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Liban - Mémoire

En péril, le patrimoine beyrouthin résiste tant bien que mal à la politique de la table rase

Alors que le projet de loi pour la protection du patrimoine vient d'être approuvé par le Conseil des ministres, la disparition de monuments emblématiques semble rester une constante. L'association Save Beirut Heritage entend apporter de nouvelles solutions au problème.

Depuis des décennies, le cinéma à l’abandon surnommé « L’Œuf » trône au centre de la capitale.

Cela fait déjà quelques années que l'association de protection du patrimoine Save Beirut Heritage, une parmi tant d'autres, dont l'APSAD, s'efforce tant bien que mal de freiner la destruction de ce qu'il reste du vieux Beyrouth et de sa périphérie, qui se réduit progressivement comme peau de chagrin. Petit bilan express du patrimoine en péril, et des failles urbanistiques béantes, dans le pays en général et dans la capitale en particulier.

En 2011, la destruction programmée de L'Œuf – la salle d'un cinéma à l'architecture avant-gardiste, située à proximité de la place des Martyrs – avait suscité une vague d'indignation. Dans un élan sans précédent, des Beyrouthins avaient manifesté pour stopper cette démolition, suscitant toutefois peu de réactions de la part des politiques et des investisseurs.

Cette mobilisation avait été initiée par l'ONG Save Beirut Heritage (SBH) afin de protéger cette structure noircie et peu avenante, bien connue des habitants du centre-ville. La finalisation de cet édifice, au style moderniste, fut stoppée par la guerre débutée en 1975. Initialement, l'œuvre ovoïde, dessinée par l'architecte Joseph Philip Karam, devait faire partie du City Centre, un ensemble de commerces, de résidences et de bureaux, explique la responsable du SBH Joanna Hammour.

Pour l'heure, le sort de L'Œuf reste incertain. « La société Solidere indique dans son contrat de gestion actuel que le monument doit être préservé, plus particulièrement la structure externe. Mais en ce qui concerne l'intérieur, c'est l'inconnu, on ne sait pas ce qui va advenir de cet ancien cinéma », précise-t-elle. D'une certaine manière, ce bâtiment abandonné permet d'illustrer toute la problématique de l'héritage de la ville, confronté aux projets urbanistiques les plus fous.

Stigmates

D'aucuns pourraient s'interroger sur l'intérêt de conserver L'Œuf, une « épave » coûteuse à rénover, dans un centre-ville où le mètre carré se négocie à prix d'or. « Il est important de préserver l'édifice pour deux raisons. Il fait partie du paysage de la capitale, et deuxièmement, les Beyrouthins se le sont approprié, c'est désormais une structure icône de Beyrouth », insiste Joanna Hammour. Depuis la publication d'un communiqué annonçant sa préservation – ou du moins sa structure –, le climat semble s'être apaisé.
Concrètement, le Mandarin Oriental, un hôtel de luxe 5 étoiles, devrait voir le jour sur le site actuel du chancre. Le projet comporterait également des résidences et des bureaux. Selon les dernières informations dont dispose le SBH, la société en charge des travaux envisagerait d'effectuer les constructions autour de L'Œuf, l'accès à celui-ci se trouvant par conséquent restreint et seuls les occupants des nouveaux bâtiments pourraient l'observer. Une restriction que Mme Hammour déplore. « L'Œuf fait partie de ces monuments emblématiques de Beyrouth, c'est un landmark qu'il ne faut pas cacher. Nous regrettons qu'il n'y ait pas encore de plan envisageant son intégration à l'espace public », s'offusque-t-elle.

Mazen Haidar, professeur d'architecture à l'Académie libanaise des beaux-arts, va dans le même sens. « L'Œuf est l'exemple de l'architecture moderniste présente à Beyrouth. Il fait partie des vestiges de la guerre civile. Aujourd'hui, nous sommes face à la politique de la table rase, visant à éliminer les résidus de la guerre », explique-t-il. Le spécialiste du patrimoine beyrouthin préconise une solution pour la sauvegarde du monument. « Le nouveau projet impliquant L'Œuf devrait pendre en compte une double considération : rendre compte du conflit passé, sans magnifier pour autant les traces de la guerre. L'Œuf est un des rares vestiges qui porte en lui ces deux considérations. »

Un autre emblème sur la sellette

La Grande Brasserie du Levant, un autre bâtiment iconique de Beyrouth situé dans le quartier de Jeitawi, a lui aussi défrayé récemment la chronique. Sa démolition avait été stoppée suite à un arrêté du mohafez de Beyrouth. « Un groupe d'architectes a expliqué que le bâtiment pouvait être exploité, l'édifice disposant de volumes avantageux dans un quartier tel que Mar Mikhaël », explique Joanna Hammour.

Désormais, le projet retenu pour remplacer la brasserie porte le nom de Mar Mikhael Village, un centre hybride composé de commerces et de résidences modernes. « Le projet en lui-même, le Mar Mikhael Village, est paradoxal. Ce quartier est une fabrique humaine qui fait son charme. Les institutions publiques devraient prendre en compte sa dimension historique », relève Mme Hammour.

Quelle ligne directrice faudrait-il alors adopter pour mieux protéger les bâtiments historiques ? Tout d'abord, répertorier et classer correctement le patrimoine, selon le SBH, pour qui le patrimoine architectural de Beyrouth se divise en deux catégories. L'Œuf et la Brasserie sont des monuments emblématiques de Beyrouth. D'autres sont plutôt des bâtiments résidentiels symboliques, témoignages de l'évolution architecturale riche et variée de la capitale. La responsable du SBH souligne que ceux-ci sont en train de disparaître au profit des nombreux gratte-ciels.

Alors que les grands groupes d'investisseurs étrangers n'attachent que peu d'importance au passé de la capitale, l'ONG semble être déterminée à scruter les mouvements mettant le vieux Beyrouth en péril afin de le pérenniser coûte que coûte.

Prochain article : l'interview d'Antoine Atallah, architecte-urbaniste et vice-président du Save Beirut Heritage

Save Beirut Heritage : un lobbying de longue haleine

Créé en 2010, Save Beirut Heritage a entamé réellement son action lorsqu'il est devenu une ONG en 2013. Au début, des réunions hebdomadaires étaient organisées pour mener des actions sur le terrain, explique Joanna Hammour, responsable de l'association. Le premier coup d'éclat du SBH fut une manifestation d'ampleur pour la sauvegarde du patrimoine, à Gemmayzé. « Nous fonctionnons grâce à une sorte de système d'alerte : lorsqu'un immeuble va être démoli, on prévient la Direction générale des antiquités afin de freiner le processus. Il y a donc une coopération ponctuelle avec les autorités », souligne-t-elle.
Mais au-delà d'une mobilisation du public, l'association souhaite aujourd'hui proposer une nouvelle manière d'aborder le patrimoine beyrouthin dans son ensemble, en faisant pression sur les propriétaires et en agissant au niveau des décisions ministérielles. Plus qu'un héritage ayant survécu à la guerre civile, ce patrimoine est un témoignage d'une période charnière qui se doit d'être préservé, selon les responsables de l'ONG.
Parallèlement, l'ONG vise à proposer des solutions aux problèmes relatifs au patrimoine. Antoine Atallah, architecte-urbaniste et vice-président du SBH, relève notamment comme obstacle majeur le zoning obsolète entravant toute perspective positive. La clé du problème se trouverait, selon lui, dans l'élaboration d'un master plan général pour Beyrouth, permettant de sauver ce qui peut encore l'être.

Quelques dates-clés sur L'Œuf :

2009 : la campagne Save The Egg mobilise 5 000 personnes en 3 jours.
2004 : la société Solidere approche l'architecte Bernard Khoury pour en faire une structure éphémère durant 5 ans.
2009 : vente du terrain à la société 987 Bachoura SAL ; possible projet architectural incluant L'Œuf.
2011 : la société saoudienne Olayan rachète le terrain, en partenariat avec la chaîne hôtelière Mandarin Oriental.

2016 : étape de finalisation du concept ; Olayan confirme que L'Œuf doit être préservé et inclus dans un projet d'hôtel de luxe.

 

 

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commentaires (3)

Il y a bien la nostalgie d'une époque, mais pour cet édifice là pour moi pas de regrets!

Christine KHALIL

17 h 07, le 16 octobre 2017

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Commentaires (3)

  • Il y a bien la nostalgie d'une époque, mais pour cet édifice là pour moi pas de regrets!

    Christine KHALIL

    17 h 07, le 16 octobre 2017

  • ADIEU L,ANCIENNE SENTIMENTALE BEYROUTH !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 10, le 16 octobre 2017

  • "l'œuf" est un tas de béton très laid, le volume vaut pour la mémoire, mais ce n'est que l'emblème de la laideur!

    Beauchard Jacques

    10 h 49, le 16 octobre 2017

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