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Moyen Orient et Monde - reportage

« Tu sais, moi, ce que j'aimerais ? Que le ministère de l'Intérieur fournisse des armes aux coptes »

Après l'attentat-suicide qui a coûté la vie à 17 personnes à l'église Saint-Marc en Alexandrie, les coptes célèbrent la semaine sainte dans un climat tendu et dans la douleur.

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le pape copte-orthodoxe Tawadros II, hier, au siège papal au Caire. The Egyptian Presidency/Handout via Reuters

Alexandrie a presque retrouvé son allure habituelle. Les vendeurs de ballons colorés ont repris leur poste sur la corniche, les vieillards ont ressorti leurs chichas en terrasse pour jouer au tric-trac et les sifflements de jeunes ados se font de nouveau entendre au passage des filles. Mais au détour d'une rue animée : « Désolé, vous n'êtes pas autorisé à entrer dans ce périmètre, vous devez être muni d'une autorisation de la Direction de la sécurité centrale », lance un officier en barrant le passage, tenant son talkie-walkie qui crépite.

Le secteur de l'église Saint-Marc, touchée par l'attentat-suicide qui a fait 17 morts et une quarantaine de blessés le dimanche des Rameaux, est entièrement bouclé. Des policiers en armes forment de longs cordons de sécurité : seuls les fidèles habitués des lieux ont le droit de se rendre à la messe, et les habitants vivant près de l'édifice religieux sont minutieusement fouillés à chacun de leurs déplacements.
Fady et sa famille vivent de l'autre côté du barrage : « Désolé, seul mon père est autorisé à sortir de la maison pour aller travailler, on ne peut pas se parler », s'excuse-t-il.

De nombreux secteurs de la ville ont aussi été fermés : des mesures qui s'appliquent à tous les quartiers où se trouvent des églises dans les grandes villes du pays. « Les forces armées et la police font tout le nécessaire pour affronter la menace du terrorisme. Des mesures sont prises pour maintenir la sécurité à travers tout le pays, protéger les espaces publics et privés, et la vie des citoyens », rassurait le président Abdel Fattah al-Sissi au lendemain des attaques.

(Lire aussi : À travers les coptes, l’EI cherche à diviser l’Égypte)

 

Déploiement massif de police
À la suite du double attentat visant la communauté chrétienne en Alexandrie mais aussi à Tanta, Abdel Fattah al-Sissi a déployé en urgence des forces de police devant tous les lieux de culte et décrété l'état d'urgence pour trois mois. Mercredi, le ministère de l'Intérieur égyptien annonçait avoir arrêté une vingtaine de suspects soupçonnés de complicité dans les attentats et tué 7 hommes qui s'apprêtaient à commettre de nouvelles attaques contre des églises. Malgré un dispositif de sécurité renforcé, certains diocèses, notamment en Haute Égypte, ont toutefois décidé d'annuler les célébrations de Pâques. « Étant donné les circonstances que le pays et l'Église doivent affronter, les festivités se limiteront à de simples prières », ont ainsi fait savoir plusieurs archevêques.

En pleine semaine sainte, pour les coptes, il faut jongler entre des sentiments contradictoires : la peur, la peine, le recueillement, mais aussi une confiance perdue dans les autorités. « C'est une bonne idée d'avoir réinstauré l'état d'urgence, assure Gabriel, mais c'est un peu trop tard pour cela maintenant. Il y a de nombreux manquements de la part de la sécurité, dans toute l'Égypte, pas seulement dans notre église. Il n'y avait pas assez de police dimanche dernier. Et la plupart du temps, même quand elle est présente, ça ne l'intéresse pas de faire son boulot : les policiers s'en fichent, ils préfèrent passer leur temps à reluquer les femmes », lâche-t-il désinvolte. « Tu sais, moi, ce que j'aimerais ? Que le ministère de l'Intérieur fournisse des armes aux coptes, qu'on puisse nous défendre nous-mêmes, on ne veut rien devoir à la police. »

Une colère partagée par Peter. Ce chauffeur de microbus était présent aux funérailles qui se sont tenues le lendemain du drame dans le monastère de Saint-Mina (à l'extérieur d'Alexandrie) : « Là-bas, la sécurité était impressionnante, il y avait des chiens policiers, des équipements pour détecter les explosifs, c'était très bien protégé, explique-t-il, on est capable d'avoir de tels dispositifs, alors pourquoi c'est arrivé ? S'ils avaient été appliqués avant, tout ça aurait pu être évité. »

 

(Lire aussi : Face au pape copte, Sissi promet de traquer les responsables des attentats)

 

Fatalisme
Chose inhabituelle dans un pays où la répression du régime laisse peu de place à la critique, la colère au sein de la communauté copte à l'encontre des autorités égyptiennes gronde, comme un larsen en fond sonore qui devient de plus en plus gênant. « On a eu trois attaques en l'espace de quatre mois, avec un procédé identique », rappelle Mina Thabet, chrétien et militant pour les droits des minorités en Égypte. « Le plus effrayant, c'est que le phénomène gagne en importance et il semblerait que les persécuteurs puissent faire leurs plans et les exécuter sans difficulté. Ils peuvent s'attaquer à la plus grande cathédrale du Caire puis à une église dans laquelle le pape Tawadros II était en train de prier. Je suis entré aussi à Tanta après le drame, on aurait dit un abattoir... C'est un échec total des forces de sécurité, s'énerve-t-il. Comment des bombes peuvent encore rentrer dans des églises, comment des explosifs peuvent circuler dans de grandes villes ? Comment ces terroristes peuvent-ils arriver à leurs fins alors qu'on sait tous quelles sont les violations perpétrées contre la population innocente dans ce pays, sous prétexte de guerre contre le terrorisme ? »

Georges a perdu son père ce jour-là. Employé dans une compagnie d'eau, l'homme était en congé pour le dimanche des Rameaux, mais avait accepté de garder l'entrée de l'église Saint-Marc face à un manque d'effectifs policiers criant qui inquiétait les responsables religieux. « Mon père a fait de son mieux, le gouvernement a fait de son mieux... mais pour l'amour de Dieu, je ne veux blâmer personne, il y a sûrement eu des erreurs de faites, mais tout ça c'est la volonté de Dieu, affirme le jeune homme. Dieu a choisi d'en faire un martyr, et de toute façon, nul ne peut nous protéger. »

Face à la douleur et l'incompréhension, les coptes se réfugient massivement dans la glorification de leurs morts. « Même dans mes plus beaux rêves, je n'aurais pas imaginé recevoir l'honneur d'avoir un martyr dans ma famille. Je suis fière de porter ma tristesse. À chaque fois qu'ils nous font ça, ils nous rendent encore plus fiers de notre peuple », explique aussi cette femme qui vient de perdre son mari. À ses côtés, son beau-père essuie les larmes qui coulent sur ses joues : « Les responsables de ces attaques sont des ignorants, qu'est-ce qu'on peut faire contre ça ? Que Dieu leur pardonne... »

 

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commentaires (2)

UNE CONFEDERATION PLUTOT...

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 27, le 15 avril 2017

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Commentaires (2)

  • UNE CONFEDERATION PLUTOT...

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 27, le 15 avril 2017

  • S'armer face aux extrémistes équivaudrait à tomber à leur niveau. De même que les ténèbres ne peuvent être vaincues que par la lumière, la haine ne peut être vaicue que par l'amour. Aimons-nous les uns les autres. Et joyeuses Pâques à tous.

    Gros Gnon

    15 h 38, le 14 avril 2017

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