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Culture - Musée Sursock

Que fait-on quand on a peur de voir la maison de son enfance s’effondrer ?

« Il me fallait casser cette image qui me hante » : le photographe et vidéaste Hrair Sarkissian a,
d'une certaine façon, pris les devants...

« Il me fallait casser cette image qui me hante... » Photo DR

Hrair Sarkissian est né à Damas en 1973. Il y a vécu jusqu'en 2003, l'année où il décroche une résidence d'étudiant à l'École nationale supérieure de la photographie à Arles. Après un bref retour au pays, il repart en 2008 poursuivre ses études à Amsterdam, à la Gerrit Rietveld Academie, avant de s'installer en 2010 à Londres. Soit un an avant le début du conflit syrien. Son exil volontaire ne l'empêche cependant pas de ressentir le mal du pays. Et même d'être rongé par la peur de perdre ses parents ou de voir l'appartement familial détruit au cours des événements. Pour exorciser ces images cauchemardesques qui le hantent, il décide en 2014 de combattre le mal par le mal. En s'attelant lui-même à la démolition de l'immeuble de son enfance... reconstitué en maquette de 2,40 m de hauteur et 170 cm de profondeur. « Cette fidèle réplique de l'original a été réalisée dans un cabinet d'architecture avec de vrais matériaux de construction (béton, pierre, métal...). Sa fabrication a nécessité deux mois. Et il m'a fallu sept heures pour la détruire », précise celui qui, (dé)formation professionnelle oblige, s'est photographié en train de la démolir. Ensuite, avec les 650 prises de vue correspondant à autant de coups de butoir, il a élaboré une vidéo éloquemment baptisée Homesick.

« Il me fallait casser cette image qui me hante », confie l'artiste arméno-syrien présent à Beyrouth à l'occasion du vernissage de l'exposition que lui consacre le musée Sursock, jusqu'au 2 octobre.
Projetée simultanément sur deux écrans juxtaposés, Homesick (2014) fait se succéder, d'une part, les images de l'artiste en train de donner des coups de massue et, d'autre part, celles de l'édifice en train de s'écrouler. Des scènes sans fioritures qui dégagent, cependant, une charge émotionnelle intense. Une œuvre exutoire certes. « Mais aussi un plaidoyer qui préconise de se détruire soi-même avant d'être détruit par les autres », signale-t-il.

 

Filmer l'invisible, l'occulté, l'oublié...
Photographe et fils de photographe – « mon père avait ouvert le premier labo photo couleurs en Syrie en 1977 », dit-il non sans une pointe de fierté dans la voix –, Hrair Sarkissian puise les thèmes de ses projets de la relation personnelle qu'il entretient avec les personnes et les géographies. Sensible aux petites histoires qui disparaissent dans les méandres de l'histoire, il préfère braquer son objectif sur les détails révélateurs souvent passés inaperçus, les scènes omises et les endroits oubliés. « En somme, je cherche toujours, dans mon travail, à montrer l'invisible », affirme celui qui a toujours refusé de traiter directement de tout ce qu'a engendré le conflit syrien : ruines, morts, blessés, déplacés... Mais dont les deux installations-vidéo qu'il présente dans les Twins Galleries du musée Sursock sont pleinement inspirées de la situation en Syrie.

Car Sarkissian a réalisé en décembre 2016 une seconde œuvre dans la lignée de Homesick. Intitulée Horizon, elle déploie, sur deux écrans de même grandeur, l'un sur le mur, l'autre au sol, des images de mer et de paysage vierge. Filmées par drone, celles-ci retracent l'itinéraire – depuis Kas sur la côte sud-ouest de la Turquie jusqu'à l'île de Megisti à la pointe sud-est de la Grèce, passant par le détroit de Mycale – que sont contraints de suivre les personnes qui fuient les conflits. « Ce chemin est le plus court qu'elles puissent emprunter. Pour beaucoup, cette épreuve ne représente que le début d'un parcours encore plus périlleux vers l'inconnu et une situation précaire de réfugié », souligne le photographe. Qui, là aussi, par un travail subtil sur le rapprochement des images marines et côtières, laisse aux visiteurs la faculté d'embarquer par l'imaginaire dans cette difficile traversée. Et de ressentir, de la sorte, ces sentiments, si largement (mal) partagés de nos jours, de perte et d'appréhension...

 

MUSÉE SURSOCK
Jusqu'au 2 octobre.

 

Carte de visite

Le travail de Hrair Sarkissian tourne autour de la mémoire et de l'identité personnelle et collective. Ses photographies d'environnements urbains et de paysages emploient les techniques de documentaire traditionnelles afin d'analyser de façon nouvelle des contextes historiques, politiques ou sociaux plus larges. Ses œuvres ont été, notamment, exposées au Baltic Centre for Contemporary Art (Newcastle) ; au 10th Bamako Encounters (Mali) ; au KW Institute for Contemporary Art (Berlin) ; au pavillon arménien de la Biennale de Venise ; au Tate Modern (Londres, G-B) ; au New Museum (New York) ainsi qu'à Darat al-Funun (Amman, Jordanie).

 

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