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Ces quinze hommes qui ont changé la face du Proche-Orient - La saga de l'été*

#3 Reza Pahlavi, dernier empereur de Perse

Le chah a régné 38 ans avant d'être renversé en 1979.

Le chah d’Iran lors de son couronnement le 26 octobre 1967. Archives « L’Orient-Le Jour »

27 juillet 1980. Dans un hôpital de la banlieue chic du Caire, sur les bords du Nil, le dernier carré de proches du chah s'agite, fébrile, dans les couloirs truffés de policiers en civil. Un mois, jour pour jour, après avoir été hospitalisé pour la seconde fois dans le complexe médical de Meadi, le chah d'Iran, Mohammad Reza Pahlavi, rend son dernier souffle à 60 ans. Sept années de lutte contre une forme rare de cancer du sang auront eu raison de lui.


D'imposantes funérailles ont lieu le 29 juillet au Caire, avec tous les honneurs, suivies par plus de 3 millions de personnes rassemblées jusqu'à la mosquée al-Rifaï, lieu de l'inhumation, à quelque 2 600 km de sa capitale perdue. Anouar Sadate, aux côtés de la chahbanou et de ses enfants, pleure « un frère », un « homme qui a appuyé l'Égypte dans ses moments difficiles ». L'ancien président Richard Nixon a fait le déplacement, à titre personnel, pour son ami de longue date, mort « tragiquement, comme un homme sans patrie », après avoir été « durant plus de 30 ans un ami loyal et fidèle des États-Unis ». À Washington, la réaction est des plus laconiques. « La mort du chah marque la fin d'une époque en Iran, qui sera, tout le monde l'espère, suivie d'une ère de paix et de stabilité », souligne le communiqué du département d'État. Mais, à Téhéran, la nouvelle réjouit. D'autant plus que les autorités iraniennes, lasses de sa cavale, étaient sur le point de demander son extradition à l'Égypte, son dernier pays d'accueil. Le cancer aura eu le dernier mot.


Dans ses Mémoires intitulés Réponse à l'histoire, publiés en français peu avant sa mort, le « roi des rois » (chahinchah) qui se voulait « la lumière des Aryens » (Aryenmehr) écrit : « Je suis allé trop vite vers cette grande civilisation technique qui me fascinait.» Adoré, puis haï, par les siens, instrumentalisé puis lâché par les Occidentaux, visionnaire, mais tyran, celui qui se rêvait en nouveau Darius subira ironiquement le sort d'Icare.


Propulsé à 21 ans sur le trône, après que son père Reza Chah a été contraint d'abdiquer par l'Union soviétique et la Grande-Bretagne au profit de son fils, le jeune Mohammad Reza, éduqué à Genève, sait qu'il ne possède ni le charisme ni l'aura de son prédécesseur. Un père qui, profondément influencé par les réformes modernistes d'Atatürk, va tenter de sortir son pays de sa torpeur et de le conduire à grands pas vers le développement industriel. Les femmes sont priées de ne plus porter le tchador et les hommes de se vêtir à l'occidentale. L'héritage de l'ancien Empire perse et de ses héros, Darius, Cyrus ou Xerxès, est brandi en étendard.


Lors de son accession au trône, le jeune chah n'est alors qu'un petit roi, gouvernant un pays dépecé par les puissances. En privé, l'homme est décrit comme tantôt timide, tantôt play-boy, sportif bien que frêle et amateur de bolides. Ses noces célébrées en grande pompe au Caire, un an plus tôt, avec la princesse Fawzia, sœur du roi Farouk d'Égypte, tranchent avec la frugalité et la modestie de la cour de Téhéran de l'époque. L'union bat rapidement de l'aile, malgré la naissance d'une fille, Shahnaz.

 

Mossadegh et Ajax
La personnalité du roi se révèle en 1946 quand il parvient à reprendre l'Azerbaïdjan au nez et à la barbe de l'Armée rouge. Alors peu estimé par les grandes puissances, ce coup de maître va lui permettre de gagner en prestige. Mais l'opposition intérieure des grands féodaux, des mollahs ou du parti Toudeh (parti communiste iranien) ne lui laisse guère de répit. En février 1949, du perron de l'Université de Téhéran, cinq balles sont tirées à bout portant sur le chah, qui est blessé.


Deux ans plus tard, remarié à une Irano-Allemande aux faux airs d'Ava Gardner, la belle Soraya, le souverain doit faire face à une crise de grande ampleur avec son Premier ministre Mohammad Mossadegh. Soutenu par les Soviétiques, ce dernier entreprend de nationaliser l'or noir, ce qui provoque l'ire des compagnies anglo-saxonnes, sous la protection du chah. La rue se déchaîne contre celui-ci à mesure que la popularité de Mossadegh grandit, jusqu'au coup d'État de 1953. Une opération secrète de la CIA, baptisée Ajax, va permettre au chah de reprendre son trône, après avoir été contraint de fuir. La monarchie est sauvée. Les intérêts occidentaux dans l'exploitation des gisements de pétrole iraniens aussi...
Dans le palais du Golestan, la nouvelle épouse du roi fait jaser. Les religieux ne voient pas d'un bon œil cette alliance matrimoniale avec cette reine à moitié chrétienne, préférant les bals costumés et le ski nautique en bikini à Miami aux visites dans les orphelinats ou dans les quartiers populaires. Mais leur histoire tourne court faute d'héritier.


Les bouleversements dans le règne du chah contribuent à forger son caractère qui se révèle impérieux, autoritaire et narcissique. Il entend désormais prendre en main toutes les destinées de son royaume, commençant par adhérer au pacte de Bagdad en 1955. Nous sommes en pleine guerre froide. Les États-Unis cherchent à contenir l'influence soviétique au Moyen-Orient en ralliant les États qu'ils estiment les plus imperméables au communisme. Le Royaume-Uni servira de chef d'orchestre dans ce pacte de défense regroupant l'Irak, la Turquie, le Pakistan et l'Iran. L'alliance provoquera toutefois le déchaînement de l'Égypte de Gamal Abdel Nasser. L'Iran signe ensuite un pacte militaire avec les États-Unis en 1959. Entre-temps, le pouvoir instaure la terrible et fameuse Savak, sa propre police secrète, pour mater toute opposition.

 

Un héritier
La monarchie devient absolue, le chah repoussant sans cesse les limites de ses attributions et celles de la répression. Il a chassé les Russes d'Azerbaïdjan, battu Mossadegh, est au cœur des intrigues qui se jouent dans la région et règne sur des étendues désertes, imbibées de gaz et de pétrole, convoitées de tous. Il est riche, célébré, craint, mais le «tsar» perse, au profil aigu, manque toutefois de l'essentiel afin d'assurer la pérennité de sa dynastie : un héritier. C'est à cette époque qu'il rencontre une jeune étudiante iranienne à Paris, Farah Diba. La presse people prend d'assaut ces nouveaux fiancés du gotha. Il a 40 ans, elle en a 21. Un mariage des « Mille et Une Nuits » est immédiatement évoqué dans tous les journaux et toutes les revues. Le bruit court que la robe de la future reine avoisine les 28 millions de francs. Le 21 décembre 1959, le chah épouse Farah Diba lors d'une cérémonie religieuse suivie d'une cérémonie civile. Dix mois plus tard, naît le prince héritier Reza Cyrus.


Les années 60 marquent un certain âge d'or pour la bourgeoisie iranienne. Le chah souhaite faire de son pays la cinquième puissance mondiale en l'an 2000 et entend accélérer le processus à pas de géant. Avec 35 millions d'Iraniens et du pétrole à gogo, il y croit dur comme fer. Le peuple, dont la grande majorité est pauvre et analphabète, ne l'entend pas de cette oreille. On reproche au roi son absolutisme, le manque de démocratie, la brutalité de ses méthodes et surtout son occidentalisme effréné. Après avoir fasciné l'Occident, le chah inquiète. En réponse à un journaliste qui osait suggérer l'option d'un socialisme « à la suédoise » pour l'Iran, le chah aurait lancé que, pour ce faire, il lui faudrait des « Suédois ».


En 1963, une série de réformes économiques et sociales sont lancées. C'est la « révolution blanche », ni rouge (communiste) ni noire (islamique). Outre la réforme agraire, les textes entendent faire sauter les gonds de la société traditionnelle iranienne, notamment en attribuant le droit de vote et d'éligibilité aux femmes. Le porte-parole de l'opposition religieuse, l'ayatollah Ruhollah Khomeyni, mène en réponse de violentes manifestations qui vont secouer tout le pays et faire plusieurs centaines de morts. Mais le chah tient tête face à l'insurrection. L'ayatollah est exilé.

 

Caviar à Persépolis
Le chah estime alors que la menace est écartée et tient à montrer sa puissance, lors de son propre couronnement d'abord, puis lors des festivités de Persépolis en 1971, véritable étalage outrancier de richesse.


Le 26 octobre 1967, le monde entier assiste à un tableau d'un autre âge. C'est dans la salle du musée du palais du Golestan que le souverain, à la manière de Napoléon Bonaparte en 1804, se pose, d'un geste rapide, la tiare des Pahlavi et couronne sa Joséphine, devant cinq cents invités retenant leur souffle. Un silence rompu uniquement par le crépitement des flashs et par le ronronnement des caméras. Le plus vieil empire du monde se dote d'un empereur et d'une impératrice. En cet instant solennel, le chah dit se sentir « de plus en plus proche de son peuple ». Le lendemain, à Beyrouth, l'éditorial du journal Le Jour titre sur « la révolution de l'empereur ». L'Iran était «tout désigné pour partager avec ses coreligionnaires et voisins arabes la même communauté de sort et d'intérêts. Et c'est d'autant plus regrettable que cette monarchie, qu'on tenait pour damnée, perdue et pourrie, s'est avérée être, de l'aveu de ses virulents justiciers, plus efficace, plus réformiste et plus intelligente que les jeunes républiques du tiers-monde (...) », estime alors le rédacteur en chef Édouard Saab.


C'est déjà la course à l'hégémonie entre les puissances régionales. Et les festivités de Persépolis doivent consacrer le statut du nouvel empire perse. Le 12 octobre 1971, le monde politique et le gratin mondain se sont donné rendez-vous à Persépolis pour célébrer les 2 500 ans de la fondation de l'Empire perse. À l'époque, la jeunesse occidentale manifeste contre la guerre au Vietnam et contre le chah d'Iran. Qu'importe ! « Ce sera le plus grand show du monde», avait annoncé le souverain.

 

Scène digne des plus grands péplums : une première cérémonie se déroule ainsi devant le tombeau de Cyrus Ier, grand fondateur de l'empire. Au pied de la montagne de laquelle s'étendent les ruines du palais de Darius et sous un soleil de plomb, le chah et la chahbanou accueillent leurs hôtes, conduits ensuite en « Rolls » vers le « camp du Drap d'or ». Manquent à l'appel les principaux voisins de l'Iran : l'Irak, la Syrie et l'Arabie saoudite se méfient à l'époque du pouvoir que cherche à acquérir le chah dans la région. Le président libanais Sleiman Frangié est accompagné de son épouse Iris. « Comme toutes les dames qui participent au bimillénaire, Mme Frangié sera très élégante (...), notamment pour les deux bals donnés par le chah», écrivent les journaux libanais de l'époque. Les observateurs sont frappés par le caractère fastueux et grandiose de l'événement. Un huitième de la production mondiale de caviar est consommé à Persépolis durant les festivités. « Ces dépenses, écrit le New York Times, vont lourdement grever le budget d'un État déjà endetté. » « Qu'est-ce qu'on attend de moi ? Faut-il que je serve du pain et des radis aux chefs d'État ? » s'énerve le chah.

 

Début de la fin
Khomeyni contemple le « spectacle » décadent depuis l'Irak, où il s'est réfugié. « Qu'ils aillent sur la Lune, sur Mars ou sur la Voie lactée, ils n'y trouveront jamais le véritable bonheur ni la vertu morale ; ils seront toujours dans l'incapacité de résoudre leurs problèmes sociaux», vocifère l'ayatollah.
Le chah, fort de sa domination sur le golfe « Persique », et dont l'armée se veut le « gendarme de la région», ne semble pas voir le vent tourner. Car l'heure de la revanche a sonné pour ses nombreux détracteurs, qui veulent en finir avec la monarchie, au nom d'Allah, de la tradition perse, de l'antiaméricanisme et de la justice sociale. Les classes populaires, mais aussi les classes moyennes, les intellectuels de gauche, les communistes et certains libéraux ne cachent plus leur hostilité au chah.
L'ayatollah, qui patiente depuis 15 ans, parvient enfin à rassembler une cohorte de mollahs prêts à faire tomber ce régime « athée ». « L'appel du 18 juin 1978 » de Khomeyni, qui dirige à distance les masses, va servir de détonateur à la révolte. L'économie est paralysée, les exportations de pétrole à l'arrêt et les émeutes généralisées font des milliers de morts, le chah ne sachant répondre que par la force. Abandonné par les États-Unis de Jimmy Carter, le souverain se résigne à quitter l'Iran, les larmes aux yeux, au milieu de la liesse populaire, le 16 janvier 1979.


« Un immense désarroi se lit dans les yeux du chah à son arrivée en Égypte, accueilli par Sadate », rapportent les journaux. La famille impériale prévoit de se rendre aux États-Unis, mais le président Carter leur fait alors savoir que leur présence n'est plus souhaitée. Tombé en disgrâce, trahi, abattu et gravement malade, le roi des rois n'est déjà plus qu'une page de l'histoire.
Une histoire de grandeur et de décadence.

 

 

*Ils ont été parfois adulés, parfois controversés. Mais ils n'ont jamais laissé personne indifférent. Ils ont écrit, et littéralement façonné la destinée de leur pays ou de leur région. À l'époque, en ce XXe siècle, le Proche-Orient a vécu des chamboulements majeurs : chutes d'empires, guerres d'indépendance, créations d'États, révolutions, etc. Or, derrière ces événements, il y a des hommes qui ont marqué l'histoire. «L'Orient-Le Jour» en a choisi quinze. Bonne lecture.

 

27 juillet 1980. Dans un hôpital de la banlieue chic du Caire, sur les bords du Nil, le dernier carré de proches du chah s'agite, fébrile, dans les couloirs truffés de policiers en civil. Un mois, jour pour jour, après avoir été hospitalisé pour la seconde fois dans le complexe médical de Meadi, le chah d'Iran, Mohammad Reza Pahlavi, rend son dernier souffle à 60 ans. Sept années de...

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