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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Comment un ex-soldat syrien se retrouve condamné en Suède pour « crimes de guerre »

Les tribunaux nationaux pallient les blocages de la justice internationale.

Décembre 2016, dans un quartier progouvernemental d’Alep. Archives AFP

Pour la première fois en six ans de conflit, un ex-soldat syrien a été jugé coupable de crimes de guerre. La semaine dernière, Mohammad Abdallah, 32 ans, a été condamné à huit mois fermes par un tribunal suédois pour avoir violé la dignité d'un homme gisant à ses pieds. La scène macabre a été immortalisée par une photo. L'homme, en uniforme de soldat, a clairement été identifié sur le cliché où figurent plusieurs cadavres.

Mohammad Abdallah avait gagné la Suède, en tant que demandeur d'asile, en 2015, mais peu de temps après, des activistes syriens avaient mis en garde les autorités du pays quant à une possible implication de sa part dans des actes violant les droits de l'homme, voire dans des actes pouvant être qualifiés de crimes de guerre, suite à des photos compromettantes postées sur son compte Facebook.

Ce n'est pas la première fois qu'un ressortissant syrien coupable de crimes de guerre est condamné en Suède. « La Suède ne sera pas un havre de paix pour les criminels de guerre », avait prévenu le chef de l'unité d'investigation des crimes de guerre, Per Ahsltröm, en février dernier, suite à la condamnation à perpétuité d'un ancien jihadiste syrien, qui avait fui son pays et obtenu l'asile politique en Suède. Il avait été jugé pour sa participation à l'exécution sommaire, en 2012, de sept soldats du régime. La vidéo le montrant en train d'exécuter un otage agenouillé devant lui avait glacé l'opinion. Quelques mois plus tôt, un autre ressortissant syrien avait été condamné à huit ans de prison pour crimes de guerre après avoir passé à tabac un soldat de Bachar el-Assad. Mais les témoignages et les preuves visuelles, circulant par centaines sur les réseaux sociaux, donnent rarement lieu à des condamnations.

Si tous les protagonistes du conflit syrien ont déjà été accusés de commettre des crimes de guerre, particulièrement le régime et l'État islamique (EI), aucune procédure judiciaire n'a pu être lancée sur le plan international. Dans un conflit armé, les actes de guerre sont régis par les Conventions de Genève et par le Statut de Rome, texte fondateur de la Cour pénale internationale. Ainsi, attaquer des civils, porter intentionnellement atteinte à un établissement médical, blesser ou tuer des soldats de maintien de la paix ou des humanitaires constituent des crimes de guerre. Mais la Syrie n'ayant pas adhéré au Statut de Rome, qui a créé la Cour pénale internationale, il revient au Conseil de sécurité des Nations unies de la saisir pour mener ses enquêtes. Or une telle proposition risquerait certainement de se heurter aux veto chinois et russe, comme ce fut le cas en 2014, Moscou étant l'allié de Damas. Dans le cas du conflit syrien, « il est clair qu'à l'heure actuelle, la Cour pénale internationale n'est pas compétente », affirme Anne-Laure Chaumette, maître de conférences à l'Université Paris-Ouest Nanterre La Défense.

Seuls des tribunaux nationaux, comme le dernier en date en Suède, ont permis de le faire mais ils restent très rares, et surtout symboliques puisqu'ils ne mettent derrière les verrous que des « petits bonnets ». Faute de preuves, Mohammad Abdallah n'a pas pu être jugé pour meurtre. Mais le fait de maltraiter un prisonnier de guerre ou sa dépouille mortelle constitue à lui seul un crime de guerre, d'où la condamnation du tribunal suédois.

Compétence universelle

Le jugement sonne aussi comme une condamnation politique. En mars dernier, la ministre suédoise des Affaires étrangères, Margot Wallström, avait déclaré que les responsables du régime mais aussi les groupes rebelles armés qui auraient commis des crimes devaient être aussi « vigoureusement jugés ». Ce n'est pas la première fois que ce genre de poursuites sur la base de la compétence universelle, qui permet à un État de poursuivre les auteurs de certains crimes, quel que soit le lieu où le crime est commis, et sans égard à la nationalité des auteurs ou des victimes, est utilisé par un État. « L'utilisation de la compétence universelle par un État pour juger l'auteur étranger d'un acte commis à l'étranger contre des victimes étrangères est désormais assez classique en Europe », explique Anne-Laure Chaumette. En France, la chercheuse rappelle qu'une procédure pénale a été ouverte en 2015 suite à la publication du rapport César sur les geôles syriennes (en référence au travail d'authentification réalisé par l'organisation Human Rights Watch, d'après les photographies du médecin légiste syrien César).

La Suède n'est pas la seule à avoir jugé elle-même des criminels étrangers arrivés sur son sol. Le Canada par exemple ou plusieurs pays européens ont par le passé exercé leur compétence universelle, notamment contre des Rwandais accusés de crime de génocide ou de crimes contre l'humanité.

Les cas suédois de condamnation de Syriens ayant commis des crimes en Syrie pourraient néanmoins faire jurisprudence et inciter d'autres pays à saisir la justice de la même façon. Mais la compétence universelle a ses limites. « Pour que le cas suédois "fasse jurisprudence", il faut que les Syriens suspectés de crimes viennent sur le territoire des pays européens », explique Anne-Laure Chaumette, qui rappelle qu'il est impossible de faire une compétence universelle par contumace ou une compétence universelle absolue.
La frustration engendrée par l'impuissance de certaines instances de juger les violations au droit international perpétrées en Syrie ont poussé l'ONU à créer en décembre 2016, non pas une nouvelle cour, mais un mécanisme permettant de combattre l'impunité en Syrie. En mars dernier, le gouvernement suédois avait annoncé dédier 3,2 millions de couronnes (soit près de 400 000 dollars) au nouveau mécanisme international, impartial et indépendant pour les crimes sérieux commis en Syrie (IIIM) et rappelé que plusieurs personnes ont déjà été condamnées en Suède. « L'impunité n'est pas une option », avait alors martelé Margot Wallström.


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commentaires (1)

est ce un soldat de l'armee syrienne officielle ou un soldat "rebelle " ??

Gaby SIOUFI

17 h 42, le 11 octobre 2017

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Commentaires (1)

  • est ce un soldat de l'armee syrienne officielle ou un soldat "rebelle " ??

    Gaby SIOUFI

    17 h 42, le 11 octobre 2017

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