Depuis plusieurs jours, les unes des médias occidentaux, télés, journaux ou radios confondus, sont consacrées aux États-Unis. Naturellement, on penserait qu'il s'agit encore de Donald Trump, de ses frasques, tant personnelles (sa bataille de QI avec son secrétaire d'État Rex Tillerson restera dans les mémoires) que politiques. On penserait que ces unes essaieraient de décrypter son détricotage systémique des avancées majeures du mandat mitigé de Barack Obama. Ou, à l'opposé, sur quelque rarissime réflexion un tantinet plus saine, comme la dénonciation de la politique néofasciste de Téhéran aux Proche et Moyen-Orient.
Mais non. Le président américain est relégué loin derrière. Tout le monde ne s'intéresse en ce moment qu'à Harvey Weinstein. L'homme est à la fois un criminel et un génie. Génial, parce que ce patron de studio, producteur et distributeur de films a un flair cinématographique rare – en témoignent, notamment, les dizaines d'Oscars que les œuvres dont il s'est occupé ont reçus. Criminel, parce que cela fait des années qu'il harcèle sexuellement et/ou viole, tranquillement, sereinement et méthodiquement, des actrices, stars ou starlettes, peu importe. À tel point que près de 50 d'entre elles, et pas des moindres, viennent de l'accuser publiquement. À tel point que les langues se sont déliées, de partout, que de très nombreuses personnes, qui savaient mais qui étaient engluées dans l'omerta, ont littéralement lâché les eaux. À tel point qu'en France, par exemple, cent et une questions se posent désormais ; que la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes tente de monter au créneau avec le microbudget qui est le sien, ou que le hashtag #BalanceTonPorc cartonne sur Twitter, utilisé par de très nombreuses victimes de harcèlement ou d'agression sexuelle qui n'en peuvent plus de se taire. Hollywood est définitivement un hypocentre.
Comment alors ne pas penser au Liban. Aux Libanaises, d'abord ; aux femmes vivant au Liban, aussi. Si l'étendue des dégâts dans des pays nettement plus avancés que nous en matière de droits des femmes a atteint de tels niveaux, l'état des lieux sur ces 10 452 km² doit être catastrophique. Combien de Weinstein se cachent au Liban, derrière leur cigare, derrière leur costume ou leur uniforme, derrière leur arrogance, et derrière, surtout, cet insupportable sentiment d'impunité, fléau parmi les fléaux ? Combien de Weinstein locaux, des Charbel ou des Mohammad, quelle que soit leur appartenance socioculturelle ou communautaire, quel que soit leur âge, oublient qu'ils ont des mères, des sœurs, des filles, convaincus que n'importe quelle femme ne pourrait qu'être flattée par leurs avances, leurs mains aux fesses, leurs remarques salaces, et même leur semence ? Combien de Weinstein libanais, hommes de pouvoir ou pas, convaincus par leur mère des décennies durant qu'ils sont des demi-dieux, vont continuer à violenter des générations de filles et de femmes ? Et pendant combien de temps, surtout, ces filles et ces femmes vont, par leur silence et leur traumatisme, contribuer à pérenniser cette impunité – sachant à quel point, dans ce cas, la prise de parole peut être, a priori, sans aide, sans support moral, psychologique et juridique, atrocement difficile ? Surtout dans un pays où l'État, déliquescent comme jamais, se moque gentiment de ces petits états d'âme, et où les ONG et la vaillante société civile ne sont soutenues en rien.
Et pourtant. Une des rares bonnes choses nées du binôme Aoun-Hariri est, sur le papier, la création d'un ministère chargé des Droits de la femme et son attribution à un homme de grande qualité, Jean Oghassabian – même si une femme aurait eu bien plus d'impact. Sauf que sans véritable détermination à changer les mentalités, à sanctuariser nos mères, nos filles, nos sœurs et nos femmes, sans un appareil judiciaire efficace et moderne, et surtout, sans moyens financiers, ce brave ministre ne pourra absolument rien faire. Juste, comme tout le monde, se taire.
c'est le regne de: "Toutes des putes, sauf ma mere".
13 h 29, le 17 octobre 2017