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Nos Lecteurs ont la Parole - par Georges TYAN

Les parvenus du Liban présent

Je discutais l'autre jour avec un jeune collègue. Nous parlions bonheur, joies, mariages, puisque la saison bat son plein, lorsqu'il me sort un peu aigri, voire désabusé : tout ceci n'est que poudre aux yeux, les gens ne sont pas heureux.
Ensuite, ce camarade de classe, ancien juge, homme de lettres et de grande culture qui poste sur sa page Facebook : « Le Liban est désormais laid, parce que ses habitants sont laids, de l'intérieur en tout cas. »
Il n'en fallait pas plus pour que mon humeur maussade prenne en grippe tout ce qui aurait pu ce matin-là atténuer un tant soit peu la morosité de cette journée qui avait débuté par un embouteillage monstre, agrémenté de cyclomoteurs piquant sur vous, venant à contresens, saupoudrée par une multitude de mendiants se tenant mains tendues de plain-pied sur la chaussée, au risque de se faire écraser.
Est-il méchant d'ajouter qu'un de ces pauvres hères passant sous vos roues peut rapporter gros à ceux qui l'ont placé aux endroits stratégiques, surveillant son activité, le forçant à plus de témérité dans la mendicité afin de rentabiliser la location de ces êtres chétifs à des géniteurs qui ont un sens aussi poussé des affaires ?
Je ne voudrais pas m'aventurer sur un terrain que je ne connais pas en affirmant que les employeurs de ces miséreux bénéficient comme il le semble de protections occultes, sinon ce commerce éhonté se serait arrêté à ses premiers balbutiements, que le Liban ait été envahi par des hordes de réfugiés ou pas. Il y a des personnes qui ont l'art de tirer profit de la misère d'autrui.
En fait, c'est un métier comme un autre, les prédateurs de misère ont désormais pignon sur rue, tout devient standardisé, calculé, étudié. Que nous sommes loin des cas où la pauvreté se cachait, se taisait. Encore un peu et il y aurait des encarts dans la presse et de la publicité à la télévision.
Comme en politique, il y a encore quelques années, pour garder leur prépondérance, les féodaux du coin s'arrangeaient pour créer de petites querelles de clocher entre villages mitoyens, que bien vite ils apaisaient, éteignant avec doigté le feu, juste comme ils l'avaient allumé. Ce n'était pas bien méchant, cela se mariait bien avec le folklore du terroir.
Mais à l'heure de la globalisation, la donne a changé. Les petites bisbilles locales ne font plus recette ; c'est à l'étendue du territoire que devenant conflits, elles sont montées, préparées, peaufinées. Le fabriqué au Lebanon ne rapportant plus, les ingrédients sont désormais importés, estampillés du sceau de quelques puissances étrangères fleurant bon le billet vert ou la senteur du pétrole.
Alors, prenant exemple sur ces enfants loués à la journée pour pratiquer la mendicité, nos responsables, altruistes jusqu'au bout des ongles, font don de leur propre personne, se sacrifiant sur l'autel du plus offrant, prêtant allégeance à des pays dont ils ne comprennent même pas la langue, prenant fait et cause pour des causes qui souvent sont en contradiction flagrante avec les intérêts intrinsèques à notre pays.
La politique serait donc devenue un métier non comme un autre, mais hautement lucratif, d'après ce que l'on voit, lit, entend, et quand bien même que s'en défendent les principaux héros des sagas de l'argent gagné très vite, il n'y a pas de fumée sans feu, l'on ne prête qu'aux riches.
Et riches ils le sont devenus, certains plus que Crésus, non par héritage ou dur labeur. Les politiciens d'antan liquidaient à tour de bras leur immobilier pour garder un certain train de vie, subvenir sans rougir ou avoir à tendre la main aux besoins de leur maisonnée.
Au Liban, tout le monde connaît tout le monde, le premier quidam venu serait capable de vous dérouler en quelques minutes l'arbre généalogique de n'importe lequel de nos responsables, et de vous conter en y ajoutant peut être une pincée de sel par-ci, un peu de poivre par-là, comment ils sont parvenus au statut de parvenu.
Pour être grand il faut être vu, se déplacer en convois d'une vingtaine de mastodontes aux vitres fumées avec gardes du corps toutes armes dehors, insultant copieusement les usagers de la route, se frayant un passage dans les embouteillages qu'ils ont eux-mêmes provoqués en interdisant la circulation chacun dans une circonférence d'au moins dix kilomètres autour de sa maison, son palais, barrant les routes attenantes à l'aide de gros blocs en béton, hideux au demeurant.
Ceci n'est qu'un infime détail noyé dans un comportement général à tout le moins inique, allant des affaires, passant par les lois controversées, les manipulations, pour arriver aux scandales à répétition, cette liste n'étant nullement exhaustive ; cela sans compter les privations que le peuple de mon pays endure, qui contribuent à alourdir un climat politique déjà malsain.
Dans ce panorama délétère, même la profusion de festivals estivaux que chaque ville ou village organise, les feux d'artifice souvent un régal pour les yeux ne parviennent pas à masquer la laideur d'une situation qui à chaque instant risque de faire chavirer le frêle esquif sur lequel nous voguons.
La laideur n'est pas un point de vue, elle est là tenace, elle s'incruste, s'étend et gonfle comme un cancer. Pour nous qui aimons tant le Liban pour avoir vécu ses heures de gloire, assisté à son apogée puis plongé dans les abysses de sa misère, le temps de l'ablation est venu afin que le soleil d'un nouvel espoir resplendisse à nouveau dans nos cieux et illumine les pas des nouvelles générations.

 

Je discutais l'autre jour avec un jeune collègue. Nous parlions bonheur, joies, mariages, puisque la saison bat son plein, lorsqu'il me sort un peu aigri, voire désabusé : tout ceci n'est que poudre aux yeux, les gens ne sont pas heureux.Ensuite, ce camarade de classe, ancien juge, homme de lettres et de grande culture qui poste sur sa page Facebook : « Le Liban est désormais laid, parce...

commentaires (2)

Qu'en termes élégants ces laides choses sont dites. Le putride et le nauséabond se revêtent des oripeaux de ce qui n'est plus qu'une charogne que de sinistres nécrophages dépècent. Il faut prendre acte de la fin d'un certain Liban. Un autre est en gestation sans doute. Dans la pénombre de l'entre-deux, tous les monstres des ténèbres se livrent à leur banquet de vampires.

COURBAN Antoine

15 h 30, le 27 juillet 2017

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Commentaires (2)

  • Qu'en termes élégants ces laides choses sont dites. Le putride et le nauséabond se revêtent des oripeaux de ce qui n'est plus qu'une charogne que de sinistres nécrophages dépècent. Il faut prendre acte de la fin d'un certain Liban. Un autre est en gestation sans doute. Dans la pénombre de l'entre-deux, tous les monstres des ténèbres se livrent à leur banquet de vampires.

    COURBAN Antoine

    15 h 30, le 27 juillet 2017

  • Ce pays qui n'en finit plus de s'alourdir sous le poids de la misère. Si il y avait des émoticônes je mettrais: le coeur brisé.

    Nadine Naccache

    12 h 34, le 27 juillet 2017

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