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Nos Lecteurs ont la Parole - Bélinda IBRAHIM

« Libellule appliquée », l’ange éthéré...

Hommage à Carine Ibrahim, victime d'un accident de la voie publique il y a 30 ans, le 3 août 1987.
Elle marchait sur la pointe des pieds avec une grâce infinie. Un peu comme si ce qui la retenait sur terre était cet infime contact avec le sol qu'elle effleurait à peine. « Libellule appliquée » est née un 9 octobre douillet et a bercé sa famille de sa délicate présence de poupée de porcelaine. Jamais bébé ne fut si admirable à regarder, une véritable caresse pour le regard avec son teint lumineux, ses yeux couleur d'océan et ses cheveux qui dépassaient en nuances la magie du blé en été. Ses premiers gazouillis étaient une mélodie à l'oreille et ses premiers pas un miniballet gracieux. « Libellule appliquée » a porté un doux prénom qui signifiait en latin « aimée », choisi avec amour par ses parents avant d'être totémisée par sa cheftaine de troupe lorsque, très jeune, elle entra dans le guidisme comme on entre en religion. Elle devait d'ailleurs fonder sa propre troupe lorsque le destin en décida autrement.
Par une matinée d'août ensoleillée, un chauffard sans pitié fit basculer ses projets et un tragique accident de la route la plongea dans un coma profond. C'était presque jour pour jour deux mois avant qu'elle ne fête ses dix-huit printemps. La belle au bois dormant était l'amie des animaux. Elle dialoguait avec eux dans un dialecte étrange dont elle seule détenait le secret. Et comme ça lui réussissait! Le monde des papillons et des escargots la fascinait. Celui des fossiles qu'elle collectionnait avec ferveur aussi ! C'était un peu comme si elle cherchait à retrouver le lien entre une vie antérieure et une autre tendue vers un ailleurs auquel elle ne cessait d'aspirer, loin, très loin de cette terre peuplée d'hommes qui n'avaient pas son respect. Elle voulait toujours « voler vers d'autres galaxies pour y faire un nid ». Parce que sur cette terre ordinaire, la vie lui semblait si pervertie, elle qui était éprise d'absolu.
Son sommeil comateux dura trois longues années et demie. Elle s'était installée dans une vie végétative et une forme d'autonomie qui la stabilisait dans son état. Lorsqu'elle ouvrait ses yeux couleur ciel, c'était juste pour les montrer sans rien voir. Un peu comme si elle affirmait une certaine présence dans l'absence, dans ce silence terrifiant qui était venu censurer à jamais sa parole, ce traumatisme crânien qui l'avait projetée en quelques secondes dans une vie entre deux mondes. Son entourage ne perdait pas espoir : que ce soit les chansons interprétées par ses amis – guitare à l'appui – les fêtes de Noël passées autour d'elle, ses anniversaires célébrés dans un remarquable enthousiasme dans l'espoir de la voir enfin émerger de son état et accueillir le premier signe de conscience qu'on attendait en vain. Et le temps a passé sans que rien ne change. Plus le temps passait, plus on se rendait à l'évidence que ses atteintes devaient être bien profondes... L'espoir s'amenuisait et son retour à la vie consciente devenait une impossibilité incontournable. Mais comme elle s'était farouchement battue pour survivre à chaque fois qu'une complication survenait, on se disait qu'il devait y avoir quand même une issue heureuse à ce cauchemar éveillé! Ou peut-être avait-on omis – dans un déni total de la réalité – de comprendre que son organisme résistait parce qu'il était jeune et que la mort avait une adversaire de taille à faire plier.
Celle qui savait parler aux roseaux et aux peupliers ne pouvait être fauchée comme le commun des mortels sur le simple caprice d'une voleuse de vie qui s'acharnait à la ravir aux siens. Et puis, de guerre lasse, « Libellule appliquée » s'est envolée un jour de janvier, après avoir laissé sa famille passer le cap des fêtes de fin d'année... Elle est partie sur la pointe des pieds au petit matin sans déranger personne. Elle était restée tout ce temps-là accrochée à la volonté de ses proches pour leur permettre petit à petit de se résigner à ne plus jamais la voir. Elle a attendu qu'ils soient prêts, et elle est partie dans un ultime soupir vers d'autres galaxies... Vers cet ailleurs illimité dont elle avait rêvé... Elle est partie rejoindre les anges et danser parmi les étoiles. Après tout, elle était bien à sa place dans cette dimension-là et son passage ici-bas sans doute un simple mirage qui avait enchanté notre quotidien. Sait-on jamais assez quelle chance on a d'avoir eu un ange éthéré... pour petite sœur ! ?

 

Hommage à Carine Ibrahim, victime d'un accident de la voie publique il y a 30 ans, le 3 août 1987.Elle marchait sur la pointe des pieds avec une grâce infinie. Un peu comme si ce qui la retenait sur terre était cet infime contact avec le sol qu'elle effleurait à peine. « Libellule appliquée » est née un 9 octobre douillet et a bercé sa famille de sa délicate présence de poupée de...

commentaires (4)

TRES TOUCHANT ET TRES EMOTIF ! DANS CE MONDE TOUT PASSE ET TOUT S,EFFACE... MAIS IL NOUS RESTE LE SOUVENIR !!!

LA LIBRE EXPRESSION

07 h 56, le 06 août 2017

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • TRES TOUCHANT ET TRES EMOTIF ! DANS CE MONDE TOUT PASSE ET TOUT S,EFFACE... MAIS IL NOUS RESTE LE SOUVENIR !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 56, le 06 août 2017

  • Chère Belinda , J'ai envoyé l'article au Brésil , à un couple d'amis qui a perdu sa fille unique , et qui ne s'en remt pas . Ils me répondront et je te communiquerai la réponse

    Chucri Abboud

    21 h 29, le 05 août 2017

  • En écho à ce texte si touchant et si plein de pudeur contenue, ce quatrain de Simonidès, le poète élégiaque du VII°s av. JC: Demain n’y compte pas. Ce frêle bonheur d’homme N’espère pas qu’il dure en ce monde agité. Car tout passe, tout fuit, tout nous échappe, comme Un vol de libellule au fond d’un soir d’été.

    COURBAN Antoine

    08 h 58, le 04 août 2017

  • Merci grande soeur....le deuil ..oui..l'oubli ..non

    Houri Ziad

    11 h 56, le 03 août 2017

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