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Moyen Orient et Monde - Reportage

À Kirkouk, tout le monde se prépare à la guerre

Alors que les peshmergas et les forces irakiennes se font désormais face, les habitants s'inquiètent d'un éventuel conflit.

Une longue colonne de lance-missiles appartenant aux forces gouvernementales irakiennes se dirigeant vers Kirkouk, hier. Ahmad el-Rubaye/AFP

« Ils devront nous passer sur le corps s'ils veulent arriver jusqu'à Kirkouk », lance Bestoun, arme au poing. Pas question pour ce commandant kurde de laisser entrevoir une once de fragilité. Devant son unité, il préfère d'ailleurs le rappeler : « Notre force, c'est notre moral. » La phrase claque dans l'air comme un ordre pour tous les peshmergas qui lui font face. Installés dans une base arrière au sud de Kirkouk, ces militaires sont sur le qui-vive depuis quelques jours : à quelques kilomètres de là, les miliciens des Unités de mobilisation populaire, connus également sous la bannière des « Hachd el-Chaabi », s'attroupent en nombre aux côtés de la police fédérale irakienne. Dans cette région convoitée par chaque faction, tous se préparent à une nouvelle guerre.

(Lire aussi : Dans la ville disputée de Kirkouk, l'inquiétude des Arabes et Turkmènes)

Arsenal militaire

Depuis une semaine, les autoroutes qui se lancent au sud de Kirkouk prennent progressivement des airs de lignes de front. Si les véhicules civils continuent de rouler librement sur ces axes routiers, ils longent désormais de toutes parts un lourd arsenal militaire, déployé par toutes les forces en présence ces derniers jours. « On est prêt à se défendre et on attend les ordres », abrège un combattant kurde, établi en haut d'une colline pour scruter le paysage. Tous ont les yeux rivés vers le sud. Et pour cause, à quelques dizaines de mètres seulement, les premiers villages tenus par les milices progouvernementales apparaissent comme une menace imminente.

Depuis la tenue du référendum d'indépendance dans cette région disputée, les tensions sont grandissantes entre Bagdad et Erbil. Avant même la tenue du scrutin, le gouvernement irakien avait menacé son voisin autonome d'une intervention militaire, en cas de non-retrait des troupes kurdes de cette zone pétrolifère. Il lance aujourd'hui un dernier ultimatum au Kurdistan irakien : ses combattants devront reprendre leurs positions d'avant 2014 d'ici au début de semaine, ou la guerre sera définitivement déclarée.

« C'est facile ! » réagit à cela le commandant Bestoun. Pour lui, la sécurité de la région revient à la seule bravoure des combattants kurdes. « Quand l'EI est arrivé ici, l'armée irakienne a déserté, et seules nos troupes ont défendu les habitants, alors aujourd'hui, même si l'ennemi a changé de visage, on continuera de faire la même chose », explique-t-il. Selon lui, près de 50 000 hommes leur font déjà face dans la région. Ils viennent principalement de Mossoul ou de Hawija, où ils étaient récemment déployés pour combattre les derniers jihadistes de l'EI. Quoique déjà épuisés par trois ans de guerre, tous se disent prêts aux combats. De quoi effrayer une partie des habitants de Kirkouk, qui redoutent un nouveau conflit.

(Lire aussi : « Nous nous méfions plus des peshmergas que de l’État islamique »)

Angoisse collective

« C'est de pire en pire depuis le référendum, il y a une angoisse collective ici », affirme Ahmad. La semaine dernière, sa mère et ses sœurs ont préféré quitter la ville pour s'installer temporairement à Erbil. Elles y resteront jusqu'à ce que la situation s'apaise. Lui a dû rester pour pouvoir garder la demeure familiale et continuer tant bien que mal à faire tourner son magasin. Mais, depuis quelque temps, le jeune commerçant reconnaît ne plus avoir autant de clients. « Le marché est au point mort ici : les gens préfèrent garder leurs économies au cas où le conflit éclate », explique-t-il. Alors qu'il avait pour projet d'agrandir son commerce, lui aussi a préféré jouer la carte de la sécurité en gardant précieusement les derniers profits qu'il avait faits. « La période est trop incertaine », dit-il, en expliquant que certains habitants de la ville ont même commencé à faire des provisions de nourriture.

Mais, au coin de la rue, d'autres esprits s'échauffent pourtant. Dans des fourgonnettes à toit ouvert, des civils défilent, mitraillettes pointées vers le ciel. « Cela fait quelques jours maintenant que des dizaines de voitures comme celle-ci occupent les rues de la ville », commente Ahmad. Ils ne partagent pas sa peur. Bien au contraire, ils attendent impatiemment de pouvoir défendre la ville par leurs propres moyens. Sur les réseaux sociaux, les images de leur cortège se doublent d'une communication pour le moins belliqueuse. « On les tuera tous », peut-on lire au-dessus de certaines images.

Alors même que la guerre n'a pas encore été déclarée, elle apparaît presque comme inévitable pour la plupart des habitants de la région. Dans un village non loin des premières lignes de front, des habitants tentent déjà même d'en désigner le coupable. Membre de l'UPK, le principal parti d'opposition au Kurdistan irakien, Rachad considère cette situation comme la conséquence directe d'une politique gouvernementale imprudente. « On savait que le référendum déboucherait ici sur un conflit armé, mais c'est seulement maintenant qu'on veut dialoguer ! » s'énerve ce villageois. Pour lui, l'indépendance ne devrait pas se payer au prix d'une guerre. Mais, face à la situation, Rachad tente de se faire une raison : « Cette bataille sera comme toutes celles qui l'ont précédée et toutes celles qui lui succéderont : on ne l'aura pas choisie, mais on sera de toute façon obligé de la suivre », affirme-t-il.

 

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