Joe KHOURY-HÉLOU.
Chaque jour qui passe apporte avec lui son lot de divergences sur tout sujet posé. Même la victoire contre Daech et le nettoyage du territoire occupé par les terroristes n'ont pas atténué le clivage entre Libanais ; ils l'ont, au contraire, exacerbé.
Pour une partie des Libanais, la défense du pays est inconditionnellement liée à la sacro-sainte équation « armée-peuple-résistance », élargie à présent pour englober l'armée syrienne. Il s'agit donc d'une victoire partagée. Pour les autres, seule l'armée nationale est garante de la défense du territoire, d'autant plus qu'elle a brillamment prouvé son efficacité. Au niveau juridique, c'est la question de la notion de souveraineté de l'État qui demeure posée : est-il concevable qu'une « résistance armée », organisation autonome, puisse coexister avec un État souverain ? Ou bien est-ce nécessaire parce que les capacités de l'armée libanaise ne sont pas suffisantes, comme cela a été clamé ?
La question est d'autant plus clivante qu'au-delà des slogans lancés ici et là pour les besoins internes, tout le monde sait que derrière chaque « composante » (terme employé à présent pour indiquer une communauté religieuse), il y a – par solidarité religieuse ou par accointances idéologiques – une puissance régionale qui a son propre « agenda » pour la région. Tant et si bien que la politique et l'action de la « composante » deviennent obligatoirement tributaires de l'agenda du commanditaire. Et chaque commanditaire régional est à son tour commandé par des impératifs qu'impose la conjoncture internationale.
À présent, chaque partie agite contre l'autre l'épouvantail de la poursuite judiciaire. Pour les uns, il faut poursuivre les dirigeants en place en 2014, responsables d'une façon ou d'une autre de l'enlèvement des soldats, et pour les autres, il faut enquêter sur la non-arrestation des terroristes qui ont bénéficié d'arrangements parallèles pour quitter le territoire dans de bonnes conditions.
Ce genre de dissension, portant sur les fondamentaux, est dangereux, comme l'expérience nous l'a douloureusement montré.
(Lire aussi : Halte au mépris de l'État libanais !)
Le recours secret de Charles Hélou à l'ONU
Les Libanais étaient très divisés après la défaite de 1967 et la naissance de la guérilla palestinienne. Mais l'un des secrets de cette époque qui mérite d'être dévoilé réside dans le constat amer du président de l'époque, Charles Hélou, sur l'ingouvernabilité du pays en période de grande crise, qui l'a amené à faire un recours hors du commun à l'ONU.
Voici comment l'ambassadeur des États-Unis de l'époque, Dwight Porter, rapporte, dans un courrier adressé à ses supérieurs le 30 juin 1969, les motifs du président libanais : « Lors de ma conversation avec Hélou le 28 juin, (ce dernier) s'enquiert formellement des possibilités d'une aide américaine et me remet la série suivante de questions : quelle sera la position du gouvernement américain si Israël attaque le Liban ? si le Liban est victime de l'intervention d'un État souverain (par exemple, l'Arabie saoudite), et si des troubles, tant visibles que sous-jacents, éclatent au Liban ? Hélou s'est montré particulièrement intéressé à connaître l'opinion du gouvernement américain concernant le point C. J'ai (...) évoqué de possibles interventions et initiatives diplomatiques de la part de l'ONU, en collaboration avec la France et d'autres pays amis du Liban (...). Je n'ai pas fait de commentaires concernant l'utilisation des forces militaires américaines, bien qu'il souhaitât qu'on en discute. J'ai mentionné que le gouvernement américain n'était pas prêt à s'engager militairement à cause des problèmes provoqués par notre intervention au Vietnam. (...) Pour ce qui est du Liban, Hélou reconnaît avoir perdu du terrain en ce qui concerne ses tentatives de préserver la souveraineté et l'indépendance politique du Liban face au danger représenté par les fedayin. (...) Le mieux qu'il puisse espérer serait une solution à la chypriote, avec vraisemblablement des enclaves confessionnelles.
Il n'y a aucun honneur à tirer, dit-il, du fait de présider un État placé sous la protection des Nations unies. La seule présence de troupes internationales dans un pays compromet l'indépendance de ce pays et le détruit. Toutefois, cette solution peut s'avérer la meilleure possible au regard des alternatives disponibles : occupation israélienne, subversion syrienne et désintégration de l'État libanais au gré des appartenances confessionnelles. »
Politique « d'évitement »
Longtemps après, il a fallu un consensus international pour imposer l'arrêt des combats à travers le fameux accord de Taëf qui a malgré tout imposé une tutelle, celle des Syriens.
À l'heure actuelle, les données sont différentes, quoique certaines similitudes au niveau des principes relèvent de l'évidence. Le président de la République est réputé être le « président fort ». Il l'est sans doute. En tout cas, il a démontré beaucoup de sagesse en se mettant d'accord avec son gouvernement pour mettre de côté tous les sujets qui peuvent remettre en cause le maintien de la paix civile.
Toutefois, demeure la crainte que cette politique « d'évitement » ne puisse perdurer, et que l'heure de vérité ne vienne à sonner. Nos dirigeants doivent alors opter, trancher, car les tergiversations ne seront plus possibles, et les haines inretenables. Selon la conjoncture actuelle, les options sont bien connues : soit être dans l'axe des pays menés par l'Iran et suivre son « agenda », soit dans celui des pays menés par l'Arabie saoudite. Quelle que soit l'option prise, elle va plaire à un camp et déplaire à l'autre, et entraîner le pays dans des dangereuses dissensions dont personne ne peut mesurer la portée.
La seule chose à faire est ce que sont en train d'entreprendre – selon toute logique – le président de la République et le Premier ministre, qui mettent en œuvre leur savoir-faire auprès des puissances régionales et, par-delà celles-là, auprès des grandes puissances afin de mettre le pays à l'abri des conflits régionaux... Et en tout cas, de le préserver au sein du nouveau Proche-Orient, comme pays-message, et comme, malgré tout, meilleure démocratie au sein du monde arabe. Quand les grands de ce monde le veulent, il existe en droit public tout un attirail juridique pour protéger les petits États.
Avocat au barreau de Beyrouth. A publié : « Charles Hélou, Hamlet de l'accord du Caire, les secrets d'un mandat présidentiel ».
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commentaires (6)
Notre triptyque a tous SURTOUT APRÈS QUE NOTRE ARMÉE A VAINCU LES TERRORISTE EST ET RESTERA ARMÉE PEUPLE ÉTAT
Bery tus
15 h 38, le 15 octobre 2017