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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Du darwinisme en déclin dans la Turquie d’Erdogan

Dès 2019, les élèves du secondaire n'auront plus à étudier la théorie de l'évolution.

Des élèves turcs avant le début des cours, le matin, à Istanbul, le 23 mars 2012. Photo AFP

« Trop compliqué », « archaïque », « dépourvu de preuves », « controversé ». C'est en ces termes qu'Alpaslan Durmus, qui dirige le comité sur les programmes scolaires au sein du ministère turc de l'Éducation, et le vice-Premier ministre Numan Kurtulmus ont qualifié le darwinisme. Dès 2019, les élèves du secondaire n'auront donc plus à étudier la théorie de l'évolution, souvent jugée comme contraire aux trois religions monothéistes, et devront attendre l'université pour le faire. Jusque-là, seule l'Arabie saoudite avait interdit l'enseignement de cette matière à l'école.

Développée par Charles Darwin dans son ouvrage L'origine des espèces publié en 1859, la théorie sur l'évolution des espèces et la sélection naturelle – les animaux les plus adaptés à leur milieu survivent – révolutionne le milieu scientifique. À l'époque, le créationnisme s'oppose à l'évolutionnisme, encore embryonnaire. De nos jours encore, le darwinisme est hautement controversé, et pourtant la décision du ministère turc de l'Éducation reste surprenante : cette théorie est présente dans tous les programmes scolaires du monde, ou presque, y compris en Turquie.

Mais le problème que pose le darwinisme dans le système éducatif turc n'est pas récent, et remonterait à l'Empire ottoman. Et depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP (Parti de la justice et du développement – conservateur) en 2000, les conservateurs du gouvernement n'ont jamais caché leur aversion pour cette théorie, et ont toujours voulu « protéger » la jeunesse de ces pensées considérées comme impures. En 2009, le Tübitak (Conseil turc de la recherche scientifique et technologique) suspend l'éditeur de son magazine mensuel pour avoir mis une photo de Darwin en couverture... Dès 2013, tous les ouvrages du Tübitak consacrés à la théorie disparaissent, et de plus en plus, des partisans du président turc Recep Tayyip Erdogan remplacent les hauts fonctionnaires du Conseil. « Il s'agit évidemment de l'application, dans le domaine scientifique, des vues de l'AKP. Cela correspond aux idées des milieux les plus réactionnaires de ce qu'il faut appeler le "national-islamisme" turc, qui professent de telles vues depuis des décennies. Le courant le plus puissant – ce n'est pas un parti mais un groupe de pression assez nébuleux – s'appelle la "synthèse turco-islamique", qui guide tout un panel de partis – dont l'AKP d'Erdogan », explique Étienne Copeaux, historien de la Turquie contemporaine. La synthèse turco-islamique proclame que « la nation turque est musulmane » (sunnite) et approuve tous les nettoyages ethniques qui ont eu lieu de 1915 à nos jours. Devenu puissant dans les années 1970, ce courant a été encouragé, officialisé même, par les militaires après le coup d'État de 1980 pour, à l'époque, barrer la route au communisme, précise l'historien, selon lequel « Erdogan n'apparaît pas dans la Turquie actuelle comme une rupture : lui-même et son parti sont le produit d'une longue évolution ».

 

(Lire aussi : « La Marche turque »)

 

 

« Nouvelle Turquie »
À l'instar de réformes similaires, celle du ministère de l'Éducation illustre l'évolution de la politique du président Erdogan vers une sorte de « nouvelle Turquie ». Depuis plusieurs années déjà, une réorganisation administrative de l'éducation va de pair avec une transformation du récit national, ces derniers mois surtout. « Avant la tentative de coup d'État de 2016, le régime s'est mis à célébrer la prise de Constantinople. Depuis, il y a également une célébration de l'échec du coup d'État, qui a été extrêmement fastueuse cette année. Il y a un ensemble de choses qui contribuent à une "nouvelle Turquie", et Erdogan a clairement affirmé, en parlant de l'après-coup d'État, que plus rien ne serait comme avant », avance Jean Marcou, directeur des relations internationales de Sciences Po (Grenoble) et spécialiste de la Turquie.

Face au kémalisme profondément ancré dans la société turque, ce type de réforme apparaît, pour M. Marcou, comme une concession faite aux influences religieuses, d'autant plus qu'a été inscrite dans le programme l'analyse de la notion du jihad. Pour M. Copeaux, kémalisme et islam conservateur ne sont pas totalement incompatibles. « Le courant de la "synthèse" (précédemment cité) a évolué et grandi parallèlement au kémalisme – qui n'a jamais rejeté cette idée de "nation musulmane", malgré les apparences de laïcité », souligne l'historien, bien que l'héritage de Mustafa Kemal Atatürk reste la référence de choix pour les opposants à M. Erdogan.

La décision ministérielle n'est pas passée inaperçue, sans qu'une frange de la société ne réagisse. Erdogan s'appuie certes sur la Turquie dite « profonde » (petites villes de province et milieux ruraux), qui a considérablement prospéré depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP et qui reste considérablement conservatrice. « Ce "pays profond" n'est pas toute la Turquie. Il y a les alévis (20 millions) qui restent profondément kémalistes et refusent complètement la pression religieuse, et les Kurdes », nuance M. Copeaux. Il ne faut pas non plus ignorer le poids du monde intellectuel et artistique. Mais la purge qui fait rage depuis un an à travers le pays, notamment dans les médias, les milieux universitaires et militaires n'est pas pour encourager toute velléité progressiste.

Le retour de l'islam dans l'espace public – comme la célébration des fêtes religieuses bien plus manifeste que par le passé –renforce le regain de popularité de la culture musulmane, passée au second plan sous Atatürk.
Dans un pays à l'histoire aussi riche, l'impact de telles réformes sur la société n'est pas des moindres. Ce retour du religieux va de pair avec un désir violent de modernité et de puissance économique, et cela se traduit par une abondance de projets dans tous les domaines, explique Jean Marcou, pour lequel une conflictualité reste néanmoins inévitable au sein d'une société de plus en plus « schizophrénique ». Étienne Copeaux est, lui, bien plus catégorique quant à l'issue malheureuse de toutes les réformes mises en place. « Toute la production intellectuelle turque est en jeu. Il se pourrait que beaucoup d'intellectuels choisissent d'aller à l'étranger, que le monde intellectuel turc s'appauvrisse, décline, alors qu'il était d'une richesse étonnante. Il y avait depuis les années 90 une véritable renaissance intellectuelle, il se pourrait qu'elle s'éteigne », déplore le spécialiste.

 

Pour mémoire

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commentaires (7)

La pire plaie du monde moderne demeure le fondamentalisme religieux de tous bords, intolérants, bornés, qui refusent toute avancée de la science qui remet en question leurs croyances divines soit-disant révélées qui ont gardé l'humanité dans un primitivisme incroyable durant plus de 20 siècles, de superstitions à théocraties violentes et j'en passe.. Il y a malheureusement, dans le monde, un retour vers ce conservatisme religieux et intolérant, en réaction à l'avancée spectaculaire de la science qu'ils ne comprennent pas et qui leur fait peur, à commencer par l'arrivée d'un imbecile dangereux à la Maison Blanche, épaulé par tous les born again du mid-west... Non, ce n'est pas seulement en Turquie qu'il y a cette régression intellectuelle dangereuse qui ne peut mener qu'à des conflits incontrôlables si rien n'est fait!

Saliba Nouhad

01 h 41, le 01 août 2017

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Commentaires (7)

  • La pire plaie du monde moderne demeure le fondamentalisme religieux de tous bords, intolérants, bornés, qui refusent toute avancée de la science qui remet en question leurs croyances divines soit-disant révélées qui ont gardé l'humanité dans un primitivisme incroyable durant plus de 20 siècles, de superstitions à théocraties violentes et j'en passe.. Il y a malheureusement, dans le monde, un retour vers ce conservatisme religieux et intolérant, en réaction à l'avancée spectaculaire de la science qu'ils ne comprennent pas et qui leur fait peur, à commencer par l'arrivée d'un imbecile dangereux à la Maison Blanche, épaulé par tous les born again du mid-west... Non, ce n'est pas seulement en Turquie qu'il y a cette régression intellectuelle dangereuse qui ne peut mener qu'à des conflits incontrôlables si rien n'est fait!

    Saliba Nouhad

    01 h 41, le 01 août 2017

  • Apres la Renaissance et puis le siècle des Lumières voilà qu'on passe au siècle des oeillères ... C'est normal! En vieillissant trop de lumière peu aveugler et causer des erdogan, oups pardon des accidents...

    Wlek Sanferlou

    23 h 42, le 31 juillet 2017

  • la Turquie devient une dictature islamique Erdogan va imposer des lois rétrogrades, peut-être les jeunes turcs que la Terre est plate ?

    Talaat Dominique

    16 h 59, le 31 juillet 2017

  • La Turquie avance lentement mais surement vers une période sombre et dangereuse. Un pays qui repose son histoire sur des mensonges finit par être rattrapé par ceux-ci et s'auto-détruit. Erdogan en est l'outil. Si les Turcs ont pu se débarrasser des Chrétiens qui ne représentaient que 2 a 3 millions de personnes, je vois mal Erdogan éliminer 20 millions d'Alevis et autant de Kurdes... A suivre!

    Pierre Hadjigeorgiou

    12 h 43, le 31 juillet 2017

  • ET ils pleurnichent de ne pas etre acceptes par l'EU . va comprendre , ils veulent peut etre - au contraire -leur inculquer la propre doctrine et philosophie de erdogan et accolites , a ces europeens ignorants.

    Gaby SIOUFI

    12 h 26, le 31 juillet 2017

  • POURQUOI NE PAS LEUR FAIRE ETUDIER COMME AU BANGLADECH QUE LE SOLEIL TOURNE AUTOUR DE LA TERRE ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 07, le 31 juillet 2017

  • Ceci en quelque sorte confirme la théorie de Darwin ... L'évolution n'a pas la même vitesse chez toutes les espèces... attendons voir

    Wlek Sanferlou

    01 h 04, le 31 juillet 2017

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