Cet art de l’ellipse que Paul Guiragossian maîtrisait si bien...

La galerie Tanit prête ses cimaises à la collection de la famille Tabbal*. Une trentaine d'œuvres de Paul Guiragossian (1925-1993), essentiellement des aquarelles de petites dimensions, abstraction faite de trois grandes peintures à l'huile, que feu Gabriel Tabbal, galeriste et encadreur, avait acquises à la fin des années quatre-vingt directement de la main du maître. Et pour cause, il avait exposé Guiragossian à deux reprises, en 1987 puis en 1988, dans sa galerie de Jeïtaoui. En témoignent les coupures de presse et les photos des vernissages de l'époque affichées sur l'un des murs de l'actuelle exposition (incluant, notamment, les comptes rendus de deux plumes de L'OLJ, May Makarem et Edgar Davidian).
Trente ans plus tard, les héritiers du galeriste dévoilent cet ensemble au public, par le biais d'une exposition-vente qui se tient jusqu'au 26 mai, dans le cadre spacieux de la galerie de Naïla Kettaneh Kunigk à Mar Mikhaël.

Ce qui est intéressant dans cet accrochage, c'est l'éclairage qu'il porte sur l'art de l'ellipse chez Paul Guiragossian. Cette capacité qu'il avait de synthétiser en quelques touches de couleurs, en quelques aplats nets et précis, une idée ou une vision qu'il voulait reproduire sur la toile. Et de la transmettre tout aussi clairement au public. Une virtuose économie de moyens perceptible de manière encore plus appuyée dans ses petites aquarelles sur papier moins connues du grand public que ses grandes huiles à la texture dense tant recherchées par les (nombreux) amateurs de l'artiste.

Parfaite, sinon déchirée

Parmi les petites pièces présentées à la galerie Tanit, certaines sortent du lot des thèmes habituels facilement identifiables du peintre – la famille, la maternité, les vierges ou les groupes de personnages – pour aborder un paysage architectural ou encore des formes que l'on dirait démembrées. « Elles sont importantes parce qu'elles témoignent d'un plus large champ d'intérêt de l'artiste », signale Naïla Kettaneh Kunigk. La galeriste, qui a elle-même sélectionné les peintures exposées, affirme avoir été « particulièrement séduite par la qualité des aquarelles. Elles sont issues d'une belle période chez Paul Guiragossian, où on le sent très à l'aise avec ses formes et sa palette de couleurs ». Une période de gestation féconde, semble-t-il, puisqu'elle aboutira à ces fameuses années 1989 à 1991, au cours desquelles, dit-on, il a peint la majeure partie de ses chefs-d'œuvre.

« J'ai souvent accompagné mon père lorsqu'il se rendait à l'atelier de Paul Guiragossian. J'ai ainsi eu l'occasion de le voir travailler », indique, pour sa part, Laurent Tabbal, l'un des fils du galeriste-encadreur. « La dextérité et la rapidité de son coup de pinceau étaient impressionnantes. Il exécutait une aquarelle en deux temps trois mouvements. Cela lui prenait à peine quelques minutes. Ensuite, il l'examinait. S'il en était satisfait, il la signait. Sinon, ce perfectionniste la déchirait sur-le-champ. C'est pour cela qu'il est très difficile de trouver une œuvre de Paul Guiragossian qui ne soit pas aboutie », assure-t-il.
En témoigne cette exposition qui offre une perception renouvelée de la maîtrise du pinceau de cette figure majeure de l'art moderne libanais.

* Galerie Tanit, Mar Mikhaël
Près EDL. Jusqu'au 26 mai, du lundi au vendredi, de 11h à 19h. Tél. 76-557662.