (campagnes électorales obligent) qu'a été rendu le verdict de la Cour de justice sur l'assassinat de Bachir Gemayel, un verdict reporté pendant des années parce que la plus haute instance judiciaire du pays ne voulait justement pas rouvrir les blessures du passé et craignait les retombées de sa décision. Il a fallu le président Michel Aoun pour donner l'impulsion suffisante, à travers le ministre de la Justice, à la Cour de justice pour qu'elle rende son verdict. Le chef de l'État considérait qu'il fallait en finir avec ce dossier dont le report d'année en année mettait de plus en plus en cause la crédibilité de la justice. Dès la formation du gouvernement, il a demandé au ministre de préparer les nominations judiciaires pour pouvoir en finir avec les dossiers qui traînent et qui alourdissent la justice. Avant-hier Ahmad al-Assir, hier Habib Chartouni, demain le dossier de l'imam Sadr et probablement les dossiers des islamistes emprisonnés...

La démarche est louable, mais elle intervient à un moment politique particulièrement houleux et, au lieu de susciter un soulagement populaire, elle ravive les anciennes blessures et provoque des commentaires d'une rare violence entre les partisans des uns et des autres.

Bachir Gemayel est-il un héros ou un traître ? Habib Chartouni est-il un vulgaire assassin ou l'homme qui a posé les jalons de la résistance ? Les esprits s'enflamment et la réalité se perd dans les remous des passions. Ce qui est sûr, c'est qu'on ne peut pas juger les événements d'hier avec les yeux et les circonstances d'aujourd'hui. On ne peut pas en vouloir à une grande partie des chrétiens d'avoir aimé Bachir, voyant en lui le héros qui luttait pour maintenir leur présence au Liban, face aux musulmans qui avaient choisi de faire « des fedayine palestiniens leur armée » (selon les termes du mufti de l'époque), et qui en même temps a incarné, pour eux, le renouveau de l'État et des institutions. En même temps, on peut comprendre la détermination de Habib Chartouni et ceux qui travaillaient avec lui, à porter un coup dur à l'influence israélienne au Liban, après l'invasion de 1982. On dirait presque qu'il ne s'agit ni de la même personne ni du même événement, tant les lectures sont opposées. Est-ce la faute des chrétiens si une grande partie d'entre eux rejetait à l'époque l'identité arabe et voyait dans l'Occident et même en Israël leurs protecteurs naturels ? Est-ce la faute des musulmans et des partis dits du Mouvement national, ancrés dans le monde arabe et engagés auprès de la cause palestinienne, s'ils croyaient qu'il fallait combattre ce courant chrétien par la force ?

 

(Lire aussi : Coup sur coup, la mémoire de la guerre se réveille)

 

Ces thèmes épineux auraient dû faire l'objet d'un débat interne s'il y avait réellement eu une intention de tourner la page de la guerre au Liban, si la classe politico-milicienne avait pour une fois fait preuve de sens des responsabilités envers ce peuple sans cesse instrumentalisé à des fins qui n'ont rien à voir avec les principes brandis.

La solution, elle, est donnée par le nouveau commissaire du gouvernement près le tribunal militaire, Peter Germanos, qui avait écrit un livre avec Camille Germanos intitulé Les itinéraires manqués pour faire la paix au Liban. Dans cet essai, le magistrat chevronné aborde « les questions essentielles posées par l'après-guerre ». Il évoque les notions de reconnaissance, de réconciliation et de pardon, sans lesquelles la société libanaise ne saurait panser définitivement ses plaies. Germanos préconise ainsi le recours à « la justice réparatrice comme cadre de réflexion », tout en suggérant au Parlement de former « une commission de vérité », à l'instar de celle créée en Afrique du Sud, pour démonter les mécanismes de la violence et régler une fois pour toutes les dossiers des disparus et des déplacés. Dans cette commission, chaque partie ferait « sa confession ». Ce qui constituerait le début d'un dialogue. En même temps, « la justice réparatrice », qui serait le fait des instances judiciaires, « vise à rétablir les liens sociaux perturbés du fait de la guerre, sur la base de l'équité sociale ». « Plutôt que de viser la remise en état de la société d'avant-guerre, cette justice réparatrice cherche à restaurer des rapports où les droits de chacun à la dignité, à la sécurité et au respect sont honorés en toute égalité. Elle se distingue de la justice ordinaire qui vise l'infraction dans l'esprit de faire respecter la loi et l'autorité de l'État. Elle n'est pas non plus une justice de rédemption basée sur la compensation. Elle est plutôt une justice de transformation qui tient compte de l'attitude du contrevenant et de la capacité de la victime à lui pardonner... ». Le Liban pourrait ainsi tirer profit de son rendez-vous avec le passé, ce passé qui vit encore en chacun de nous, soit dans nos mémoires, soit grâce à celle de ceux qui nous ont précédés...

 

 

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commentaires (6)

baratin sur baratin ... aucune mention du pardon que geagea a assener en plein discours devant un parterre de libanais ... qui veut parler de trahison parlerait aussi de ceux qui se réclame d'un autre pays (une honte)... qui veut parler de condamnation parlerais aussi des 11 ans que le hakim a passer dans la prison de ces ennemis meme pas une prison conventionnelle, qui de surcroit a ete LE SEUL A AVOIR FAIT DE LA PRISON pour ca participation a la guerre ... meme le hezb devrait y passer créer officiellement en 83 mais existait sous une autre forme depuis 80 pour contrecarre la creation de l'unification Chrétienne IL FAUT DIRE LES CHOSES TELLES QU'ELLES SONT .. DIRE LA VERITE NOUS REND LIBRE

Bery tus

18 h 40, le 23 octobre 2017

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Commentaires (6)

  • baratin sur baratin ... aucune mention du pardon que geagea a assener en plein discours devant un parterre de libanais ... qui veut parler de trahison parlerait aussi de ceux qui se réclame d'un autre pays (une honte)... qui veut parler de condamnation parlerais aussi des 11 ans que le hakim a passer dans la prison de ces ennemis meme pas une prison conventionnelle, qui de surcroit a ete LE SEUL A AVOIR FAIT DE LA PRISON pour ca participation a la guerre ... meme le hezb devrait y passer créer officiellement en 83 mais existait sous une autre forme depuis 80 pour contrecarre la creation de l'unification Chrétienne IL FAUT DIRE LES CHOSES TELLES QU'ELLES SONT .. DIRE LA VERITE NOUS REND LIBRE

    Bery tus

    18 h 40, le 23 octobre 2017

  • Personne n'aurait imposé la solution de Taef, ou tout autre Taef, au Liban, si le fameux général Tapioca, aujourd'hui malheureusement Président, n'avait pas détruit l’état et la résistance LIBANAISE! La vraie! Celle qui s’était faite pour le Liban et les Libanais FaQad la Gheyr! Le statut quo se serait maintenu jusqu'au fameux 11/09 et alors, ni la Syrie, ni les Palestiniens, ni l'Iran ou le Hezbollah, tous réunis, n'auraient eu la possibilité de résister a la révolution des Cèdres qui aurait eu lieu... Si le Liban a encore des problèmes aujourd'hui c'est simplement parce que, en langage simpliste, les "méchants" ont gagné la bataille, les traîtres se sont imposés en partenaire et partagent la gérance du pays en toute impunité et arrogance, ils maintiennent le pays dans la corruption, l’empêche de se développer et le garde en statut de guerre permanente afin de garder leurs emprises sur le pays. Attention de croire que la guerre est terminée tant que le PSNS ou autre Baas rêvent de voir le Liban disparaître au sein de la Syrie, le Hezbollah le transformer en province iranienne ou même les salafistes le faire fondre dans un Califat! La lutte continue avec ou sans armes jusqu’à ce que tous les Libanais comprennent que la seule solution est celle d’être simplement: Libanais. 60% le savent très bien, 5 a 10% ont encore besoin de mieux le digérer, il reste encore les fous furieux qui vont bientôt prendre leur leçon pour bien se tenir. Espérons que ce sera a moindre mal!

    Pierre Hadjigeorgiou

    17 h 31, le 23 octobre 2017

  • je me disais WOW,pr une fois s haddad a ecrit juste! on ne s'attendait pas a plus. mais vite fait la voila qui vire vers les mots elogieux faites a son idole...SOIT elle est endroit, MAIS pas lorsque les faits qui denient "ses verites" elogieuses. chassez le naturel quoi.. !

    Gaby SIOUFI

    10 h 18, le 23 octobre 2017

  • UN PANEGIRIQUE INDIRECT DE TOUS CEUX A L,APPARTENANCE NON NATIONALE ET SANS LEUR CONDAMNATION... LE PARTI PRIS ET LA DESINFORMATION... ARROSE DE BARATIN... Y PREVALENT DANS CE DIT ARTICLE CAMOUFLÉ !

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 23, le 23 octobre 2017

  • Les Libanais ont aimé Bachir car, devenu président, il l'était de tout les libanais et il les unissait tous pour confirmer un pays aux institutions étatiques déja établies par Fouad Chéhab. Ces assassins ne voulaient pas de ce pays mais plutôt voulaient et veulent toujours en faire une petite partie, sans conséquence aucune, d'une région ancestrale dépecer en morceaux par une histoire longue et violente. Bachir voyait un avenir tourner vers un future de progrès alors que ces assassins voit un future de haine et de guerre continue...

    Wlek Sanferlou

    04 h 13, le 23 octobre 2017

  • Pour une fois, je vous félicite pour cette analyse objective, et qui remet les pendules à l'heure... Il est temps d'analyser le pourquoi de cette situation misérable de notre pays qui n'arrive pas à se reconstituer ni changer quoi que ce soit au pourrissement quotidien des institutions et de l'état. On paye en effet, à ce jour les conséquences de cette guerre civile qui se termina en queue de poisson, sans vainqueur ni vaincu, bien que les Chrétiens furent les grands perdants, en ramenant les seigneurs de la guerre, chefs de milices et autres chefs de tribus féodaux au pouvoir, en s'amnistiant mutuellement et décidant de tourner la page sur le passé... Vous parlez de débat interne, de sens des responsabilités, de réconciliation, de pardon, de justice réparatrice... Le pauvre peuple Libanais serait prêt à tout cela, si seulement on laisse la place à de nouvelles figures politiques intègres, indépendantes, honnêtes... or ce n'est pas demain la veille... Surtout à l'ombre d'un état dans l'état!

    Saliba Nouhad

    04 h 07, le 23 octobre 2017

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