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Liban - En toute liberté

La babélisation de la société

La violence terroriste envahit progressivement le monde entier. Nous sommes au cœur d'une « troisième guerre mondiale », qui ne dit pas son nom et dont les épisodes sont fragmentaires. Le pape l'a dit d'abord. La formule a été reprise récemment par Donald Trump aux États-Unis et par Michel Aoun.

Le Liban, les États-Unis, la France, l'Allemagne et bien d'autres pays encore sont engagés sur les différents fronts d'une même guerre dite « asymétrique », dont les « lieux » sont des « États de violence » plutôt que des territoires bien définis, avec des épisodes de fronts classiques, comme aujourd'hui en Syrie, en Irak, au Yémen, en Afghanistan, au Mali et ailleurs.

Si des raisons économiques justifient la construction d'un mur entre les États-Unis et le Mexique, il ne fait pas de doute que c'est cette « guerre asymétrique » qui a conduit Donald Trump à prendre ses récentes mesures discriminatoires à l'égard des migrants en provenance des sept pays à prédominance musulmane.

Le président Trump aurait pu, en signant ses décrets, ménager, au moins en paroles, ceux qui allaient être lésés et démoralisés par ces mesures, ceux qu'elles laissaient consternés. C'est une question d'urbanité, de civilité, de savoir-vivre, on peut appeler ça comme on veut. « C'est une mesure temporaire, aurait-il pu avertir. Nous examinons de nouveaux moyens de vérifier que les immigrants – et nous sommes un peuple d'immigrants – ne viennent pas nous terroriser. » Mais non, au lieu de cette approche douce, il a signé un décret comme on donne un coup de poing. C'était presque de la violence.

Les autres, ceux-là que la mesure a offusqués, auraient pu, eux, essayer de comprendre, au lieu de déchaîner leurs médias ad nauseam, au lieu de déverser sur le nouveau président ce torrent de vilenies et d'ordures qui marque l'hégémonie absolue des médias sur l'opinion. Essayer de comprendre et de corriger au besoin – comme la justice a su le faire – plutôt que de donner libre cours à une animosité révoltante qui fait mal d'abord aux Américains eux-mêmes.

Un ressort a craqué. C'est évident. Ce torrent de haine rappelle irrésistiblement la chanson de Bob Dylan, A hard rain's a-gonna fall, que Patti Smith a chantée à Oslo, lors de la remise du prix Nobel de littérature, pour consoler la cour royale de Suède de l'absence du chanteur. La pluie annoncée dans cette chanson des années 60, certains l'ont comprise comme un holocauste nucléaire. Elle peut aussi être celle du désordre, du chaos et de la violence dont les États-Unis nous ont donné une image.

Effectivement, dans la seconde moitié du XXe siècle, on a frôlé une guerre nucléaire lors de la crise des missiles qui avait opposé les États-Unis à l'URSS. Par miracle, cette guerre avait été évitée. Mais le désordre mondial, l'holocauste social, lui, n'a pas été évité. Il fait la « une » des journaux tous les jours. Avec l'investiture de Donald Trump, nous avons vécu un échantillon de la babélisation de la société américaine. Ce sera bientôt, avec le développement des moyens de communication sociaux, celui de toutes les sociétés. Tout le monde parle à la fois, sans que personne ne comprenne l'autre.

Comprendre l'autre signifierait organiser la société de telle façon que l'autre ait toujours l'occasion d'expliquer pourquoi son opinion diffère de la nôtre. Au lieu de quoi, nous sommes submergés tous les jours par un torrent de haine, de mépris, d'ignominie, de diabolisation d'autrui. Et chaque pays a son lot de discours haineux. Au Liban, c'est Hassan Nasrallah qui nous sert les plus virulents, prenant pour cibles Israël et l'Arabie saoudite.

En fait, sur un plan global, nous assistons à une véritable apocalypse, c'est-à-dire au sens propre à une « révélation », à ce que Nicolas Berdiaev – qu'on me pardonne de citer ce philosophe toutes les fois que j'ouvre la bouche – appelait « une sanction de l'histoire sur l'histoire », l'effondrement d'un système. Aux États-Unis comme au Liban, comme en France et ailleurs, quelque chose ne fonctionne plus. La machine se dérègle et s'emballe, et nul ne sait sur quel bouton presser pour couper le moteur.

Au président Trump comme au président Aoun, comme à tous les dirigeants du monde, il faut rappeler que la réponse à la grande menace jihadiste qui a précipité la crise actuelle ne se limite pas aux barrages policiers, au blocage des visas, à la construction de murs, à une guerre de l'ombre sans relâche contre les cellules dormantes du terrorisme. Elle doit revêtir aussi une dimension à la fois humaine et spirituelle. Pour reprendre la situation en main, il faut comprendre ce qui monte à la tête des jihadistes et les transforme en bombes humaines. À leur aberration spirituelle, il faut une réponse spirituelle, une référence à une réalité spirituelle, comme l'accueil des plus pauvres.

Pour beaucoup de penseurs contemporains, la crise globale actuelle a de profondes racines religieuses. Elle remonte à cette « mort de Dieu » réalisée en Europe au XIXe siècle, c'est-à-dire à la disparition de la pertinence de la foi religieuse comme mode d'appréhension structurant la réalité et les esprits, au divorce irréversible entre foi et raison, à la rupture des liens de communication et de sens entre deux sphères qui devraient rester autonomes, mais non indépendantes.

Pourtant, depuis Dostoïevski et même bien avant, depuis Kierkegaard, l'Occident qui réfléchit pouvait capter les signaux annonciateurs de cette apocalypse. Le romancier russe la résumait dans cette phrase choc : Si Dieu est mort, tout est permis. Mais c'est surtout au XXe siècle que cette apocalypse a pris toute son ampleur. La volonté d'indépendance de la raison par rapport à la foi a produit deux guerres mondiales effroyables, et a sonné le glas de toute échelle morale autre qu'utilitariste, livrant l'être humain au caprice du marché, à la règle exclusive et unique du profit et de la commodité. Les prix baissent ? Détruisons les récoltes. Trop d'être humains sur la planète ? Détruisons les fœtus. Trop de contrainte en religion ? Jouissons sans entraves. Toute l'anthropologie sans laquelle l'homme ne comprendrait plus qui il est et ne saisirait plus le combat spirituel dont il est le terrain et l'enjeu : au broyeur, à la démythification, à l'obscurantisme.

Pour en revenir à la troisième guerre mondiale : après Emmanuel Macron, voici Marine Le Pen qui arrive au Liban. La chef du Front national se déplace d'une zone de la « guerre asymétrique » qui fait rage à une autre. Chez elle, la guerre a fait des morts à Nice, à Reims, à Paris. Du Liban, les dernières victimes en date sont tombées... en Turquie. La candidate à la présidentielle va tenir probablement deux discours, l'un à ses compatriotes, dont elle sollicite les voix, l'autre aux Libanais. Espérons qu'elle ne commettra pas l'erreur commune de tenir un discours identitaire et de s'adresser aux « chrétiens d'Orient ». Il faudra alors répondre comme on a fait pour Donald Trump qui voulait leur donner la priorité en termes d'immigration : « Non merci ! Dieu nous en garde ! » Non, car ce serait rejoindre dar el-harb, le camp de la guerre. Ce serait alimenter la discrimination et l'extrémisme. Or la force véritable, et nous avons payé cher le droit de le dire, n'est pas dans l'extrémisme, mais dans la modération, dans l'ouverture à l'autre, le dialogue. C'est la force du Liban. Ce n'est pas par la violence, mais par la modération que la troisième guerre mondiale sera gagnée.

La violence terroriste envahit progressivement le monde entier. Nous sommes au cœur d'une « troisième guerre mondiale », qui ne dit pas son nom et dont les épisodes sont fragmentaires. Le pape l'a dit d'abord. La formule a été reprise récemment par Donald Trump aux États-Unis et par Michel Aoun.
Le Liban, les États-Unis, la France, l'Allemagne et bien d'autres pays encore sont...

commentaires (2)

A Oslo, il y a la cour royale de Norvege, et non de Suede!

Michel Fayad

02 h 11, le 21 février 2017

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Commentaires (2)

  • A Oslo, il y a la cour royale de Norvege, et non de Suede!

    Michel Fayad

    02 h 11, le 21 février 2017

  • TROP DE PATATI ET DE PATATA...

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 53, le 20 février 2017

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