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Moyen Orient et Monde - Société

Excisée, « je savais que je n’étais pas comme les autres femmes »

Si le nombre de mutilations génitales féminines a globalement baissé dans le monde, elles continuent à faire des millions de victimes chaque année.

Une jeune réfugiée malienne devant une affiche de prévention contre l’excision. Éric Gaillard/Reuters

« Je n'ai aucun souvenir de mon excision », souffle Fatoumata Ibrahim Samake, coordinatrice du plan de lutte contre l'excision au Mali avec l'ONG Plan international. « Au Mali, les mutilations génitales féminines (MGF) sont généralement effectuées dans les quarante jours suivant la naissance. » À 35 ans, la jeune femme doit supporter à vie et contre son gré les séquelles physiques et psychologiques de cette pratique culturelle traditionnelle. Malgré la lutte acharnée des associations pour sensibiliser les populations aux dangers liés aux MGF, le phénomène persiste. Dans le bulletin mensuel de l'Institut national d'études démographiques (INED) publié ce mois-ci dans Populations et sociétés, les démographes Marie Lesclingand et Armelle Andro soulèvent une baisse générale de la pratique, mais le processus d'éradication se révèle lent. Selon l'Unicef, près de 200 millions de femmes et de fillettes auraient subi en 2016 des MGF, originaires en majorité des continents africain et asiatique. L'Indonésie, l'Éthiopie et l'Égypte rassemblent à elles seules près de la moitié de ces femmes. Selon les pays, les formes de mutilations génitales ne sont pas toutes les mêmes et sont plus ou moins invasives. Elles peuvent aller de l'ablation du clitoris, des petites et grandes lèvres à l'infibulation, qui consiste à rétrécir l'orifice vaginal et à coudre les lèvres. Cependant, si les MGF sont particulièrement concentrées dans ces régions du monde, elles n'y sont pas pour autant limitées. Le phénomène s'est mondialisé, l'Europe et les Amériques étant également concernées.

L'exclusion du marché matrimonial
Toujours considérées « comme une fierté » par les familles, selon Fatoumata Ibrahim Samake, les croyances et les idées reçues sur l'appareil génital féminin continuent de se perpétuer de génération en génération : il est impur et les MGF permettent de rendre la femme plus belle et plus féconde, tandis que le clitoris est diabolisé et porteur de mauvaise chance. Les conséquences pour les fillettes sont traumatiques. « Mes règles étaient extrêmement douloureuses, je ne pouvais pas aller à l'école, se souvient Mme Samake. On me donnait quelques calmants en me disant que la douleur passerait une fois que je serai mariée. Il ne fallait rien dire et supporter la souffrance. » Pendant de longues années, la jeune femme se renferme sur elle-même, souhaitant seulement être une femme « normale ». « Je savais que je n'étais pas comme les autres femmes », se remémore-t-elle.
Alors que les MGF symbolisaient le passage des jeunes filles à la puberté, « la dimension rituelle a disparu » aujourd'hui, souligne Marie Lesclingand à L'Orient-Le Jour. Suite à la médicalisation de la pratique prônant la baisse des risques sanitaires, l'âge des fillettes subissant des excisions a lui aussi diminué. Nombre d'entre elles sont désormais excisées avant l'âge de dix ans, voire cinq ans. Beaucoup justifient la pratique par des motifs religieux, et pourtant « il n'existe pas de lien clair entre MGF et religion », soulignent Armelle Andro et Marie Lesclingand. Si l'origine des MGF est incertaine, il apparaît que la pratique remonte à l'Égypte antique « c'est-à-dire largement avant l'expansion de l'islam », écrivent les démographes. En parallèle, différentes instances religieuses chrétiennes et musulmanes ont dénoncé les MGF. À titre d'exemple, la plus haute autorité musulmane sunnite de référence, al-Azhar, a fermement condamné la pratique en 2007 par le biais d'une fatwa.
C'est donc majoritairement le poids des normes sociales qui a ancré les MGF dans les sociétés africaines et orientales, quel que soit le bagage religieux, constate Marie Lesclingand. « Même si les parents ne veulent pas pratiquer d'excision sur leur fillette, c'est un risque de ne pas faire comme tout le monde, déplore la démographe. Dès lors, ils excluraient leurs filles du marché matrimonial. » Ainsi, les MGF sont notamment répandues dans les milieux ruraux et économiquement pauvres. Le brassage communautaire urbain permet aux jeunes femmes de se distancier tant géographiquement que culturellement des zones où la pratique des MGF est la plus prégnante. « Le problème est aussi générationnel, ajoute Marie Lesclingand. Les grands-parents ou les tantes emmènent les fillettes chez l'exciseuse malgré le refus des parents. »

Les ONG, forces motrices de la lutte
Pourtant, l'arsenal juridique pour permettre de sanctionner aux niveaux interne et international existe dans la plupart des pays concernés. La plupart des pays africains ont ratifié la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discriminations à l'égard des femmes. Plusieurs pays africains sont également parties à la convention sur les Droits de l'enfant. En 2012, l'Assemblée générale des Nations unies a par ailleurs reconnu les MGF comme des violations des droits humains, d'atteintes aux droits des femmes et s'est prononcé pour leur éradication. Des lois existent également au niveau interne. Entre autres, l'infibulation est interdite au Soudan tandis que l'excision est passible de peine de mort au Kenya. L'Indonésie, premier pays touché par les MGF, a de nombreuses fois changé d'avis sous le coup des pressions religieuses. Subordonné au consentement de la personne concernée, les parents peuvent effectuer une MGF s'ils le souhaitent, mais sont encouragés à le faire par « un agent qualifié », l'État ne marquant pas d'interdiction claire de la pratique. Malgré l'existence de ces législations, elles sont insuffisantes pour dissuader les populations de recourir aux MGF. « Il n'y a pas de véritable volonté politique et juridique assez forte pour les appliquer », observe Marie Lesclingand.
Les ONG sont les forces motrices de la lutte, éduquant des femmes et des hommes sur les dangers des MGF. « Notre travail se base sur une approche communautaire, indique Mme Samake. Nous voulons assurer une relation de confiance et nous négocions directement avec les chefs de village, sensibilisons et formons les membres des communautés pour protéger les fillettes. » Le processus s'est révélé très long, beaucoup voyant en ces organisations un discours occidental hégémonique. « Continuer la pratique peut être perçu un peu comme un moyen de résistance postcoloniale », analyse Marie Lesclingand. Mais le travail des ONG a fini par payer. « Beaucoup de chefs de village ont interdit les excisions suite à nos missions, se félicite Mme Samake. Une pratique culturelle peut disparaître avec le temps, note Isabelle Gillette-Faye, sociologue et directrice de la fédération GAMS (Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles féminines et des mariages forcés). Mais avec la médicalisation de la pratique, il faut revoir nos stratégies et combiner les méthodes de sensibilisation. »
De nombreuses victimes de MGF choisissent de se joindre à ces organisations sur le terrain pour empêcher de nouvelles fillettes de subir la même chose qu'elles. « Certaines femmes vivent très mal la MGF, sombrent dans la dépression et vont même jusqu'au suicide, regrette Mme Gillette-Faye. D'autres sont résilientes et se voient comme des survivantes. Elles se guérissent de leur mal en aidant d'autres femmes. » C'est le cas de Fatoumata Ibrahim Samake, qui a voulu s'engager pour briser le tabou et éviter aux femmes de souffrir en silence. « Mon engagement dans la lutte contre les MGF m'a aussi permis de mieux comprendre ce qui m'était arrivé », déclare-t-elle. Si grâce à son investissement et à son partenaire, Mme Samake est désormais en paix avec elle-même, son combat avec ses vieux démons n'est pas pour autant terminé. « Je veux avoir des enfants, mais j'ai encore une très grande peur installée en moi », confie-t-elle. Les accouchements pour les femmes excisées sont extrêmement douloureux, pouvant provoquer des déchirements au niveau de l'appareil génital et des risques d'hémorragies mortelles. « Nous en parlons beaucoup avec mon partenaire, c'est ma façon de m'y préparer mentalement », dit-elle. Sa future fille, elle, ne subira pas de MGF. « Elle n'aura pas à vivre avec les mêmes peurs que moi », assure Fatoumata Ibrahim Samake.

« Je n'ai aucun souvenir de mon excision », souffle Fatoumata Ibrahim Samake, coordinatrice du plan de lutte contre l'excision au Mali avec l'ONG Plan international. « Au Mali, les mutilations génitales féminines (MGF) sont généralement effectuées dans les quarante jours suivant la naissance. » À 35 ans, la jeune femme doit supporter à vie et contre son gré les séquelles...

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