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Ces quinze hommes qui ont changé la face du Proche-Orient - La saga de l'été*

#12 Cheikh Zayed, le Bédouin visionnaire

L'émir d'Abou Dhabi et fondateur des Émirats arabes unis laisse un pays politiquement stable, fondé sur le respect de la diversité et la spécificité de chaque entité.

Cheikh Zayed, président des Émirats, à Londres. Photo d’archives/L’Orient-Le Jour

Le 2 novembre 2004, cheikh Zayed ben Sultan al-Nahyane, président des Émirats arabes unis et fondateur de la fédération, rend son dernier soupir. Lors de ses funérailles, le lendemain, de nombreux Émiratis exprimeront leur douleur et leur tristesse de perdre un leader qui leur a quasiment tout donné: un État, une identité, mais aussi et surtout la prospérité. Presque tous les dirigeants du monde arabo-musulman sont présents aux obsèques. Du Pakistan au Maroc, en passant par l'Irak, la Syrie et l'Égypte. Un hommage digne du parcours du défunt. Sa réputation de sagesse et la réussite de son modèle de développement ont fait, en quelques décennies seulement, des Émirats le pays le plus moderne de la péninsule Arabique et aussi le plus tolérant. Côté occidental, seul le président français Jacques Chirac fait le déplacement.
Cheikh Zayed a plus de 86 ans quand il décède, après une longue période de maladie. On ne connaît pas la date exacte de sa naissance. Elle se situe autour de 1918. Il est le dernier et quatrième fils de Sultan ben Zayed al-Nahyane, qui a gouverné l'émirat d'Abou Dhabi entre 1922 et 1926. Zayed est né à al-Aïn, une oasis située à une semaine à dos de chameau d'Abou Dhabi. Une région où régnaient à l'époque l'insécurité et les razzias des Bédouins.


On ne connaît pas grand-chose de son enfance, sinon qu'il a été initié à la fauconnerie et la chasse, deux passions de l'aristocratie Bédouine.
Ces années passées dans le désert ont façonné le caractère et la manière de penser du jeune Zayed. Pour lui, tous les Bédouins sont ses frères. Il comprend leur humour, leur souffrance. Zayed était analphabète. C'est sur le tard qu'il apprendra à lire et écrire. Mais personne ne sait, au juste, quand il a commencé à le faire.
À la mort de son père en 1928, c'est son grand frère Chakhbout qui lui succède à la tête de l'émirat d'Abou Dhabi, encore sous protectorat britannique.

 

Al-Aïn
En 1946, Zayed est nommé gouverneur d'al-Aïn. Il y règne en maître incontesté, et néanmoins populaire, depuis qu'il a mis fin à la désertification qui menaçait la palmeraie. Pour ce faire, il a engagé l'or de sa part d'héritage pour emprunter les sommes nécessaires à la rénovation du système d'irrigation dans le cadre d'un vaste projet d'aménagement. Il a, en outre, poussé les principaux propriétaires de l'eau à répartir l'accès à l'irrigation de manière plus équitable.
Cette réussite ne passe pas inaperçue chez ses voisins, notamment le sultanat d'Oman et l'Arabie saoudite qui convoitent cette terre fertile et prospère. Mais il déjoue habilement les manœuvres de ces pays qui cherchent à s'emparer, par la force, d'une partie de la région. Il sait notamment utiliser adroitement les troupes du protectorat britannique, sans avoir l'air de dépendre d'elles. Et, au final, il tire de cette petite guerre, qui se termine par un succès personnel, un grand prestige.
En 1953, il voyage pour la première fois en Grande-Bretagne et en France, accompagnant cheikh Chakhbout afin de négocier les concessions pétrolières. Ce déplacement en Europe lui ouvre les yeux sur le besoin urgent de modernisation de son pays.
Abou Dhabi, tout comme les émirats voisins appelés États de la trêve, n'avait pour ressources que les produits de la pêche et du commerce des perles. Mais l'émirat est devenu le plus grand producteur de pétrole de la côte des Pirates. Et Chakhbout, parmi les hommes les plus riches du monde.


Figure extrêmement pittoresque, ce dernier s'est rendu célèbre par son refus catégorique de moderniser l'émirat, son avarice et son aversion pour les billets de banque. Durant un certain temps, l'émir exigeait que les redevances du pétrole lui soient versées en pièces d'or. Ce n'est que lorsqu'il lui fut impossible d'accumuler encore plus d'or dans son palais que Chakhbout se résigna à confier sa fortune aux banques internationales.
Face à son obstination, la famille régnante cherche à l'écarter, mais Zayed hésite. Il se souvient de la promesse faite à sa mère qui a formellement interdit à ses fils de s'entre-tuer pour le pouvoir.
En 1968, le clan familial décide de demander à Chakhbout de se retirer pacifiquement, pour qu'il soit remplacé par son cadet. On lui offre une retraite digne, qu'il finira par accepter, grâce, dit-on aussi, à l'intervention des Britanniques.

 

La fédération
Résultat direct du désengagement de la Grande-Bretagne à l'est de Suez, Londres annonce le retrait des forces britanniques de l'émirat la même année. Zayed est pris de court. Malgré sa richesse potentielle, l'émirat est faible et convoité. Il ne peut pas compter uniquement sur lui-même pour se défendre, notamment face à des voisins plus puissants que lui, comme Oman, l'Iran et l'Arabie saoudite qui attendent le départ des Anglais pour prendre leur place.
C'est ainsi que cheikh Zayed imagine d'unifier les émirats. Historiquement, ces entités s'entre-déchiraient. Opposées les unes aux autres, elles n'ont jamais travaillé ou communiqué ensemble. Il n'y avait même pas une route qui les reliait, et leurs chefs ne se rendaient jamais visite.
Zayed s'épuise à courir chez les uns et les autres pour essayer de les convaincre, notamment son rival de toujours, le dirigeant de l'émirat de Dubaï, cheikh Rached al-Maktoum. À la longue, les deux hommes se révéleront complémentaires. Cheikh Zayed est le visionnaire, l'ambitieux; cheikh Rached est le pragmatique, l'homme des projets, du commerce ouvert.


Plus de deux ans de négociations ardues seront nécessaires pour aboutir à un accord : Zayed offre les revenus du pétrole d'Abou Dhabi à partager avec tous les autres émirats. À condition, toutefois, que chaque émirat œuvre à son propre développement. Le 2 décembre 1971, le nouvel État est né. Six émirats adhèrent d'abord à l'union : Abou Dhabi, Ajman, Dubaï, Charjah, Fujaïrah et Oum el-Qiwain. Cheikh Zayed est élu président de la fédération à laquelle se joint, deux mois plus tard, Ras el-Khaïma. Le Qatar et Bahreïn se sont retirés à la dernière minute.


L'émir a ainsi réussi à créer un pays qui n'existait pas. Mais c'est un État où tout est à construire. Pour ce faire, il met les richesses du pays au service de son peuple. Il investit dans l'infrastructure, les services hospitaliers et l'éducation. L'environnement est une de ses préoccupations majeures: des réserves naturelles sont formées et de nombreux arbres plantés afin de conserver un environnement naturel de qualité. Il sera appelé « l'homme qui a transformé le désert en espace vert ». Puisant sa philosophie et ses principes dans l'islam, il encourage dans le même temps la tolérance et le respect envers les autres religions. Une exception dans la région du Golfe.

 

Les alliances
Sur le plan international, le président des Émirats veillera tout au long de son règne (1968-2004) à cultiver de précieuses alliances. Les États-Unis jouant la carte de l'Arabie saoudite, et le Royaume-Uni étant l'ancienne puissance coloniale, Zayed se tourne vers la France, qui deviendra un partenaire privilégié. Ses positions modérées lui vaudront le respect des dirigeants occidentaux. De Valéry Giscard d'Estaing à Jacques Chirac en passant par François Mitterrand, les présidents français fréquentent, et visiblement apprécient, la personnalité marquante du père des Émirats. Giscard dira de cheikh Zayed qu'il est « un homme qui respire le calme. Un conciliateur. Un observateur. Il est ouvert et réservé à la fois ». De son côté, François Mitterrand, qui n'a généralement pas trop d'estime pour les princes et rois capricieux, comme c'est le cas pour un bon nombre de dirigeants de la région, apprécie particulièrement Zayed. À Jacques Chirac, l'émir dit : « Nous n'avons pas d'amis plus proches que la France.» Il est vrai que Zayed est particulièrement touché par le coup d'éclat, devant les caméras, du président français en 1996 à Jérusalem-Est face aux soldats israéliens. Il est tellement sensible à cette scène qu'il se passe la vidéo en boucle.


Côté arabe, sa relation avec le roi Fayçal d'Arabie saoudite est des plus mauvaises. Toutes les tentatives de rapprochement entre les deux hommes échouent. Le monarque wahhabite considère que les tribus et les princes des Émirats sont de mauvaises herbes qui ont poussé sur ses plates-bandes et qu'il faudra bien arracher un jour. Zayed parvient néanmoins à entretenir des relations plus chaleureuses avec les successeurs de Fayçal. De même, le leader émirati réussit à amadouer son voisin du Sud, le sultan Qabous, assurant ainsi la sécurité de ses frontières. En ce qui concerne l'Iran, et malgré le litige bilatéral sur trois îles du Golfe, Zayed a de très bonnes relations personnelles avec le chah.


Sur le conflit israélo-palestinien, le président des Émirats sera toujours un allié fidèle de Yasser Arafat. Mais tout en appuyant fermement les revendications palestiniennes, il prône une solution fondée sur les résolutions de l'ONU et s'écarte des appels belliqueux de certains dirigeants arabes. Il sera ainsi le premier à tendre la main au président égyptien Anouar el-Sadate, après que ce dernier eut été mis au ban par les dirigeants arabes suite à la signature de l'accord de paix avec l'État hébreu. Aimant les métaphores, cheikh Zayed « disait de la guerre qu'elle est comme une botte de foin. C'est-à-dire qu'une fois qu'elle a commencé à rouler, elle emporte tout sur son passage », se rappelle l'ancien ambassadeur français à Abou Dhabi, François Gouyette.
Le Bédouin analphabète est devenu un chef d'État reconnu comme un homme sage, avisé et doté d'une vision pour son peuple. Il laisse ainsi un pays politiquement stable, dont le revenu par habitant est parmi les plus élevés de la planète. Revers de la médaille, la question de la démocratisation ne se pose pas avec autant d'acuité que dans les émirats voisins.

 

Culture de diversité
Son legs le plus important aura été de créer un État fondé sur la diversité et la pluralité. De ce point de vue, l'exemple des Émirats arabes unis est un succès notable et rarissime, non seulement dans la péninsule Arabique, mais aussi dans le monde arabe en général. Dans une région infestée de régimes autoritaires et où les notions de majorité et de minorité sont douloureusement vécues, les Émirats arabes unis proposent aujourd'hui une expérience réussie d'un État fédéral fondé sur le respect de la diversité.
Même un pays comme le Liban, qui se targue pourtant d'être un modèle de pluralité, a montré ses limites sur le plan de la gouvernance et de la gestion de cette pluralité, sans parler de pays comme la Syrie et l'Irak, où la diversité ethnico-religieuse a été longtemps opprimée par des régimes quasi totalitaires.
Certes, les problèmes au sein de la fédération existent, les rivalités aussi. La relation entre les différents cheikhs n'est pas sans nuages. Mais Zayed a réussi à créer une culture de dialogue et de négociation, qui permet toujours de recomposer les équilibres entre les émirats pour permettre au système de continuer à fonctionner, du moins jusqu'à aujourd'hui. Un vrai miracle dans la région.

 

*Ils ont été parfois adulés, parfois controversés. Mais ils n'ont jamais laissé personne indifférent. Ils ont écrit, et littéralement façonné la destinée de leur pays ou de leur région. À l'époque, en ce XXe siècle, le Proche-Orient a vécu des chamboulements majeurs : chutes d'empires, guerres d'indépendance, créations d'États, révolutions, etc. Or, derrière ces événements, il y a des hommes qui ont marqué l'histoire. «L'Orient-Le Jour» en a choisi quinze. Bonne lecture.

 

Le 2 novembre 2004, cheikh Zayed ben Sultan al-Nahyane, président des Émirats arabes unis et fondateur de la fédération, rend son dernier soupir. Lors de ses funérailles, le lendemain, de nombreux Émiratis exprimeront leur douleur et leur tristesse de perdre un leader qui leur a quasiment tout donné: un État, une identité, mais aussi et surtout la prospérité. Presque tous les...

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