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Idées - Exploitation des richesses pétrolières et gazières

Des Libanais veulent faire encore mieux que Monsieur 5 % !

Nicolas Sarkis , Économiste, expert en affaires pétrolières et énergétiques.

Les préparatifs en cours au Liban pour exploiter le potentiel de pétrole et de gaz espéré en mer ressemblent fort à ce qui s'était passé il y a un siècle, quand les grandes sociétés occidentales s'apprêtaient à mettre la main sur les gisements d'hydrocarbures du Moyen-Orient. Le bras de fer engagé avant la Première Guerre mondiale entre ces sociétés, et leurs pays d'origine, pour se partager les dépouilles de l'Empire ottoman a finalement abouti au découpage de cette région en zones d'influence américano-européennes. Il a aussi fait la fortune de l'intermédiaire Calouste Sarkis Gulbenkian qui a mis à profit les relations de son père, haut fonctionnaire dans l'administration ottomane, avec la Sublime-Porte, puis ses propres réseaux à Londres et à Paris, pour se ménager une part dans cette gigantesque redistribution de cartes.

Son premier exploit a été l'acquisition d'une participation de 15 % dans la Turkish Petroleum Company (TPC) créée en 1912 par des sociétés occidentales pour exploiter les richesses pétrolières de la Mésopotamie. La guerre 1914-1918 et le démembrement de l'Empire ottoman ont conduit à la création de l'Irak en 1921 et au remplacement en 1929 de la TPC par le consortium Iraq Petroleum Company (IPC) au sein duquel Gulbenkian s'est « contenté » de 5 %, au nom de la société Partex enregistrée au Panama, aux côtés de Royal Dutch Shell (23,75 %), des géants américains Esso et Mobil (23,75 %), de l'Anglo-Persian Oil Company, devenue BP (23,75 %), et de la Compagnie française du pétrole (23,75 %). Ce tour de force lui a valu le surnom de Monsieur 5 % qui se traduisait par un droit de propriété équivalent sur tout le pétrole et le gaz découverts par l'IPC et une part correspondante de ses revenus. Tout cela sans aucune activité industrielle et sans aucune participation opérationnelle au sein de l'IPC dont les tentacules s'étendaient sur tout le territoire irakien et dans les pays voisins, dont la Syrie et le Liban. Cette situation a duré 42 ans, jusqu'à la nationalisation de l'IPC en juin 1972, date à laquelle la fortune colossale accumulée par Gulbenkian était considérée comme l'une des plus grandes au monde.

 

Acrobaties
À en juger par les mesures prises et les montages opérés jusqu'ici, l'exemple de Monsieur 5 % a donné des idées à certains Libanais. Mais comme on n'est plus ni au temps du sultan Abdul Hamid ni à celui du mandat britannique sur l'Irak, les stratèges libanais se sont livrés à bon nombre d'acrobaties pour essayer de marcher sur les pas de Calouste Gulbenkian en s'appropriant une partie des ressources pétrolières et gazières espérées.
Le premier grand obstacle à surmonter était la nécessité d'aménager un contexte politique un tant soit peu similaire à celui qui prévalait il y a un siècle en Irak, soit un État encore balbutiant, sinon inexistant, et l'absence d'une société pétrolière nationale, l'Iraq National Oil Company (INOC) n'ayant été créée qu'en 1966. Il s'agissait là d'un défi d'autant plus difficile à relever que la loi pétrolière 132/2010 disposait que l'État est le seul propriétaire des ressources nationales en hydrocarbures, et qu'il doit prendre directement part à l'exploitation de ces richesses dans le cadre d'un type d'accord devenu prépondérant, appelé « Contrat de partage de la production » avec des entreprises étrangères compétentes disposant des moyens techniques et financiers nécessaires. Cela barrait donc la route à des participations par des particuliers ou des intermédiaires du genre de Gulbenkian.

Mais qu'à cela ne tienne ! Cet obstacle de taille a été allègrement éliminé en deux temps. Le premier a été de s'abstenir, sous des prétextes aussi farfelus les uns que les autres, de former une société pétrolière nationale libanaise, pouvant et devant être le bras de l'État dans toutes les activités pétrolières et son représentant dans les relations avec les entreprises étrangères. Le second a été le projet de décret comportant un modèle des accords d'exploration et de production (Exploration and Production Agreement – EPA) à conclure avec les sociétés concernées.
Aussi ahurissant que cela puisse être, l'article 5 de ce projet de décret, devenu décret 43 depuis qu'il a été approuvé par le gouvernement le 4 janvier 2017, dispose que « l'État ne prendra aucune participation aux activités pétrolières à l'occasion du premier round d'attribution de droits d'exploration/production » (sic). Ainsi, et en quelques mots, des fonctionnaires du ministère de l'Énergie ont allègrement, et sans demander l'avis de qui que ce soit, torpillé les principes fondamentaux sur lesquels repose la loi 132/2010, en chassant carrément l'État des activités pétrolières !

L'État ayant ainsi été neutralisé d'une manière aussi arbitraire qu'illégale, il ne restait plus qu'à mettre en musique les modalités de son remplacement par des intérêts privés. Les mécanismes juridiques pour y parvenir ont été définis dans deux autres projets de décrets, élaborés eux aussi par des fonctionnaires du ministère de l'Énergie. Le premier concerne la préqualification des sociétés autorisées à postuler pour des droits d'exploration et de production. Il en a résulté la désignation officielle en mars 2013 de 46 sociétés, dont 12 sont dites « opératrices » et 34 « non opératrices », qui sont pour la plupart des sociétés de dimension moyenne ou petite, y compris deux sociétés fictives (Apex Gas et Petroleb) constituées à la hâte pour les besoins de la cause, avec un capital de quelques milliers de dollars, et d'autres, qualifiées de « hooligans » dans les milieux pétroliers, et poursuivies dans plusieurs pays pour malversation et corruption. Quant au second décret, celui du cahier des charges, il précise dans son article 6 que les droits d'exploration/production ne peuvent être accordés qu'à des « associations commerciales non intégrées », composées d'au moins trois sociétés préqualifiées, dont une « opératrice » avec une participation de 35 % au moins, et deux autres au moins « non opératrices » ayant chacune une participation minima de 10 %.

 

Une « association commerciale non intégrée »
Étant donné que les activités dont il s'agit consistent à forer et à produire du pétrole et du gaz à plusieurs centaines de mètres sous des fonds marins, à des profondeurs d'eau qui pourraient dépasser 2 000 mètres, il est clair que le Liban n'a en fait besoin que de l'une, ou de l'association de plusieurs de la douzaine de grandes sociétés internationales capables de mener à bien ces activités. Toutes les autres sociétés préqualifiées pour être « non opératrices » ne peuvent, par contre, qu'exercer, au mieux, des activités secondaires ou, surtout pour les sociétés fictives ou à réputation sulfureuse, servir d'écran à des hommes politiques ou des intermédiaires privés.

Cela signifie, en d'autres termes, que pour chaque bloc attribué, il faudrait y avoir une « association commerciale non intégrée » groupant forcément au moins une des grandes sociétés internationales pour assumer les responsabilités de maître-d'œuvre, avec une part d'au moins 35 %, et à laquelle on demanderait de prendre au moins deux associés « non opérateurs » disposant d'une participation minima de 10 % chacun, soit plus d'au moins le double de la rente dont Monsieur 5 % s'était contenté. Et comme il faudrait, pour arriver à 100 % du capital, augmenter la part de l'opérateur et/ou le nombre des non-opérateurs ou la part de chacun d'eux, cela donne des chances à plusieurs Gulbenkian en herbe, et encore plus sur l'ensemble des blocs attribués.

Il s'agit là d'un mode opératoire taillé sur mesure et assaisonné à la sauce libanaise pour étendre à la nouvelle richesse promise une « Mouhassassa » bien de chez nous. D'autant plus que le montage imaginé est suffisamment souple pour satisfaire les appétits de toutes les parties prenantes. Il présente aussi pour ceux qui en profitent l'avantage d'être pérenne puisqu'il leur assure non point une vulgaire commission payable une fois pour toutes, mais un véritable droit de propriété sur une partie de cette richesse nationale, pendant les quelque quarante ans d'exploration/production. Soit une situation sans précédent dans d'autres pays du monde, y compris les plus corrompus.

Ce tour de passe-passe imaginé par des Libanais qui entendent faire encore mieux que Monsieur 5 % se veut en effet plus sophistiqué que celui mis en place dans d'autres pays, où des dirigeants se sont abrités derrière des sociétés-écrans. Il en est ainsi de l'Irak où des sociétés américaines ont été forcées dans les années 70 de s'associer à hauteur de 25 % à des entreprises locales pour emporter des contrats de service pétroliers. Au moment de la signature de certains de ces contrats, les sociétés fantômes concernées n'étaient même pas encore constituées. Les réactions suscitées par ce genre de pillage ont conduit à la promulgation aux États-Unis du « Foreign Corrupt Practices Act » (FCA) qui sanctionne sévèrement les sociétés américaines qui se prêtent à ce petit jeu.

 

« Malabu Oil Scam »
Un autre exemple plus récent est celui du scandale dit « Malabu Oil Scam » au Nigeria où les sociétés Shell et Agip, filiale du groupe italien ENI, sont accusées d'avoir versé en 2011 des pots-de-vin de 1,1 milliard de dollars pour exploiter le bloc pétrolier en mer OPL 245. Les principaux bénéficiaires des sommes versées sont l'ancien président de la République Jonathan Goodluck et son ministre du Pétrole Dan Etete qui avait facilité une opération d'escroquerie en mettant sur pied une société bidon. Plusieurs hauts dirigeants de Shell et d'Agip sont toujours poursuivis pour corruption au Nigeria, ainsi qu'en Italie et dans d'autres pays européens. Un autre scandale qui a récemment éclaboussé ENI porte sur le versement par sa filiale Saipem de 200 millions de dollars de « commissions » à l'ancien ministre algérien de l'Énergie Chakib Khalil et ses complices. Cette affaire a valu au groupe ENI et à son ex-président Paolo Scaroni de passer en jugement devant la justice italienne.

Outre les différentes ONG et les nouvelles lois anticorruption adoptées dans de nombreux pays industrialisés, les combinards libanais qui se rêvent en nouveaux Monsieur 5 % font face à une autre menace à laquelle ils n'ont pas encore trouvé la parade : les accords conclus ces dernières années entre les pays membres du « Groupe des 8 », ainsi que tous les pays de l'OCDE, pour sanctionner lourdement leurs sociétés nationales compromises dans des affaires de corruption dans des pays tiers.
Il s'agit là d'une menace bien plus redoutable que celle que font peser nos sympathiques organismes nationaux de contrôle et de moralisation des marchés publics...

Économiste, expert en affaires pétrolières et énergétiques.

 

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commentaires (5)

LES ALI BABA ET LEURS RESPECTIFS VOLEURS... TOUS D,ACCORD... DEVALISENT LE PAYS ! PEUPLE LIBANAIS, PRENEZ L,AFFAIRE EN MAIN. IL N,EST PAS TROP TARD. NE LAISSEZ PAS FAIRE !

LA LIBRE EXPRESSION

11 h 46, le 28 juin 2017

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Commentaires (5)

  • LES ALI BABA ET LEURS RESPECTIFS VOLEURS... TOUS D,ACCORD... DEVALISENT LE PAYS ! PEUPLE LIBANAIS, PRENEZ L,AFFAIRE EN MAIN. IL N,EST PAS TROP TARD. NE LAISSEZ PAS FAIRE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 46, le 28 juin 2017

  • À y réfléchir, ces révélations sont suffisamment graves pour qu'une enquête soit ouverte pour savoir qui sont ces "fonctionnaires du ministère de l'Énergie" qui ont pondu ces décrets sur mesure et, surtout, qui sont les parties qui les ont soudoyés pour obtenir ces faveurs. Autre question qui a son importance: pourquoi le gouvernement a-t-il approuvé ces décrets? De peur que la société pétrolière nationale ne voie jamais le jour? Pour d'autres raisons? Affaire à suivre d'urgence par les associations de lutte contre la corruption. Oups, c'est vrai qu'il y a un ministre en charge de ce dossier.

    Marionet

    23 h 18, le 25 juin 2017

  • Merci, Mr. Sarkis, nous expliquer tout haut ce que tout le monde soupçonnait tout bas mais sans réaliser la subtilité et l'énormité de cette magouille: pire que dans la plus corrompue des républiques bananières! On fabrique donc autant de Messieurs 5% qu'il y a de leaders communautaires et les miettes restantes à l'état Libanais qui croule sous les dettes au bord de la faillite.. Pire dans l'histoire: on vous répondra, et puis, qu'avez-vous découvert de nouveau?Votre histoire n'émeut plus personne chez un peuple amorphe de moutons de Panurge, et demain elle sera oubliée... Comme on dit :" le chien aboie, et la caravane passe " ; "business as usual ".

    Saliba Nouhad

    17 h 42, le 25 juin 2017

  • L'excellent Nicolas Sarkis a dit tout haut ce que pensent 99% des Libanais du Liban et de l'étranger à leur tête votre serviteur. Merci Nicolas !

    Un Libanais

    15 h 30, le 25 juin 2017

  • Voilà, enfin, la première explication claire et fondée sur le décryptage des montages juridiques de cette odeur de soufre qui flotte sur les nappes pétrolières! Certes, on entendait parler de corruption dans cette affaire mais comme ce mot est le premier qui vient à la bouche dès le lancement d'un projet au Liban, il était difficile de savoir si corruption il y avait et surtout comment elle pouvait s'opérer. L'article de M. Sarkis l'explique clairement et éclaire par la même occasion le blocage, pendant des années, de la constitution de la société pétrolière nationale. Jusque là, l'omerta régnait et les prévaricateurs se tenaient les coudes pour ne rien laisser filtrer de leurs manigances. Quelle bande de mafieux! Dire qu'ils sont encore tous là à prétendre diriger le pays qu'ils mettent en coupe réglée. Qui les arrêtera?

    Marionet

    10 h 05, le 25 juin 2017

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