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Culture - Entretien

Michel Hazanavicius : Je n’ai pas envie d’être mis dans une boîte et de n’avoir pas le droit d’en sortir

Le réalisateur français, oscarisé pour « The Artist », a présenté au Beirut International Film Festival (BIFF) son dernier opus, « Le Redoutable », biopic à la sauce satirique de Jean-Luc Godard. Rencontre.

Michel Hazanavicius : « Je ne fais pas de cinéma pour les critiques de cinéma ! » Photo Michel Sayegh

S'attaquer à une figure iconique de la nouvelle vague, en faire un personnage de fiction, qui plus est de comédie, il fallait un « Artist » oscarisé pour oser le faire. Entre drame sentimental et satire ludique d'un homme et d'une époque, Le Redoutable, dernier film de Michel Hazanavicius, porte bien son nom. Librement adapté du roman d'Anne Wiazemsky, ex-femme de Jean-Luc Godard, il raconte la rupture de leur couple sur fond de mai 68. Michel Hazanavicius met en scène une période particulière dans la vie du grand cinéaste.

Celle qui marque le début de sa radicalisation politique et le grand virage qu'il prend dans sa carrière, en disparaissant en tant qu'auteur individuel pour se fondre dans le groupe Dziga Vertov qu'il forme avec le journaliste maoïste Jean-Pierre Gorin. Au fil des scènes du film (certaines sont autant de clins d'œil aux effets de style godardiens), le portrait d'un homme paradoxal se dessine : idéaliste qui rêve de changer le monde et refuse de jouer le jeu et, tout à la fois, intello méprisant avec son entourage, odieux avec les personnes âgées et s'aplatissant devant les jeunes... Celui d'un grand bourgeois se voulant révolutionnaire, un homme couronné de gloire mais qui ne s'aime pas, un mari amoureux mais colérique...
Rencontre avec le réalisateur Michel Hazanavicius au lendemain de la projection du Redoutable dans le cadre du Festival international du film de Beyrouth.

Est-ce que l'on se remet d'un succès tel que celui de « The Artist » ?
Bien sûr que oui ! Vous savez, on se remet de tout, autant d'un succès que d'un échec, comme celui du film d'après (NDLR : The Search). Il faut bien continuer à travailler. J'avais lu une interview de Daniel Auteuil qui disait : « Il ne faut jamais croire ce qu'on dit de vous. » J'ai trouvé que c'était une bonne approche à appliquer. Ne pas croire que ce que l'on dit de vous est une vérité. Ni le bien ni le mal... Cela remet les choses en perspective.

Pervertir l'icône de la nouvelle vague, la réinventer, la pasticher, la casser et la magnifier : pourquoi ce remodelage? Exercice de style ou révolution de votre part ?
En fait, j'ai été très touché par le livre Un an après d'Anne Wiazemsky (NDLR : l'ex-épouse de Jean-Luc Godard, décédée la veille de l'entrevue avec Michel Hazanavicius). J'ai trouvé que c'était une histoire d'amour tragique qui, tout à la fois, pouvait être racontée avec des éléments très joyeux. Et, comme c'est Jean-Luc Godard, c'était intéressant de faire un film qui revisite les codes de la nouvelle vague. D'abord, je trouvais que cela crédibilisait le personnage de le mettre dans son propre environnement. Ensuite, c'était pour moi une manière très originale et joyeuse de raconter son histoire... Et puis aussi de lui rendre hommage.

Vous avez dit en interview que « Godard n'a jamais cherché à être sympathique ». Votre objectif était-il de le vulgariser, de le rendre plus accessible, plus attachant dans ce portrait au-delà de l'histoire d'amour ?
Plus attachant, oui. En tout cas, à travers l'histoire d'amour, l'idée c'était de l'humaniser. Non que je me sois fixé pour mission d'« humaniser Jean-Luc Godard », mais à partir du moment où je l'ai pris comme personnage de film, je ne l'ai plus traité comme Godard le grand cinéaste. J'avais besoin qu'on ait de l'empathie pour lui, de manière que je puisse jouer du décalage entre un personnage et l'idée qu'on s'en fait.

Les réactions à ce film ont été controversées. Pourquoi à votre avis ?
Pas tant que ça ! Cela aurait pu être beaucoup plus. En fait, c'est parce que j'ai été le montrer à Cannes avant sa sortie en salle. Et là, un certain nombre de critiques de cinéma – qui sont, comment dire, très tendus – ont exprimé un peu de colère. J'ai trouvé que leurs critiques n'étaient pas très travaillées. Concrètement, ils n'ont jamais parlé du film mais du fait que je veuille faire ce film-là. Sinon, quand il est sorti, il a plutôt eu une très bonne presse.

Pourquoi avez-vous choisi Louis Garrel pour l'incarner ?
Parce qu'il a un charme très intellectuel. Il a quelque chose de très cérébral qui correspondait parfaitement au personnage que j'imaginais. Et puis, c'est un très bon acteur. Comme en plus, on sentait qu'il avait envie de faire de la comédie, son choix m'a paru assez évident très vite.

Comment s'est passée votre rencontre, éventuellement votre collaboration avec Anne Wiazemsky ?
On s'est très bien entendus. Au départ, Anne ne voulait pas vendre les droits de ce livre. Mais elle a très vite accepté, quand elle a compris que je voulais en faire une comédie. Elle n'a pas du tout été interventionniste. Elle m'a juste dit : « Ne me fais rien lire. Fais exactement comme tu veux. Tu me montreras ton travail à la fin. S'il me plaît, je laisserai mon nom, sinon je l'enlèverai. » Elle l'a laissé... Elle a été bouleversée par le film et elle m'a fait le plus beau compliment en me disant que j'avais réussi à faire d'une tragédie amoureuse une comédie. Je l'aimais beaucoup.

Quel est votre rapport au cinéma de Godard ?
Très classique. Comme celui de beaucoup de gens. J'adore sa filmographie des années 60. Après, la période dont parle mon film, son cinéma m'intéresse beaucoup moins. Même dans ses films des années 80 et 90, où il retravaille un peu avec les acteurs, il y a une espèce de légèreté, de charme qui n'est plus là. Depuis les années 2000, il est devenu très expérimental, quasiment de l'ordre de l'art contemporain, duquel je ne me sens pas très proche...

Justement, Louis Garrel disait de vous récemment : « Il a quelque chose de très généreux : il faut que tout le monde le comprenne et prenne du plaisir. Il veut que la forme soit plaisante pour que personne ne se sente exclu. La cinéphilie de Michel n'est pas liée au secret, mais au grand public, au sens noble. Il aime faire des films en plein jour. » Vous revendiquez-vous comme un cinéaste populaire, comme un anti-Godard en somme ?
Je le voudrais bien. En fait, je suis dans une espèce d'endroit un peu étrange. Dans le cinéma populaire, on pense que je fais du cinéma d'auteur. Et vice-versa. Et cela me va très bien, finalement. Je n'ai pas envie d'être mis dans une boîte et de ne pas avoir le droit d'en sortir. Alors que là, je me sens libre de faire ce que j'ai envie. Mais par contre, le plaisir du public est évidement ma préoccupation. Ce qui est sûr, c'est que je ne fais pas de cinéma pour les critiques de cinéma !

Toujours pas de réaction de Godard ?
Non, aucune, mais je n'en attends pas vraiment. Tout va bien...

Quelle a été votre dernière émotion sur grand écran ?
J'ai beaucoup aimé La planète des singes III et The Rider de Chloé Zhao qui a eu le prix à Deauville.

Dernière question : avez-vous un nouveau projet en cours ?
On m'a envoyé un scénario sur une comédie familiale extrêmement bien écrite. A priori, ce sera mon prochain film.

Allez-vous y inclure, comme toujours, votre épouse, l'actrice Bérénice Bejo ?
Je l'espère... (appuyé d'un sourire en coin).

 

Pour mémoire

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