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Moyen Orient et Monde - Égypte

Les Frères musulmans tentés par la violence ?

Alors que le leadership historique de la confrérie insiste sur la nécessité d'une résistance pacifique, une minorité de sympathisants se laisseraient séduire par la violence ciblée.

Mohammad Badie, chef des Frères musulmans, lors de son procès. Khaled Desouki/AFP

« Il est certain que les peuples sont à la longue ce que le gouvernement les fait être », disait Jean-Jacques Rousseau. Un adage qui prend toute sa substance dans l'Égypte contemporaine d'Abdel Fattah al-Sissi.
Le 22 juillet dernier, dans la Cour d'assises du Caire, 66 jeunes se présentent à la barre. Ils sont accusés du meurtre de Hicham Barakat, procureur général tué en juin 2015 dans une attaque à la bombe en plein centre du Caire. Devant le juge Hassan Farid, arrive l'un des prévenus : Mahmoud al-Ahmadi, 23 ans. Une bouche ourlée, de larges pattes qui encadrent sa mâchoire et une blouse blanche de condamnable mal ajustée. Frère musulman depuis l'enfance, il vient répondre de son implication dans le meurtre de cette haute figure du régime aux côtés de son frère aîné Mohammad. Mais le jeune homme montre des signes d'agacement et d'impatience.
Lors de son arrestation pourtant, Mahmoud aurait confié aux policiers comment il a commencé à être actif au sein de la confrérie lors de sa première année à l'université, en 2012-2013, année du renversement du président islamiste Mohammad Morsi par le Conseil suprême des forces armées. Il aurait évoqué le sit-in de Rabaa où il a été blessé par balle « dans le dos », puis son implication au sein des « comités de dissuasion » : de petits groupes de Frères chargés de faire diversion lors des manifestations anticoup pour protéger les cortèges. Des jeunes armés de cocktails Molotov et de pistolets à grenaille qui apparaissaient dans les marches quand ça chauffait avant de disparaître.
Il se serait remémoré aussi la fatigue des Frères, au bout de quelques mois de manifestations réprimées dans le sang et la décision de certains de ces groupes de passer de la défensive à l'offensive. Ce qui devait n'être au départ que du vandalisme dans le but « d'exténuer la police tant qu'on ne prenait la vie de personne » serait rapidement devenu une équipe d'artificiers et de tireurs amateurs, selon ses déclarations portées au dossier d'instruction. Mahmoud al-Ahmadi aurait assuré avoir été porté par le groupe et ne pas savoir qui donnait les ordres, fournissait les armes et le matériel pour confectionner les bombes artisanales. Lors de son interrogatoire préalable, il aurait aussi expliqué avoir été envoyé à Gaza par des responsables Frères musulmans pour y être entraîné par la Brigade Kassam, branche militaire du Hamas avant de commettre l'attentat mortel. Le jeune homme dit-il la vérité ? « Donnez-moi n'importe qui, une caméra, de quoi infliger des électrocutions et en une heure, je lui fais avouer qu'il a tué Anouar Sadate », exulte-t-il comme seule défense. Devant le juge, le prévenu sous-entend sans équivoque que ces aveux ont été extorqués sous la torture.

Instinct de vengeance
Pourtant, ils sont nombreux, chercheurs et universitaires à mettre en garde contre la radicalisation possible des Frères musulmans dans un contexte de répression féroce.
Le régime égyptien déploie des trésors de propagande depuis quatre ans pour présenter leurs sympathisants comme des terroristes dangereux, dans le but de justifier sa violence à leur encontre. La confrérie a été placée sur la liste des organisations terroristes fin 2015 par l'Égypte. Un parti pris qui a poussé certains d'entre eux dans les bras de groupes violents. « Une partie des Frères musulmans et certains partisans islamistes ont entamé une insurrection de petite envergure dans le but de renverser le régime de Sissi à la suite du coup d'État de 2013, note dans l'une de ses recherches Mokhtar Awad, spécialiste de l'extrémisme à George Washington University. Cette violence prend de l'ampleur depuis, et elle est alimentée par des motivations diverses : idéologie, révolte contre les violations des droits de l'homme ou vengeance. » Pour le spécialiste, le massacre de Rabaa al-Adiwyia à l'été 2013 a été l'un des éléments-clés qui a créé une nouvelle jeune génération d'extrémistes, « purs produits de convictions idéologique et religieuse et de violence d'État ».
Alors que les fronts d'insurrection se multiplient à travers le pays, dans le Nord-Sinaï, dans le Delta, en Haute-Égypte, mais aussi dans la capitale, les Frères musulmans sont donc accusés de prendre part à certaines de ces attaques sous la bannière de différents groupes violents. Si leur appartenance à la branche égyptienne de l'organisation de l'État islamique est souvent invoquée par les autorités, ils seraient en fait plus enclins à agir en solitaires, à monter des comités d'opérations indépendants ou à intégrer de jeunes mouvements tels que Hasm ou Liwa el-Thawra, à l'origine de nombreuses attaques dans la capitale égyptienne, dirigées exclusivement contre les représentants – juges, policiers, militaires, religieux – du régime.
Si ces groupes – prônant « un jihad de perspicacité et une résistance contre l'ennemi connu » – sont d'ailleurs présentés comme des émanations des Frères, rien ne prouve qu'ils en soient le bras armé. « Ils sont probablement un mélange d'anciens Frères, de salafistes révolutionnaires, mais aussi de militants non affiliés qui agissent par pur instinct de vengeance », confirme Stéphane Lacroix, chercheur au Centre de recherches internationales et spécialiste de l'islam politique. Une extrémisation pluriforme, qui n'en est pas moins inquiétante, met en garde Mokhtar Awad : « Ils sont bien moins meurtriers que l'État islamique, mais ont la capacité de mobilisation que constitue le réservoir important de la jeunesse islamiste en colère. »

Scission
Hasm par exemple, groupe apparu à l'été 2016 et qui s'est distingué par ses attaques bien ficelées et sa communication très maîtrisée, « semble être une faction des Frères musulmans qui a émergé à la suite du déclin de leurs activités et du refus de la violence de certains leaders. L'idéologie du groupe est influencée par certaines figures intellectuelles de la confrérie : Wagdy Ghoneim, le salafisme révolutionnaire de Mahmoud Fathy, ou du Parti pour la liberté et la justice Tarek Morsy », note le TRAC (Terrorism Research and Analysis Consortium), qui rappelle que leurs objectifs et leurs modes opératoires sont similaires à d'anciens groupes tels que les Brigades de Helwan ou le Groupe de punition révolutionnaire. Néanmoins, « jusqu'où les leaders Frères ont apporté une influence et soutenu Hasm ? Cette information reste non vérifiée, alors que, de son côté, Hasm assure opérer en toute indépendance », note le consortium.
Car si la confrérie, fondée en 1928 par Hassan al-Banna, partisan du jihad sans équivoque, a toujours tenu des positions ambiguës sur le recours à la violence, le leadership historique de la confrérie s'en tient à son discours de résistance pacifique : une passivité jugée lâche par une partie de ses membres ayant provoqué une scission notoire au sein de l'organisation.
Un différend notamment illustré par les récentes prises de position de Mohammad Mountasser, nouveau porte-parole de la « jeunesse Frère ». Si les communiqués qu'il publie sur IkhwanInfoWeb n'appellent pas directement à la violence, ses « incitations à la résistance » constituent un changement de discours important. L'encouragement à célébrer l'appel de Kenana – appelant ouvertement à la violence contre l'État égyptien – a même forcé Mohammad Ghozlan, porte-parole du leadership traditionnel à rejeter publiquement cette déclaration au nom de la confrérie.
Pour les spécialistes, ces éléments prouvent néanmoins qu'au moins une faction de la confrérie se laisse tenter par cette approche de la résistance « avec des éléments probants prouvant leur attache à des groupes terroristes actifs tels que Hasm ou Liwa el-Thawra », note Ahmad Youssef, chercheur au Cairo Institute for Human Rights. Mais ils insistent aussi : « C'est une toute petite minorité qui a choisi la lutte armée », comme le rappelle Stéphane Lacroix, « l'immense majorité des Frères n'est pas passée à la violence et elle est profondément pacifiste ».

« Il est certain que les peuples sont à la longue ce que le gouvernement les fait être », disait Jean-Jacques Rousseau. Un adage qui prend toute sa substance dans l'Égypte contemporaine d'Abdel Fattah al-Sissi.Le 22 juillet dernier, dans la Cour d'assises du Caire, 66 jeunes se présentent à la barre. Ils sont accusés du meurtre de Hicham Barakat, procureur général tué en juin 2015...

commentaires (2)

EMPORTES PLUTOT PAR LA VIOLENCE...

LA LIBRE EXPRESSION

10 h 32, le 21 août 2017

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Commentaires (2)

  • EMPORTES PLUTOT PAR LA VIOLENCE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 32, le 21 août 2017

  • ""une minorité de sympathisants se laisseraient séduire par la violence ciblée"" ET LA CABALE CONTINUE. a moins que le bras ne soit de parti pris-on ne sait jamais-donc taire les verites serait son but- C surement un ignorant . ds les 2 cas ses "analyses" ne font que du mal etant donne le cas

    Gaby SIOUFI

    10 h 17, le 21 août 2017

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