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Nos Lecteurs ont la Parole - par Karim DAHER

La face cachée du budget

Crédit Bigstock

Beaucoup d'encre a coulé et d'innombrables slogans brandis... souvent à raison, mais parfois aussi à tort. Le budget 2017 s'est vu affublé de tous les adjectifs et ses initiateurs de tous les noms... mais encore ! L'essentiel reste encore invisible aux yeux des citoyens. Certains instigateurs ont sciemment voulu maquiller le « crime » de la privation de droits par le fard de la hausse des impôts et taxes jetée en pâture à la foule... mais la magie a fini par se retourner fort heureusement contre eux. Le débat est désormais sur la place publique et le lynchage des textes ne va pas tarder à englober l'ensemble.
Pour être plus explicite, commençons par rappeler à ceux qui l'ont oublié que la loi de finances (ou budget) est supposée déterminer annuellement les ressources et les charges de l'État et se résume généralement en une double fonction de prévision et d'autorisation. Elle a pour corollaire aussi l'établissement d'une loi de règlement qui arrête le montant définitif des recettes et des dépenses budgétaires de l'année qui précède ainsi que le solde budgétaire d'exécution, et ce pour permettre le double contrôle de l'action de l'exécutif par le Parlement. Cette loi comprend en principe une politique budgétaire qui consiste en un ensemble de mesures visant à agir sur la conjoncture économique, sociale et politique du pays... au sens positif du terme, bien entendu. Or force est de constater que, depuis plus d'une décennie, nous n'avons ni budget, ni loi de règlement, ni politique budgétaire. Nous n'avons qu'un bolide sans freins qui dévale à toute allure la pente en espérant retrouver une plateforme lisse pour freiner son élan de folie.
Mais bien plus que ça, nous assistons pour chaque élaboration d'un projet de budget à la prolifération de textes et à l'insertion de mesures qui lui sont étrangères. La formulation utilisée généralement pour les désigner est celle des « cavaliers budgétaires ». En effet, la pratique de la « cavalerie budgétaire » consiste à glisser dans la loi de finances annuelle certaines dispositions qui n'ont rien à voir avec l'équilibre économique et financier des comptes de l'État, en profitant du battage médiatique qui entoure le vote de ce texte particulier. De la sorte, elles auront bien plus de chances d'être acceptées sans susciter d'oppositions ou de réactions négatives aussi bien de la part des citoyens que de la part de ceux qui sont supposés les représenter et qui sont peu enclins à s'attarder sur la lecture du millier de pages que forme le projet de budget, à l'exception bien sûr des dotations de dépenses les intéressant directement. Dans le budget 2017, ces dispositions sont légion et se répartissent en trois groupes. Le premier porte sur la modification du code des procédures fiscales afin, d'une part, de supprimer le délai de prescription pour le recouvrement des impôts (à ne pas confondre avec le délai de contrôle et redressement), et d'autre part, afin de modifier les procédures de notification qui se font actuellement par avis adressé, par lettre recommandée avec accusé de réception, au principal domicile ou siège du notifié, et que le fisc se propose de remplacer par un simple envoi de fax ou de courriel. Ce qui laissera, à l'évidence et dans les deux hypothèses, le contribuable et ses héritiers éventuels dans l'incertitude la plus totale et affectera la stabilité juridique de leur situation, les privant au passage du droit le plus élémentaire de défense grâce au recours par opposition dont le délai est limité dans le temps.
Ces mêmes mesures prévoient aussi de subordonner la récupération de tout taxe ou impôt perçu indûment par l'administration à la menace de mettre le dossier du requérant sur la liste des dossiers à contrôler et à redresser. Bien que le motif à la base de cette mesure soit louable, étant donné qu'elle vise à lutter contre les fraudeurs et autres « sociétés taxis » facturant et récupérant illégalement la TVA, il n'en demeure pas moins vrai que le fait de la généraliser à tous les contribuables sans distinction constitue un vrai chantage et un excès de pouvoir arbitraire. D'autres mesures encore visent à réévaluer la valeur locative des biens-fonds bâtis immobiliers et à limiter la période de vacance à 6 mois tout au plus pour les simples particuliers. Ce qui revient en clair pour un propriétaire expatrié par exemple à payer un impôt direct (et non une taxe foncière dévolue aux collectivités) sur un appartement qu'il possède et qu'il ne loue pas. Le troisième groupe enfin comprend des mesures éparses inappropriées pour certaines dans le contexte économique actuel, comme celle par exemple qui prône l'augmentation de l'impôt forfaitaire des sociétés offshore à cinq millions de livres libanaises et la suppression concomitante de certains de ses avantages fiscaux ; quand bien même le Liban est dans l'obligation de retenir ou d'attirer les investisseurs libanais expatriés ou étrangers désirant profiter des optimisations fiscales tolérées afin de booster sa croissance. Tout en précisant par comparaison que les offshores chypriotes, émiratis ou même américains (Delaware) bénéficient eux d'une exemption totale.
Il y a aussi les mesures tendant à étendre les pouvoirs du ministère des Finances et qui donnent le droit, à titre d'exemple, au ministre de définir seul les modalités d'application de certains textes adoptant de nouveaux impôts, ou celui d'obliger discrétionnairement certains contribuables à retenir l'impôt sur les paiements faits à d'autres contribuables en contrepartie de services ou de transactions. Il y a enfin la mesure complémentaire à la hausse de l'impôt sur les dépôts bancaires (5 à 7 %) et qui vise, d'une part, à priver les entreprises soumises au régime du bénéfice réel du droit à la récupération de cet impôt pour éviter la double imposition, et d'autre part, à obliger les professions libérales à intégrer les revenus financiers déjà imposés dans la base de calcul de leur revenu professionnel soumis à l'impôt progressif et donc de subir le passage aux tranches supérieures. Concernant ce dernier point et en dépit du fait qu'il nous rapproche de l'impôt général sur le revenu plus juste et plus équitable, il n'est applicable qu'à une catégorie précise de contribuables et en exempte d'autres, tels que les fonctionnaires ou les salariés. Ce qui constitue en soi une atteinte au principe d'égalité devant l'impôt consacré par la Constitution.
Ceux-là ne sont que quelques exemples d'une pléiade de dispositions ou mesures parsemées dans le budget 2017 (ou insérées dans le projet de financement de la grille des salaires) et soumises au vote d'élus sans mandat ; mais qui, en cas d'adoption, risquent d'affecter durablement nos droits et la stabilité économique du pays déjà mise à mal par la mauvaise gouvernance. Le palliatif ? Un budget avec une vision claire et innovante articulée sur des missions et programmes liant le gouvernement par une obligation de résultat annuelle et débouchant sur des réformes consensuelles. Ceci passe nécessairement par l'information, car le savoir est le préalable nécessaire au vouloir... Il restera la moitié du chemin à parcourir vers le pouvoir.

Beaucoup d'encre a coulé et d'innombrables slogans brandis... souvent à raison, mais parfois aussi à tort. Le budget 2017 s'est vu affublé de tous les adjectifs et ses initiateurs de tous les noms... mais encore ! L'essentiel reste encore invisible aux yeux des citoyens. Certains instigateurs ont sciemment voulu maquiller le « crime » de la privation de droits par le fard de la hausse des...

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