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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Les enjeux du référendum d’indépendance au Kurdistan irakien

Erbil veut profiter d'un contexte favorable pour faire pression sur Bagdad et consolider ses gains face à l'État islamique.

Une fabrique de drapeaux du Kurdistan irakien, à Erbil. Safin Hamed/AFP

Il ne reste plus qu'une marche à gravir pour les Kurdes d'Irak. Le Kurdistan a annoncé mercredi la tenue d'un référendum sur son indépendance le 25 septembre. Cette annonce intervient après plusieurs appels en faveur du projet d'indépendance de cette région dont l'autonomie a été renforcée lors de l'adoption de la Constitution irakienne de 2005. Autonome depuis 1991, le Kurdistan est composé de trois provinces, et a pour capitale Erbil. Après des mois de tractations, le président du KRG Massoud Barzani affirmait en février dernier au quotidien britannique The Guardian que l'indépendance n'avait jamais été aussi proche, alors que l'Irak est plus fragmenté que jamais.

Le Kurdistan irakien profite d'une dynamique régionale et interne peu ou prou favorable à son ambition d'autonomie politique. La campagne contre le groupe État islamique (EI), soutenue par les États-Unis, a notamment permis aux Kurdes de s'emparer de nombreux territoires, dont la ville de Kirkouk à l'été 2014, alors que l'armée irakienne avait pris la fuite face aux avancées des jihadistes. Les forces combattantes kurdes sont devenues un symbole de la résistance anti-EI à mesure des batailles remportées, ce qui a contribué à façonner leur image auprès de la communauté internationale. Avec la reprise de la grande majorité des « territoires disputés », les Kurdes ont un levier important face à Bagdad. Cette formulation fait référence à des zones du nord de l'Irak, notamment la province multiethnique et riche en pétrole de Kirkouk, revendiquée à la fois par les Kurdes et par le gouvernement fédéral irakien. L'article 140 de la Constitution irakienne de 2005 prévoit que les régions disputées pourront décider sous quelle bannière elles se rangeront. Une question que le référendum prévu le 25 septembre compte bien éluder. « Ce sera durant cette journée que les habitants de la région du Kurdistan ainsi que ceux des zones disputées voteront pour dire s'ils acceptent l'indépendance », a indiqué la présidence.

 

(Lire aussi : Rojava, paroles de combattants étrangers)

 

« Jamais le bon moment »
« Il n'y aura jamais de bon moment pour poser la question du référendum sur l'indépendance du Kurdistan », rappelle Dlawer Ala'Aldeen, président du Middle East Research Institute (MERI) et ancien ministre de l'Éducation et de la Recherche scientifique du Kurdistan irakien (2009-2012), interrogé par L'Orient-Le Jour. Cette dernière n'a pu être mise sur le tapis tant que la guerre contre l'EI battait son plein. Avec la chute prochaine de Mossoul, « les Kurdes ont la volonté d'asseoir leurs gains face à l'EI et face à Bagdad, car ils ne veulent pas être les dindons de la farce », analyse Myriam Benraad, maître de conférences en sciences politiques à l'Université de Limerick (Irlande).

Les 4,6 millions de Kurdes irakiens soutiennent majoritairement l'idée d'indépendance. Si Erbil obtient un oui unanime au référendum de septembre, il devra ensuite gagner la reconnaissance des États, conformément au droit international. Toucher aux sacro-saintes frontières se révèle extrêmement périlleux. La légitimation de la création d'État sur des bases exclusivement ethnique et/ou religieuse ouvrirait la voie à d'autres revendications minoritaires, voire à une balkanisation de l'Irak ou de la région. « Les puissances occidentales insistent sur l'intégrité et l'unité de l'Irak », poursuit Dlawer Ala'Aldeen. « Il est peu probable que les Américains, qui ont pour premier partenaire le gouvernement de Bagdad, penchent en faveur d'une indépendance du Kurdistan », estime Myriam Benraad. « Je pense qu'il s'agit d'une démonstration de force de la part de Barzani », poursuit la chercheuse.

 

Réaction Ankara/Bagdad
Aucun pays de la région n'est clairement en faveur d'une indépendance du Kurdistan irakien. « Les pays arabes estiment que l'Irak doit rester arabe et fort face à l'Iran », rappelle l'ancien ministre kurde. « Si Ankara entretient actuellement des relations économiques avec les autorités du Kurdistan irakien, cela pourrait compliquer la donne en cas d'indépendance et une opposition turque mettrait sérieusement en péril la viabilité du futur État, dont le principal partenaire économique et allié stratégique est Ankara », précise Myriam Benraad. Le ministère turc des Affaires étrangères a estimé hier que le référendum prévu le 25 septembre prochain est une « terrible erreur ». « L'intégrité territoriale de l'Irak et son unité politique sont des principes fondamentaux de la politique irakienne de la Turquie », a déclaré le ministère. Le séparatisme kurde est une question sensible pour la Turquie, qui fait face depuis 30 ans à une insurrection séparatiste du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le sud-est du pays. Ankara craint aussi que le scénario se répète en Syrie avec les Kurdes du PYD (Parti de l'union démocratique).

Le gouvernement irakien a pour sa part déclaré qu'il rejetterait toute action unilatérale des Kurdes en vue de l'indépendance. « Aucune partie ne peut, seule, décider du sort de l'Irak, isolée des autres parties », a déclaré Saad al-Haddissi, porte-parole du gouvernement.
« Bagdad et Erbil savent que le divorce est inévitable, mais les termes et conditions sont inconciliables, voire impossibles », explique M. Ala'Aldeen, qui assure qu'il y aura de sérieuses négociations avec les autorités irakiennes.

Si le Kurdistan parvenait à son indépendance, malgré les nombreux obstacles qui se dressent sur son chemin, sa position géographique le confinerait davantage. Encerclé par quatre pays, l'Irak, l'Iran, la Turquie et la Syrie, le pays des Kurdes n'aurait en outre aucun accès à la mer. Ce qui pose notamment la question de la viabilité de l'État au niveau des ressources. « Si le Kurdistan devient indépendant, il a tout ce qu'il faut pour réussir », estime Dlawer Ala'Aldeen. Cependant, la région autonome fait aujourd'hui face à une situation économique difficile en raison de la baisse des prix du pétrole, sa principale source de revenus pour financer son administration. Le Kurdistan a ainsi suspendu à plusieurs reprises le paiement des salaires des fonctionnaires faute de liquidités suffisantes.

 

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