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Culture - Portrait

Ieva Saudargaitė, camélionne

La photographe éprise d'architecture élargit son champ d'action vers les arts visuels. Avec son court-métrage « Permission to Land »*, elle participe à l'édition 2017 de Video Works.

Autoportrait.

Pourquoi la blondeur demeure-t-elle synonyme de tiédeur, de retenue, de fragilité ? Pourquoi, au-delà du cliché des blagues qui les ba(na)lisent, on les pense forcément anges et chérubins, douces et froides, lointaines et dissimulées ? Ieva Saudargaitė, blonde de toujours, sans doute de par la Lituanie de sa naissance, démonte ces théories en un tour de main. Rien de peroxydé chez la jeune femme de 29 ans qui se dit artiste visuelle et refuse de s'arrimer à une discipline, même si la photographie reste sa profession officielle lorsqu'il faut en annoncer une. Rien de cendré chez celle qui se défend d'écrouer ses envies dans une case, leur préférant un destin papillonnant au cœur, à une époque pourtant fana d'étiquettes, et vacillant sans cesse entre sa caméra, l'architecture et l'art. Rien de vénitien chez cette fille qui a grandi à Abou Dhabi. Une fille aux yeux trop clairs pour dissoudre sa volonté de fer dans le jeu des compromis, aux mèches trop révoltées, comme un champ de blé affolé par la montée d'une bourrasque, pour laisser lisser ses désirs. Elle le formule ainsi : « Aujourd'hui, je sais bien ce que je ne veux pas (être). » Le ton est donné.

Partir à l'aventure
Mais avant d'aboutir à ces certitudes bétonnées, et malgré son allure de crawleuse ne courbant l'échine face à aucune tempête, Ieva Saudargaitė a mis du temps « à se chercher ». À l'enfance, la caméra que lui donne son papa ne sert qu'à coucher sa famille sous celluloïd ou sinon à fabriquer des ancêtres des selfies qu'elle poste sur les aïeuls des réseaux sociaux. La fillette, sur laquelle un ciel ensoleillé semble avoir déteint, se voulait archéologue ou astronaute avant « de pencher vers l'architecture, car ce métier s'apparente d'une certaine manière à la biologie. C'est un système qu'on construit et qui s'auto-alimente », explique-t-elle. Après avoir fait ses classes à la LAU, Ieva Saudargaitė suit le parcours traditionnel qui dit : diplôme en poche puis emploi. Sauf que « les heures de travail et les restrictions d'employée m'ont ramenée à mes années d'école qui annulent toute créativité », s'irrite encore celle qui claquera la porte sans se retourner. Traitant son appareil photo comme un sac à main qu'elle fait valser à tour de bras, elle profite de cet arrêt pour crapahuter dans les rues de Beyrouth, qui se dévoile sous ses yeux. Elle dit : « C'était comme partir à l'aventure, je prenais en photos les bâtiments qui me plaisaient. Puis une porte me menait à un escalier caché qui conduisait vers un autre immeuble. Je me demandais tous les matins qu'est-ce que j'allais bien pouvoir découvrir aujourd'hui. »

Son regard équerre et compas
Et de poursuivre : « Je n'ai jamais pris de cours. La suite est arrivée naturellement, Bernard Khoury a eu confiance en moi et a misé sur mon travail. Je me suis mise à documenter ses projets. » De fil en aiguille, Saudargaitė lime sa griffe et soigne sa photo, qui se nourrit essentiellement de l'architecture car « comme moi, elle n'est pas invasive », pense-t-elle. Sa méthode mêle modestie et exigence. Elle travaille simple, léger. Elle est là. Elle guette, repère. Ensuite, de son regard qui semble receler une équerre ou un compas tant il se veut précis et géométrique, la photographe a cette particularité d'organiser les lignes, de pourchasser la lumière et de tonifier les matières, réinventant le paysage en une esquisse d'architecture. « C'est mon côté technique », rit-elle. Ce qui impressionne surtout dans ces puzzles urbains que Saudargaitė affine au scalpel de son objectif épris d'exactitude, c'est sa lucidité, cette manière intuitive de dompter puis de donner vie à des structures a priori plates ou farouches. Une démarche de technicienne, un parti pris qu'elle revendique de la sorte : « Même lorsque je fais des portraits, comme pour ma série où je photographie des membres de la diaspora libanaise dans leurs intérieurs à l'étranger, je considère les gens comme des bâtiments. »

Ses poupées russes
Et si, par commodité, on imagine à la photographe des parentés avec ces poupée de porcelaine, sans doute pour son physique qui s'y prête, il faudrait surtout déboîter les poupées russes de sa personnalité pour faire craqueler le vernis et cerner cette jeune femme versatile aux appétences de caméléon, elle qui avoue : « Mes intérêts vont au-delà de la photographie et surtout des commissions commerciales. Voilà pourquoi je me considère comme artiste visuelle. »
De fait, en plus d'un projet de livre – prévu pour la fin de l'année – qui comportera une série de photos allant de Beyrouth à ses banlieues et sur lequel elle travaille avec Alexandre Medawar, Ieva Saudargaitė s'est organiquement vu élargir son champ d'action : elle a signé une intervention à Dalieh intitulée Thin White Line où elle a tracé (comme le nom l'indique) une ligne blanche, une sorte de frontière, muette et pourtant présente, qui déchire davantage cette zone en danger. Elle a également participé à la Beirut Design Week en concevant l'installation Nationmetrix en tandem avec l'architecte Roula Salamoun, soit « une manière de recréer l'expérience sensorielle du voyage d'un détenteur du passeport libanais », explique-t-elle. À la pile de projets qui se bousculent et que l'artiste détaille avec la gourmandise de ceux qui se découvrent de nouveaux talents, s'ajoute Permission to Land *, un court métrage qui fera partie des œuvres sélectionnées par la plateforme Video Works (initiée par Ashkal Alwan). Projeté ce soir et dimanche au Beirut Art Center, Permission to Land « explore les paysages libanais qui recèlent d'anciennes pistes de décollage, et aussi de se réconcilier avec une sorte d'impossibilité d'atterrir désormais ». Un thème qui sied bien à son besoin de grand air et que Ieva semble rassasier avec (Saudar)gaité.

 

* Permission to Land, court métrage de Ieva Saudargaitė , Projeté ce soir, vendredi 9 juin, à 20h35, et dimanche 11 juin à 19h dans le cadre de Video Words de Ashkal Alwan, au Beirut Art Center.

 

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