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Nos Lecteurs ont la Parole - par G. SEROF

Les puissants et les passants

Connaître son pays est utile. Tenir compte de l'enseignement de son histoire ne l'est pas moins. Perpétuer l'injustice souvent présente dans le passé est condamnable.
Sans remonter au déluge, on peut noter que du temps de l'Empire ottoman, sur les terres agricoles du littoral libanais, Issam, Mahmoud et Maroun plantaient et récoltaient paisiblement laitues, concombres et aubergines. À l'intérieur du pays, dans les champs et sur les terrasses cultivées, les sujets de la Sublime Porte se construisaient des maisonnettes en pierre locale couvertes d'un toit en terre battue. Pour ceux dont les affaires étaient prospères, ce furent des maisons plus élaborées qu'ils s'érigèrent autour des places de villages. Dans les villes, le commerçant et le bourgeois construisirent de petits immeubles bien alignés le long des rues sommaires et des résidences au milieu des jardins.
Ce furent les Ottomans qui percèrent les premières voies à la fin de leur règne. À Beyrouth, les puissances mandataires continuèrent la besogne. Ces routes n'avaient d'autre justification que d'affirmer l'autorité. Plus exactement, avec les grands axes, ils pensaient empêcher, ou éventuellement réprimer toute révolte contre le pouvoir ; les boulevards et les corniches ceinturant la ville dans le même but. Côté mer, des voies côtières, fortuitement ou intentionnellement allez donc le savoir, les terres devinrent constructibles. Plus grave, les plages sablonneuses de Ramlet el-Baïda, le glacis rocheux et la crête des falaises bordant le site unique de la Grotte aux pigeons également. Les puissants de l'époque, nos visionnaires à nous, n'ont pas tardé à acheter ces terres, conscients que dans peu d'années elles deviendront les «prime land » de cette partie de Beyrouth.
Cependant, c'est aux premiers jours de l'indépendance que les choses prirent une mauvaise tournure. Les nouveaux chefs d'État de la jeune République, de connivence avec les puissants propriétaires terriens, encouragèrent la promulgation d'une loi autorisant la construction sur la moindre parcelle de terrain, sur l'ensemble du pays. Et ce, en stricte application des premiers termes de la Constitution instituant l'immuabilité de la propriété privée. Les sites naturels qui se comptent sur les doigts d'une main furent protégés par des restrictions dérisoires.
Dans le même temps, les puissants, quelques-uns d'entre eux devenus députés ou responsables officiels, s'ingénièrent à promulguer pour Beyrouth un zoning décuplant les taux d'exploitation des parcelles, condamnant d'une manière définitive les dernières constructions à valeur patrimoniale, les espaces verts et le bord de mer. La marchandise « terrain à construire » ainsi bien exposée sur les étals du marché foncier ne laissant aucune chance de survie à la nature et l'environnement.
Au vu du chaos ambiant, les polémiques actuelles sur l'opportunité de conservation ou de démolition de telle construction ancienne ou de tel édicule rescapé du siècle passé sont pitoyables. Le citoyen ordinaire, devenu passant dans son propre pays, n'a même plus la possibilité de se comporter en piéton sur la voie publique, rendue impraticable par les obstructions de toutes sortes. Aujourd'hui, ayant perdu tout ce à quoi il était attaché, il ne trouve plus aucune raison de continuer à y vivre, et la tentation de le quitter définitivement devient obsessionnelle. Il constate qu'il n'est plus qu'une quantité négligeable dans le jeu des puissants promoteurs immobiliers qu'un conseil municipal consacré à perpétuer la fonction historique de remplissage des caisses de cette administration appuie servilement. Les nouveaux occupants des immeubles neufs sont occupés maintenant par des réfugiés argentés venant de pays voisins que d'autres prédateurs ont mis à feu et à sang pour assouvir leur soif de richesse et de pouvoir.
Où se cache donc chez nous l'homme fort, pas nécessairement puissant, capable de restituer au passant libanais le minimum de vue sans obstruction sur la mer, ses parents continuant de relever qu'elle est toute proche ?

Connaître son pays est utile. Tenir compte de l'enseignement de son histoire ne l'est pas moins. Perpétuer l'injustice souvent présente dans le passé est condamnable.Sans remonter au déluge, on peut noter que du temps de l'Empire ottoman, sur les terres agricoles du littoral libanais, Issam, Mahmoud et Maroun plantaient et récoltaient paisiblement laitues, concombres et aubergines. À...

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