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Nos Lecteurs ont la Parole - Par Nicole HAMMOUCHE

Paysage de nos larmes

Croire ou ne pas croire? Telle est la question quasiment ontologique – du même ordre que la shakespearienne être ou ne pas être – que pose le spectacle Paysage de nos larmes du Collectif Kahraba. Croire ou ne pas croire? En Dieu ? On a tendance, surtout par les temps actuels, à assimiler la question à une question religieuse. C'est de croire en l'homme ou pas qu'il s'agit ici. Croire en l'homme ou croire en Dieu, c'est kif kif au final, si Dieu n'est pas assimilé au Dieu des grandes religions monothéistes. Croire en quelque chose... de plus grand que soi.
Au-delà de la mise en scène hypercréative du mythe de Job qui représente le juste dont la foi est mise à l'épreuve, c'est la nécessité de la poésie que rappelle ce spectacle. Et la nécessité d'exprimer. Car « toute parole qui n'est ni prononcée ni écrite n'est pas entendue », comme l'annonce très clairement d'emblée le texte. L'homme est le seul à croire en la poésie d'après Matei Visniec, l'auteur roumain de ce texte terrible servi par la voix de Roger Assaf et qui n'est pas loin de rappeler dans la torture et la cruauté La vingt-cinquième heure, imaginée par un autre Roumain, Virgil Gheorghiou, qui en est devenu célébrissime.
Heureusement qu'il y a les mythes pour nous éclairer un tant soit peu ; et la poésie, qui a rendu ce moment magique et la marionnette squelette si belle, surtout lorsqu'elle se mouvait sur l'impulsion de comédiens tout aussi présents que discrets. Les hommes se confondent avec la marionnette. N'y a-t-il pas aussi là quelque chose de symbolique ? Petits humains, mus par des forces obscures et autres, que nous avons peut-être parfois – rarement ? – le choix de suivre ou pas ? « Je crois en l'homme », répète à satiété cette marionnette décharnée.
Peut-être que ce collectif féru d'art, de poésie et d'engagement a-t-il choisi de s'appeler Kahraba parce qu'il n'y a plus de courant ; pour faire des étincelles. Ils font plus d'étincelles que l'EDL. Avec leurs spectacles, ils alimentent le courant. Avec leur poésie. Job est dans tous ses états mais le spectacle est beau. Cette fin de semaine a quelque chose de triste. C'est aussi le quarantième de Samir Frangié, un certain monde qui s'en va. Au cinéma, j'ai vu Nour, un film de chez nous : la violence du système patriarcal et le statu quo eu égard à la question du mariage des mineures comme tous ces statu quo auxquels nous nous accrochons urbi et orbi au risque d'imploser... Un autre genre de torture. Paysage de nos larmes. Violence sociale, familiale, conjugale et celle du silence ; mais Job continue à croire en l'homme.
On marche dans la rue Hamra à la sortie du théâtre avec Lina Abyad, metteuse en scène engagée ; plusieurs personnes nous suivent ou nous abordent successivement, pour certaines avec hésitation, pour d'autres avec plus d'audace. Hamra serait encore propice à la rencontre. Ils ont repéré Lina : des étudiantes en littérature arabe veulent la convier à un évènement ; un artiste syrien exilé qui arpente la rue a envie de s'entretenir avec elle, un jeune couple à T Marbouta la hèle. Ils ont soif de littérature, de théâtre. Ça rassure. Ils continuent à croire en l'homme. L'art est une fracture dans ce monde fracturé. Dans la fracture un peu de lumière
Il y a les tenants de « l'homme est un loup pour l'homme », Hobbes qui saute aux esprits dans la salle obscure; les tenants de Rousseau, l'homme bon par nature, corrompu par la société, et puis les tenants de la poésie. Sans celle-ci, la condition humaine serait insupportable.
« Sans savoir pourquoi / J'aime ce monde / Où nous venons pour mourir » (haiku japonais, Natsume Soseki). Et pour ceux que la réponse par l'affirmative quant à croire en l'homme titille : « Ne crains pas les illusions, c'est déjà sur elles que le monde repose » (Tite Kubo).

 

Croire ou ne pas croire? Telle est la question quasiment ontologique – du même ordre que la shakespearienne être ou ne pas être – que pose le spectacle Paysage de nos larmes du Collectif Kahraba. Croire ou ne pas croire? En Dieu ? On a tendance, surtout par les temps actuels, à assimiler la question à une question religieuse. C'est de croire en l'homme ou pas qu'il s'agit ici. Croire en...

commentaires (1)

Très beau texte, merci

M.E

23 h 58, le 28 mai 2017

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Commentaires (1)

  • Très beau texte, merci

    M.E

    23 h 58, le 28 mai 2017

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