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Liban - Liban-Syrie

Quand votre accent change l’attitude des autres envers vous...

Pour se faire des amis et être accepté au travail, Abed Kilani, obligé d'habiter Beyrouth à cause de la guerre en Syrie, a appris à parler avec l'accent libanais.

Abed Kilani, damascène, a pris l’accent libanais pour se faire des amis.

Une échoppe à café à Sodeco, collée au cimetière juif de Beyrouth. Abed Kilani vous vend eau, café et cigarettes.

Brun aux yeux noirs, souriant et accueillant, Abed Kilani donne un peu plus que ses 17 ans.
Le jeune homme, originaire de Damas, parle dans un parfait accent libanais, qu'il a appris pour mieux s'intégrer à la société libanaise. « Pour être mieux traité par les gens que je rencontre au quotidien et pour me faire des amis », explique-t-il.

Abed Kilani est arrivé au Liban à 12 ans, au début de la guerre en Syrie. À l'époque, il était à l'école et il rêvait de devenir pilote de ligne. Mais Abed Kilani a été arrêté. Il a passé trois mois dans les geôles de Bachar el-Assad. « Il y avait une confusion de noms. Ils m'ont pris pour un chef fondamentaliste, menant la révolution. Peut-être qu'à l'époque aussi je faisais plus que mon âge », dit-il.

Il passe trois mois en prison, subit divers genres de torture, surtout psychologique. « Les geôliers m'obligeaient à assister aux séances de torture qu'ils infligeaient à d'autres prisonniers. J'ai eu de la chance. J'ai uniquement été battu », raconte-t-il.

Fils d'un commerçant damascène, Abed Kilani est libéré au bout de trois mois. Sa famille l'envoie tout de suite au Liban, où son frère habite déjà.
« Je suis resté plusieurs mois à chercher une école pour poursuivre ma scolarité, en vain », se souvient-il.
Les portes d'une éventuelle scolarisation étant fermées, Abed Kilani trouve un emploi de serveur au centre-ville de Beyrouth. « Quand j'ouvrais la bouche, les clients me toisaient du regard et mes camarades se moquaient de moi. Les autres serveurs imitaient mon accent. J'ai voulu donc parler avec l'accent libanais pour m'intégrer. J'ai commencé à écouter attentivement mes camarades quand ils parlaient entre eux. Les Syriens parlent haut et appuient fort sur les voyelles et les consonnes. La voix des Libanais est plus basse et leur prononciation est plus douce. Ils économisent les mots dans une phrase, alors que les Syriens, pour dire la même chose, emploient une dizaine de mots de plus que les Libanais », explique-t-il.

Abed Kilani demande l'aide de ses camarades libanais qui commencent à lui apprendre la différence entre les accents. Un voisin, qui deviendra son ami, le retrouve presque tous les jours pour lui apprendre à parler en libanais. « Il m'a fallu neuf mois pour maîtriser l'accent. Mes amis étaient très surpris », dit-il, d'un air amusé.
« Mon voisin n'est plus. Il est mort en Syrie, dans les rangs du Hezbollah », explique-t-il.

Habitant à Ras el-Nabeh, Abed Kilani commence aussi à apprendre par le biais de ses amis et voisins pourquoi les Libanais n'aiment pas les Syriens. On lui parle de la guerre et de l'occupation.
« Je sais désormais que les Libanais ont souffert. Mais pourquoi font-ils payer le prix indirectement à toute la population syrienne ? Leur problème est avec l'armée et le régime syrien, non pas avec la population ! » s'exclame-t-il, simplifiant les sentiments et ressentiments humains.
« Le fait de parler avec l'accent libanais me facilite la vie. Mes relations avec les gens au Liban ont complètement changé depuis que j'ai pris leur accent. D'ailleurs, je ne dis jamais que je suis syrien aux personnes que je ne connais pas. Et, si je compte me faire des amis, je leur dévoile ma nationalité une fois qu'ils me connaissent bien, sinon ils ne deviendraient jamais proches de moi et les filles partiraient ! » lance-t-il.
« Même ma mère a été très surprise de mon accent. Cela faisait un an et demi que je ne l'avais pas vue quand elle est venue me rendre visite au Liban. Je l'ai accueillie au poste-frontière de Masnaa. À un barrage de l'armée dans la Békaa, le soldat voulait vérifier les papiers et fouiller la voiture. J'ai parlé avec l'accent libanais. Quand je suis remonté dans le véhicule et que j'ai redémarré, ma mère m'a regardé avec des yeux tout ronds, en disant : "Ce n'est sûrement pas mon fils. C'est son sosie que je ne connais pas" », raconte-t-il.

 

(Lire aussi : « Maintenant, je me suis habituée... Je ne veux plus rentrer en Syrie... »)

 

 

Les habitants d'Achrafieh
« Mon frère venait d'arriver de Syrie quand je l'ai emmené au cinéma à l'ABC. Je lui ai dit : "Regarde comment l'attitude des gens change dépendamment de l'accent qu'on a." Je suis arrivé au guichet, j'ai dit à la guichetière avec mon accent syrien que je voulais deux places devant en les lui montrant. Les deux places étaient prises. Elle m'a répondu rapidement, sèchement, d'un air hautain et sans lever les yeux vers moi : il n'y a plus de place. Elle est vite passée au client suivant », dit-il.

Il s'éloigne, s'installe avec son frère dans un café et revient, une vingtaine de minutes plus tard. Il s'adresse à la guichetière avec un accent libanais et lui montre les mêmes places. « Elle ne m'a même pas reconnu. Elle m'a regardé, m'a dit poliment : ces places sont prises monsieur, mais je vous conseille d'autres un peu plus loin. Elle m'a appelé monsieur ! » s'exclame-t-il.

Son frère, Ghayth, qui parle avec un lourd accent damascène, renchérit : « L'ABC est à Achrafieh. Achrafieh est la plus belle partie de Beyrouth, mais ses habitants sont beaucoup plus hostiles aux Syriens que les autres habitants de la ville, probablement parce qu'ils sont chrétiens. » Ghayth ignore ce que les habitants d'Achrafieh ont enduré durant la guerre du Liban sous l'occupation syrienne, notamment durant « la guerre des 100 jours » en 1978, quand ce quartier chrétien de Beyrouth a été assiégé et pilonné par l'armée syrienne durant plus de trois mois.

Ghayth Kilani, qui vient de découvrir les inimitiés libano-syriennes, poursuit : « J'ai fait la connaissance d'une fille sur WhatsApp, quand elle a su que j'étais syrien, elle m'a bloqué. »
Ghayth éclate de rire et s'exclame : « En plus, quand les Libanais veulent imiter les Syriens, ils emploient l'accent de Bab el-Hara (un programme télévisé syrien rapportant des histoires de la classe syrienne la plus démunie et de la vie de rue à Damas). Nous ne sommes pas tous Bab el-Hara. »

Abed Kilani explique pour mieux faire passer l'idée de son frère : « Nous, quand nous voulons imiter des Libanais, nous prenons l'accent et l'attitude de "Majdi et Wajdi" (des personnages libanais de sitcom mettant en scène les déboires drôles de deux homosexuels), or tous les Libanais ne sont pas Majdi et Wajdi. »
Abed Kilani rêve de quitter le Liban. De partir pour le Canada ou l'Allemagne, où il se fera une nouvelle vie et où il pourra poursuivre ses études, peut-être même aller à l'université, comme ses amis qui sont restés à Damas. Peut-être même il pourrait réaliser son rêve d'enfant et devenir pilote.

 

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Abbas Assi, électricien à 12 ans, aujourd'hui spécialiste en droit et en informatique de gestion

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